Le Prix Marcel Duchamp est une distinction créée il y a 23 ans à l’initiative de collectionneurs français et de l’ADIAF (Association pour la diffusion internationale de l’art français), créée notamment par le collectionneur Gilles Fuchs après le constat d’un épuisement du rayonnement des artistes français sur le plan international dans les années 1990. Il s’agit alors de venir à la rescousse d’un art français en mal de représentation, dans un contexte délicat pour le marché de l’art contemporain hexagonal.
“En plus de vingt d’existence, Le Prix Marcel Duchamp est devenu une référence incontournable dans le monde de l’art contemporain, mais au-delà du prestige du prix en lui-même, l’ADIAF permet à la scène hexagonale d’exister plus intensément sur le plan international et de soutenir la scène artistique française.” thierry Ehrmann
Tous les ans, le Prix Marcel Duchamp met en lumière des artistes français ou travaillant en France pendant la FIAC, devenue Paris+ par Art Basel. Les finalistes bénéficient ainsi d’un premier coup de projecteur à un moment stratégique dans le calendrier international de l’Art Contemporain, d’autant que, depuis 2016, leurs œuvres profitent d’une visibilité exceptionnelle au Centre Pompidou pendant trois mois, sur une surface d’exposition de 600m2 (auparavant, elles étaient exposées quelques jours à la FIAC et seul le lauréat bénéficiait d’une exposition au Centre Pompidou). Ce premier atout n’est pas des moindres, s’agissant d’afficher une notoriété au sein de l’une des plus belles institutions françaises. Mais l’ADIAF déploie aussi d’autres stratégies pour faire rayonner les espoirs de la scène française sur l’échiquier international.
Les enjeux du Prix Duchamp
À un enjeu financier important pour l’artiste, le Prix Marcel Duchamp étant doté de 90 000 euros, dont un prix de 35 000 euros pour le lauréat, le grand gagnant bénéficie également d’une résidence d’exploration aux Etats-Unis au sein de la Villa Albertine. C’est qu’au-delà de l’attribution d’une dotation et d’une mise en lumière ponctuelle, le Prix Marcel Duchamp se veut un dispositif complet d’accompagnement des artistes dans leur parcours : il s’agit de promouvoir la scène hexagonale dans le monde, via des expositions internationales organisées en partenariat avec des musées étrangers et avec le soutien de l’Institut français. Plus de 50 artistes du Prix Marcel Duchamp et 140 œuvres majeures ont ainsi bénéficié d’une visibilité lors des quelque 20 expositions organisées dans de grands musées à travers le monde à Buenos Aires, Pékin, Shanghai, Los Angeles, Séoul et Tokyo, et récemment Bucarest. Les réseaux professionnels établis avec le Prix Marcel Duchamp peuvent constituer des tremplins importants. Il s’agit là d’un accompagnement essentiel puisque, si l’obtention d’un Prix constitue toujours un argument positif dans la carrière d’un artiste en tant qu’il renforce sa légitimité, c’est surtout les rencontres et les expositions générées à sa suite qui vont accroître, sur le long terme, la notoriété et la cote.
Les lauréats “à quel prix”?
Il est difficile d’évaluer la portée immédiate de l’obtention du Prix Marcel Duchamp sur la cote des artistes. Bien qu’il soit évident que l’obtention d’une telle récompense intensifie l’intérêt des collectionneurs, les galeries sont les premières bénéficiaires de cet élan, le Prix ne déclenchant pas forcément une accélération des transactions sur le marché des enchères, second marché par essence.
Parmi les grands noms ayant reçu le Prix Marcel Duchamp dans le passé, Thomas Hirschhorn, Dominique Gonzalez-Foerster, Laurent Grasso, Tatiana Trouvé, Mircea Cantor, Kader Attia, s’imposent comme des artistes de qualité internationale et sont recherchés par de grands collectionneurs. Néanmoins, le marché des enchères n’illustre pas toujours la qualité de leur parcours et de leurs œuvres.
Si les oeuvres de Dominique Gonzalez-Foerster (lauréate 2002), par exemple, font partie des collections de plusieurs grands musées dont Tate Modern (Londres), la Dia Art Foundation (New York) ou le Centre Georges Pompidou (Paris), ses oeuvres sont extrêmement rares dans les catalogues de ventes aux enchères, et lorsque l’une d’elles y est représentée, elle n’est pas forcément significative de la pratique interdisciplinaire de l’artiste, laquelle englobe le cinéma, l’installation, la vidéo et diverses formes de travail collaboratif. Son record, établi à 23 410$ pour une vente réalisée chez Christie’s à Londres (Multiverse, 2004-2012), n’a pas été renouvelé depuis 2012, soit plus de dix ans : un temps conséquent dans la dynamique du marché de l’Art Contemporain. Certains lauréats n’ont même jamais été soumis aux enchères, comme Clément Cogitore (lauréat 2018) où n’y ont pas encore rencontré leur public, comme Julien Prévieux (lauréat 2014).
