Décision relative à l'articulation entre les différents dispositifs d'imposition des revenus issus de trusts. Pour le juge de l'impôt, un bénéficiaire de trust ne peut à la fois invoquer le caractère purement discrétionnaire de la structure pour échapper à l'imposition des revenus non distribués (Art. 123 bis du CGI) et, simultanément, se prévaloir du mécanisme de coordination de ce même article pour exonérer les revenus qui lui sont effectivement distribués (Art. 120-9° du CGI).
Notre léglisation fiscale applicable aux trusts étrangers repose sur deux piliers principaux. En voici un rappel préalable :
L'article 792-0 bis du CGI, issu de l'article 14 de la première LFR pour 2011, définit le trust par l'ensemble des relations juridiques créées dans le droit d'un État autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d'y placer des biens ou droits, sous le contrôle d'un administrateur, dans l'intérêt d'un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d'un objectif déterminé.
Aux termes de l’article 120, 9° du CGI, les produits distribués par un trust défini à l’article 792-0 bis du CGI précité, quelle que soit la consistance ou la nature des biens ou droits placés dans le trust, et quelle que soit la nature du trust (irrévocable ou révocable) entrent dans le champ de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
En conséquence, du seul fait qu'il s'agit de produits d'un trust constitué à l'étranger, l'ensemble de ces produits est passible de l'impôt sans que l'administration ait à établir que ces revenus proviennent, en tout ou en partie, de valeurs mobilières étrangères ou de créances étrangères.
BOI-RPPM-RCM-10-30-10-10
Par ailleurs, l’article 123 bis du CGI, institué par la loi de finances pour 1999, rend imposables à l’impôt sur le revenu les revenus réalisés par l’intermédiaire d’entités établies dans des États ou territoires situés hors de France et soumises à un régime fiscal privilégié (Art. 238 A du CGI), dont l’existence soit s’inscrit dans un montage artificiel, soit répond à un objet et produit un effet principalement fiscal, selon le lieu de situation de cette entité.
Ce dispositif anti-abus concerne l’ensemble des personnes physiques, fiscalement domiciliées en France qui détiennent, directement ou indirectement, une participation ou des droits financiers d’au moins 10 % dans une telle entité établie hors de France, bénéficiant d’un régime fiscal privilégié et dont le patrimoine est principalement constitué d’actifs financiers et monétaires.
Lorsque la personne physique répond aux deux conditions prévu par l’article 123 bis ce dernier prévoit que les bénéfices ou les revenus positifs de l’entité juridique...
...sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient directement ou indirectement
Pour mémoire, les sages ont jugé le dispositif anti-abus conforme à la constitution sous réserve du caractère irréfragable de la présomption de fraude édictée par l’article 123 bis-1 du CGI
Par ailleurs et afin de dissiper le doute sur l’application de l’article 123 bis du CGI aux trusts stipulés discrétionnaires et irrévocables, l’article 133 de la Loi de Finances pour 2022 a créé une présomption de détention spécifique, par le constituant ou le bénéficiaire réputé constituant du trust, des revenus visés à l’article 123 bis-1 du CGI, limitant ainsi les possibilités d’abus par l’intermédiaire de trusts créés dans des Etats bénéficiant d’un régime fiscal privilégié.
La jurisprudence a précisé que l'article 123 bis du CGI ne s'applique que lorsque le bénéficiaire exerce un contrôle, même partagé, sur le trust. Or, un trust présentant un caractère à la fois irrévocable et discrétionnaire échappe à cette qualification dans la mesure où les bénéficiaires ne peuvent ni révoquer le trust ni exiger des distributions. Dans ce cas de figure, seules les distributions effectives sont imposables sur le fondement de l'article 120-9° du CGI.
Enfin, l'article 123 bis-4 prévoit un mécanisme anti-double imposition en disposant que les revenus distribués à une personne physique mentionnée au 1 de cet article ne constituent pas des revenus imposables au sens de l'article 120, sauf pour la partie excédant le revenu déjà imposé au titre des bénéfices non distribués.
Rappel des faits :
Le 29 décembre 2011, Xavier B a constitué à Guernesey le trust Optima, désignant la société Artémis Trustee Limited comme administrateur. Ce trust avait été établi en transférant les actifs d'un trust antérieur, le trust Quorum, créé en 1987 puis dissous. À la suite du décès de Xavier B en 2012, son épouse ainsi que onze membres de la famille, dont Mme B sa petite-fille, sont devenus bénéficiaires du trust Optima.
