Art : Que se passe-t-il à Hong Kong ?

17/09/2024 Par Artprice
9 min de lecture

La fête est-elle finie sur le marché des enchères ? Carrefour des collectionneurs asiatiques, l’ancienne colonie britannique a transformé le marché de l’art avec ses enchères enlevées et ses taux de ventes imbattables partout ailleurs dans le monde. Artprice fait le point sur une situation revenue de son faste.

 

En seulement 15 ans, Hong Kong s’est imposé avec une énergie exceptionnelle sur la scène internationale, particulièrement dans les segments de l’art moderne et contemporain. Ses adjudications éclatantes ont souvent surpassé celles de New York, pourtant bastion historique du marché de l’art de prestige. L’élan hongkongais est aujourd’hui freiné par la crise immobilière en Chine, qui pèse lourdement sur le marché de l’art.

 

La place de marché hongkongaise est-elle en sommeil pour les artistes occidentaux, et quand est-il des plus jeunes stars du marché, dont la cote était en pleine effervescence il y a peu?

 

 1. L’histoire d’une incroyable ascension

Une expansion spectaculaire

En l’espace seulement d’une décennie, le marché de l’art hongkongais a explosé avec une croissance fulgurante de +972%, au point de faire de l’ombre à l’historique marché londonien en 2021, au sommet de la reprise post-crise sanitaire.

Depuis son entrée sur la scène des enchères réglementées en 2008, Hong Kong est passé de 158 millions à 1,69 milliard de dollars de ventes d’œuvres d’art aux enchères. Cette expansion spectaculaire a notamment été alimentée par le dynamisme des maisons de ventes internationales présentes sur place, qui, certaines années, réalisent jusqu’à un quart de leurs revenus Fine Art mondiaux à Hong Kong.

 

 

Des acheteurs courtisés par les maisons de ventes occidentales

Les acheteurs asiatiques sont un enjeu stratégique pour les maisons de ventes occidentales. Christie’s, Sotheby’s, Phillips et Bonhams misent gros sur leurs clients d’élite venus d’Asie, qui ont une puissance d’achat incontournable sur le marché mondial de l’art.

Pour se rapprocher d’eux et satisfaire leurs appétits d’achats, ces maisons ont renforcé leur présence et intensifié leurs investissements à Hong Kong ces dernières années, à l’image de Christie’s, qui s’apprête à ouvrir un siège ultra-moderne dans un gratte-ciel signé Zaha Hadid Architects.

Une place de marché qui rivalise avec Londres

En 2021, par exemple, Christie’s et Sotheby’s y ont généré presque autant de chiffre d’affaires qu’à Londres, prouvant que Hong Kong est bien l’une des places de marché les plus stratégiques du monde.

Croissance des résultats de Fine Art aux enchères de Hong Kong entre 2019 et 2021

Phillips Hong Kong > +178% 

Christie’s Hong Kong > +92%

Sotheby’s Hong Kong > +23%

2. Même affaiblie, Hong-Kong maintient un niveau d’excellence

Affaibli une première fois par la crise sanitaire de 2020, le marché de l’art à Hong Kong avait rapidement retrouvé ses forces avec une reprise spectaculaire dès l’année suivante.

En effet, dès le premier semestre 2021, le prix moyen d’une œuvre y était le plus élevé de la planète, avoisinant les 300 000$, tandis qu’il plafonnait à seulement 32 000$ à Londres et 41 000$ à New York.

 

La place de marché de Hong Kong saura-t-elle rebondir ?

À l’heure actuelle, le prix moyen a chuté de moitié à Hong Kong, pour s’établir à 146 000$, sous l’effet d’une offre de prestige restreinte couplée à une baisse de la compétitivité des enchères.

Pourtant, malgré ce recul, Hong Kong maintient un niveau d’excellence : le prix moyen actuel reste exceptionnellement élevé par rapport aux autres grandes places de marché occidentales, étant presque cinq fois supérieur à celui des États-Unis, où il ne dépasse pas 30 600$.

 

De 300 000$ à 146 000$ : La chute du prix moyen des œuvres au S1 2024 vs S1 2021

> 962,8m$ au S1 2021 pour 3 358 lots vendus

> 428m$ au S1 2024 pour 2 933 lots vendus

 

Les grandes fortunes se font plus discrètes au-delà de la barre du million de dollars, mais les acquisitions restent effervescentes sur les œuvres à cinq ou six chiffres.

 

3. Des artistes majeurs en sommeil

Le marché hongkongais ne réserve pas ses plus hauts sommets qu’aux artistes asiatiques. Les Américains Jean-Michel Basquiat et Kaws, par exemple, ont longtemps brillé avec des résultats spectaculaires avant que l’offre et l’enthousiasme ne s’essoufflent. Pour maintenir la cote de ses stars, les œuvres sont proposées à un rythme plus mesuré.

 

Basquiat : une étoile loin d’être éteinte

Preuve que Basquiat est l’un des artistes les plus désirables en Asie : il a récolté plus de 153m$ à Hong Kong en 2021 avec seulement 10 œuvres vendues. Cette année dorée, marquée par trois ventes dépassant les 30m$, a hissé Basquiat en tête des classements, devant tous les autres artistes internationaux.

Cette fois, les œuvres de Jean-Michel BASQUIAT manquent à l’appel. Une seule toile a été mise en vente cette année à Hong Kong, Native Carrying Some Guns, Bibles, Amorites on Safari (1982). L’œuvre a tout de même atteint 12,6m$. Une preuve éclatante que, même en période de crise, l’artiste continue de captiver les grands collectionneurs.

 

Zao Wou-Ki : la contraction de l’offre a des effets vertueux 

ZAO Wou-Ki demeure très recherché par les collectionneurs occidentaux et chinois, attirés par ses œuvres qui marient héritage oriental et avant-garde abstraite occidentale du milieu du 20e siècle.

