Projet TVA à l’ère du numérique : quels changements pour les entreprises ?

19/05/2023 Par La rédaction
6 min de lecture

Le 8 décembre 2022, la Commission européenne a annoncé son projet TVA à l’ère du numérique, qui vise à généraliser la facturation électronique et le e-reporting à tous les Pays membres de l’Union européenne. Fiscalonline a demandé à Christiaan Van Der Valk, VP stratégie et réglementation chez l’éditeur de logiciels pour la conformité fiscale Sovos, et Président du groupe de travail affaires publics et conformité de l’Association Européenne des opérateurs de facturation électronique (EESPA), ce que cela représentait en termes de changements potentiels pour les entreprises françaises, déjà assujetties à la facturation électronique obligatoire à partir de juin 2024.

 

Fiscalonline : Pour les entreprises françaises, visées par l’entrée en vigueur du mandat français de facturation électronique, qu’est-ce que ce nouveau projet européen change-t-il ?

 

Christiaan Van Der Valk : Rappelons que c’est une ambition encore au stade de “projet” et qui nécessiterait de faire l’unanimité au sein des 27. De nombreux pays qui ont déjà investi des sommes colossales dans la réforme de la facturation électronique pourraient s’y opposer. Néanmoins, le seul projet représente déjà un changement de paradigme radical : on passe d’un concept de facturation électronique comme étant l’exception à un concept de facturation électronique comme norme.

 

Si ce projet voit le jour, il faudra que les entreprises soient prêtes car l’horizon de la réforme est 2028. Au cœur de cette réforme européenne est l’obligation directe de facturation et reporting électronique en temps quasi réel pour les flux entre Pays membres. Pour les factures domestiques, les gouvernements n’auraient plus besoin de demander aux institutions européennes une dérogation, comme c’est le cas aujourd’hui, pour implémenter la facturation électronique obligatoire sur les transactions B2B. Dans tous les cas, les états et les entreprises seront obligés d’accepter des factures qui sont conforme à la norme européenne ‘EN’. Certes, le mandat français de facturation électronique va aider les entreprises à se mettre à la page, mais il y a quelques détails qui diffèrent et auxquels la France et ses entreprises devraient se conformer. Une facture électronique devrait être “structurée”, ce qui pose la question de la légalité du format hybride, qui fait partie des types de factures acceptées en France. Plusieurs nouvelles obligations de mention seraient nécessaires : le numéro de la facture initiale, l’IBAN du fournisseur, la date d’échéance du paiement. Finalement, la facture récapitulative ne serait plus acceptée.

 

Fiscalonline : Pourquoi cette tendance des gouvernements à un contrôle de plus en plus numérique de la fiscalité a lieu maintenant ?

 

Christiaan Van Der Valk :  C’est une conjoncture fruit d’une longue réflexion de la part des autorités. Il s’agit en premier lieu et officiellement de renflouer les comptes publics dans tous les Pays membres. Un écart de TVA de 93 milliards d’euros est un manque à gagner de plus en plus pesant face au poids des conséquences financières de la pandémie, de la guerre en Ukraine et de la conséquente inflation. Ce n’est plus tenable pour les finances publiques, qui ont aujourd’hui, grâce au numérique, la possibilité d’avoir une plus grande visibilité sur les transactions.

 

En dehors des avantages fiscaux, l’Europe cherche à pousser la normalisation et l’interopérabilité numérique pour éliminer les frictions inhérentes aux échanges de documents commerciaux sur papier ou en format PDF. Au niveau macro, les gains en efficacité économique dépasseraient largement les gains fiscaux. Ces réformes sont d’ailleurs une opportunité politique rare car les avantages fiscaux et économiques ne sont pas seulement compatibles mais se renforcent mutuellement. Finalement, automatiser les chaines d’approvisionnement européennes aurait des bénéfices écologiques non-négligables.

 

Pourquoi cette proposition maintenant et pas il y a cinq ou dix ans, quand une révolution similaire s’est déroulée en Amérique latine ? Un premier élément de réponse peut être trouvée dans la confiance que la Commission européenne a gagné dans ses propres capacités à concrètement accélérer la numérisation. L’Europe a affronté courageusement et adroitement la crise du Covid, et a remarqué ses premier succès digitaux en tant qu’administration publique. Le pass sanitaire, par exemple, a été d’une utilité incontestable pour permettre aux Européens de se déplacer pendant les deux ans de crise sanitaire et de se protéger et de protéger les autres, en cas de contact avec la maladie. Cette application numérique a pourtant été créée en tout hâte, face à l’urgence : son aura a dépassé les frontières du Vieux Continent et a donné à ses institutions la confiance en soi pour miser davantage sur le numérique.

 

Puis, il ne faut pas négliger l’impact du Brexit car ce type de réforme aurait été très difficile du temps où la Grande-Bretagne était membre de l’UE. L’influence de Londres sur Bruxelles aurait balayé d’un revers de main tout ce qui aurait été perçu comme une ingérence étatique dans les affaires du secteur privé, tandis qu’aujourd’hui on assiste à un retour en force de la tradition romano-civiliste dans la législation européenne.

 

Cette réforme a également une dimension géopolitique. L’UE cherche à se positionner en leader du numérique, de créer un précédent et de renforcer son soft power mondial en matière de réglementation numérique, face à des géants comme la Chine et les Etats-Unis. Il s’agit pour l’UE d’utiliser le vecteur du domaine fiscal pour pousser toutes les entreprises dans une accélération numérique qui les protège et les rendent plus résilientes, plus compétitives et l’économie prospère.

 

Fiscalonline : Comment les entreprises seraient-elles davantage protégées par cette réforme ?

 

Christiaan Van Der Valk :  L’UE est bien consciente qu’elle se trouve dans un monde multipolaire où les guerres commerciales font rage et où les autres gouvernements rivalisent de moyens légaux pour se renseigner sur l’état de son économie, et donc de son tissu entrepreneurial. En cela, les documents commerciaux, par exemple, contiennent pléthore d’informations sensibles sur les entreprises et leurs partenaires. La facture, qui est en quelque sorte la reine des documents commerciaux, n’est aucunement une exception - pour cela les factures doivent être protégées.

 

Or, les plateformes de dématérialisation prévues pour la réforme de la facturation électronique en France, sont de véritables coffres-forts pour les entreprises. Qu’elles soient étatiques comme le Portail Public de Facturation, ou tiers de confiance immatriculés auprès de l’administration fiscale comme le sont les plateformes privées dites PDP. Il est certain que dans le cadre d’une réforme de la facturation électronique à échelle européenne, l’exemple français servira comme exemple dans ce domaine crucial pour la protection des données des entreprises.

 

Des réformes comme le RGPD, par exemple, ont déjà permis une sécurisation de la donnée en Europe, aussi des projets comme le Digital Wallet vont dans la même direction pour plus de sécurisation des documents et des informations. L’ensemble de ces initiatives novatrices de l’UE crée des garanties pour l’émergence de réseaux interopérables d’échange d’information commerciale, qui permettent à nos entreprises de commercer avec le monde entier sans en subir des dommages collatéraux, en toute sécurité.