Au titre des années 2018 et 2019, Mme B a déclaré, conformément à sa pratique antérieure, deux catégories de revenus issus du trust : d'une part, sa quote-part des revenus non distribués du trust sur le fondement de l'article 123 bis du CGI et, d'autre part, les revenus effectivement distribués, à savoir 116 693 € en 2019, sur le fondement de l'article 120-9° du CGI. Estimant que le trust Optima présentait en réalité un caractère irrévocable et discrétionnaire excluant l'application de l'article 123 bis, elle a présenté une réclamation tendant à la restitution de l'ensemble des impositions correspondantes.
Par un jugement du 15 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a fait droit partiellement à sa demande en prononçant la restitution des cotisations d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux correspondant à la quote-part des revenus non distribués imposés sur le fondement de l'article 123 bis, considérant que le trust présentait effectivement un caractère irrévocable et discrétionnaire. Les premiers juges ont en revanche rejeté la demande de décharge des impositions afférentes aux distributions effectives de 2019.
Mme B a fait appel de ce jugement pour obtenir la restitution de ce second impôt, tandis que le ministre, par la voie de l'appel incident, contestait le dégrèvement accordé sur le fondement de l'article 123 bis.
Concernant l'appel incident du ministre : la confirmation du caractère discrétionnaire du trust
L'administration fiscale soutenait que l'article 123 bis du CGI était applicable aux revenus non distribués. Elle se prévalait du fait que le trust n'était ni réellement irrévocable (le constituant ayant dissout un précédent trust) ni discrétionnaire, le "trustee" étant contraint par des notes d'orientation, la présence d'un "protector" et l'obligation de verser une pension à la veuve du constituant.
La Cour a confirmé que le trust Optima était bien irrévocable et discrétionnaire.
Sur le caractère irrévocable
La Cour s'est fondée sur l'acte constitutif du trust et une attestation du trustee (Artémis Trustee Limited) pour affirmer son caractère irrévocable. Elle a écarté l'argument de l'administration (tiré de la dissolution d'un trust précédent, "Quorum") comme non pertinent. De plus, elle a constaté que les bénéficiaires, y compris Mme B, n'avaient aucun pouvoir pour exiger la dissolution du trust.
Sur le caractère discrétionnaire
La Cour a jugé que le trustee avait le pouvoir exclusif de décider des distributions, sans que les bénéficiaires puissent les exiger. Elle a ensuite réfuté un à un les arguments de l'administration :
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Les obligations du trustee envers d'autres personnes (comme une pension à la veuve du constituant ou un prêt à un autre bénéficiaire) n'enlèvent rien à son pouvoir discrétionnaire spécifiquement envers Mme B...
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Les "notes d'orientation" laissées par le constituant n'avaient aucune force contraignante et ne liaient donc pas le trustee.
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L'acte de trust précisait explicitement que le protecteur n'avait aucun pouvoir.
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La simple capacité du trustee à calculer les quotes-parts de revenus non distribués pour chaque bénéficiaire ne prouvait en rien que Mme B exerçait un contrôle sur les actifs.
La Cour a donc confirmé que, le trust étant réellement irrévocable et discrétionnaire (Mme B n'exerçant aucun contrôle), les revenus non distribués ne pouvaient pas être imposés chez elle sur le fondement de l'article 123 bis du CGI.
Concernant l'appel de Mme B demandant l'annulation de l'imposition sur les revenus distribués en 2019 (116 693 €)
La Cour a refusé de les exonérer. Elle a jugé que la contribuable ne pouvait pas se prévaloir du mécanisme anti-double imposition (Art. 123 bis-4 du CGI) pour deux raisons :
- Ce mécanisme est la conséquence du régime d'imposition des revenus non distribués (Art. 123 bis-1 du CGI), or la Cour vient de confirmer que Mme B n'était pas soumise à ce régime (le trust étant discrétionnaire).
- Mme B n'a pas prouvé que les sommes reçues en 2019 correspondaient à des revenus qui auraient déjà été taxés les années précédentes. Les revenus distribués étaient donc bien imposables (Art. 120-9° du CGI).