Le ralentissement du marché hongkongais a rendu ses meilleures toiles plus rares. Cette pénurie stimule la demande : sa cote reste élevée, les œuvres proposées cette année atteignant généralement leurs estimations hautes, avec un taux de vente exceptionnel de 83%.

 

Kaws : le Street Art américain perd de sa magie

Propulsé à des sommets inédits par le marché hongkongais, KAWS avait conquis les collectionneurs avec des ventes à plusieurs millions de dollars, dont un record au seuil des 15m$ en 2019, des prix jamais vus même à New York. 

Il électrisait aussi bien les plus grandes fortunes que les collectionneurs plus modestes, avec des œuvres accessibles à moins de 10 000$. Depuis la sortie de crise sanitaire, le nom de Kaws s’efface peu à peu.

Le nombre de ses ventes a été divisé par dix en seulement quatre ans, tandis que son taux d’invendus a doublé pour atteindre 30%. L’énergie de son marché s’essouffle visiblement, laissant planer un doute sur sa capacité à rebondir.

 

Kaw : évolution du nombre de lots vendus à Hong Kong (copyright Artprice.com)

 

4. Le marché se fissure pour les plus jeunes

L’engouement des acheteurs asiatiques pour des œuvres très récentes avait propulsé des artistes trentenaires aux prix d’artistes très établis. Aujourd’hui, ce marché se tasse. Les jeunes stars suscitent moins d’intérêt, pour peu que leurs œuvres soient présentées en salle de ventes.

 

Les nouvelles pousses ne sont plus arrosées

Hong Kong a été un formidable tremplin pour les jeunes étoiles montantes de la peinture. Des artistes comme Amoako Boafo, Loie Hollowell, Shara Hughes, ou Avery Singer, propulsés au rang de millionnaires grâce à ce marché, voient aujourd’hui leur activité se faner. Pour Amoako BOAFO, l’éclipse est totale : aucune de ses œuvres n’a été présentée cette année, alors qu’il avait signé par le passé deux ventes millionnaires à Hong Kong.

Les ventes d’œuvres ultra-contemporaines manquent de punch. En mars dernier, Christie’s HK a déçu avec des œuvres de Madsaki, Genieve Figgis et Daniel Arsham adjugées bien en dessous de leurs estimations basses. Ces artistes doivent pourtant leurs records d’adjudication aux performances du marché chinois des dernières années.

 

L’exemple de Nicolas Party 

Chouchou des collectionneurs asiatiques, Nicolas PARTY est l’un des artistes les plus cotés de sa génération. Hong Kong était sa scène majeure, sa ville à 15 millions de dollars, montant frôlé en 2023 grâce aux enchères locales. Pour cet artiste Suisse basé à New York, Hong Kong représentait 72% de son chiffre d’affaires annuel mondial l’année dernière (aux enchères).

Cette année, c’est la douche froide : ses trois œuvres mises en vente à Hong Kong ont toutes été ravalées, un scénario inimaginable il y a encore quelques mois. Après l’euphorie et l’escalade des prix, voici peut-être venu le temps des ajustements.

Nicolas Party évolution de son produit des ventes aux enchères à Hong Kong (copyright Artprice.com)

 

 

Hong Kong marque le pas : ses ventes d’art contemporain rapportent 142m$ de moins que l’année dernière (de juillet 2023 à juin 2024 par rapport à la période précédente). Cette contraction s’explique par une réduction volontaire de l’offre de prestige, pour éviter la multiplication des invendus ou des ventes “au rabais” dans un contexte économique tendu.

Les signatures établies, de Jean-Michel Basquiat à Yoshitomo Nara, voient leur chiffre d’affaires chuter fortement, mais parviennent à vendre des pièces maîtresses à des prix solides

Cependant, la contraction du marché hongkongais met en péril certains artistes millennials dont les œuvres, en un éclair, avaient atteint des prix comparables à ceux des artistes majeurs en milieu ou fin de carrière. Mauvais signe lorsque leurs créations sont ravalées, comme cela a été le cas cette année pour Nicolas Party.

Après avoir établi de nombreux records pour l’art occidental, le marché hongkongais réajuste ses priorités et se détourne de jeunes artistes récemment propulsés sous les projecteurs. Cette pause conjoncturelle pourrait bien ouvrir la voie à l’émergence de nouvelles signatures. Car les acheteurs d’Asie, en attendant des jours plus propices, restent avides de découvertes, de paris audacieux et d’un goût affirmé pour l’investissement et le frisson des enchères.

5. Zao Wou-Ki, du rejet à la consécration

 

Avant l’ouverture de la Chine dans les années 80, l’art de Zao Wou-Ki était jugé “déviant” : trop audacieux, trop éloigné des canons traditionnels chinois. Pourtant, il est devenu le symbole d’une fusion magistrale entre l’Orient et l’Occident. Du Louvre d’Abu Dhabi à l’Art Institute de Chicago, en passant par le Musée d’Art Moderne de Paris, les plus grands musées célèbrent sa quête de liberté vers un art universel.

En 1983, le ministère de la Culture chinois organise sa première exposition depuis le départ de Zao pour la France en 1948. Au Musée National de Pékin, les visiteurs sont captivés par une œuvre qui allie la profondeur de la philosophie chinoise du paysage à la fougue de l’abstraction lyrique.

Depuis, ses chefs-d’œuvre abstraits intègrent les collections asiatiques à un rythme effréné. Aujourd’hui, Zao Wou-Ki détient le record de la plus haute adjudication de l’histoire du marché hongkongais avec 65m$ pour un monumental tableau de 10 mètres, vendu en 2018 chez Sotheby’s.

 

Communiqué d'Artprice