D’autres artistes, pour peu qu’ils soient portés par des galeries internationales particulièrement puissantes, bénéficient d’une activité plus soutenue en salles de ventes. Il en va ainsi pour Tatiana Trouvé (représentée par les galeries Perrotin, Paris ; Gagosian, New York ; Johann König, Berlin), Cyprien Gaillard (représenté par les galeries Gladstone, New York ; Sprüth Magers, Berlin), Laurent Grasso (représenté par les galeries Perrotin, Paris ; Sean Kelly, New York) ou encore Latifa Echakhch (représentée par les galeries Kamel Mennour, Paris ; Kaufmann Repetto, Milan ; Dvir Gallery, Tel Aviv ; Eva Presenhuber, Zürich), tous classés dans le Top 10 000 des artistes les plus performants aux enchères mondiales.
Tatiana TROUVÉ (1968) (lauréate 2007) et Latifa ECHAKHCH (1974) (lauréate 2013) ont même déjà compté parmi les 5 000 artistes mondiaux les plus performants du marché et ont pour point commun un record d’adjudication remontant à l’année 2015. Tatiana Trouvé vendait alors son installation Untitled (ref: cable 9) pour 67 000$ chez Phillips à Londres, comme ce fut le cas quelques mois plus tard pour une toile de Latifa Echakhch, cédée au prix de 203 300$ après avoir fait partie de la collection du Dr.Frederic S.Brandt, à Miami. La jeune Latifa Echakhch, aujourd’hui recherchée par les collectionneurs internationaux, est auréolée par huit ventes supérieures à 100 000$ aux enchères.
D’autres lauréats ont fait grimper les enchères au-dessus de ce palier de prix – un palier par ailleurs important et rare pour de jeunes artistes français – dont Cyprien GAILLARD (1980) (lauréat 2010) qui culmine à 193 750$. Hasard du calendrier, son record remonte lui aussi à l’année 2015, tout comme ceux de Tatiana Trouvé et de Latifa Echakhch, mais celui de Cyprien Gaillard a été signé à New York (Sotheby’s), et non pas à Londres.
Kader ATTIA (1970) (lauréat 2016) se distingue également par la vente de deux installations à plus de 100 000$ avant l’obtention de son Prix Duchamp en 2016, seul prix dont il ait été honoré jusqu’alors. Thomas HIRSCHHORN (1957) (lauréat 2000) a quant à lui établi un record à 156 190$ en 2006 suite à la vente, chez Phillips de Pury & Company à Londres, d’une grande technique mixte intitulée Abstrait Relief No.548 (1999). Ses premières œuvres passent aux enchères en 2001, soit quelques mois après l’obtention du Prix Duchamp, et sa demande s’est mondialisée avec 76% des ventes aux enchères venant des Etats-Unis.
Des artistes primés accessibles sur le marché des enchères
Nombre de ces artistes français dont le talent a été confirmé par l’obtention du Prix Duchamp offrent des œuvres accessibles pour moins de 5 000$ en salles, à l’image de Carole Benzaken (lauréate 2004), dont les toiles les plus importantes dépassent néanmoins les 15 000$; de Thomas Hirschhorn (lauréat 2000), dont 62% des oeuvres se vendent entre 1 000 et 5 000$; de Mathieu Mercier (lauréat 2003), dont la moitié des oeuvres s’échangent entre 1 000 et 5 000$ aux enchères. À l’image, encore, de Joana & Khalil HADJITHOMAS & JOREIGE (lauréats 2017), dont les œuvres engagées, tentant de révéler les non-dits de l’histoire et d’interroger la représentation des conflits, ont été exposées dans plusieurs Biennales d’art, dans des musées aussi importants que le Solomon R. Guggenheim (New York) ou le British Museum (Londres), ont intégré plusieurs grandes collections privées et publiques, mais restent abordables sur le terrain des enchères.
Force est de constater qu’une solide reconnaissance internationale n’a pas toujours une grande incidence sur le marché des enchères. Les collectionneurs avertis traitent directement avec les galeries et la cote des artistes évolue de façon confidentielle, pour des œuvres souvent transversales, atypiques, qui ne se conforment pas forcément aux tendances de la demande mondiale.
Les lauréats du Prix Marcel Duchamp
Thomas Hirschhorn (2000 – 2001)
Dominique Gonzalez-Foerster (2002)
Mathieu Mercier (2003)
Carole Benzaken (2004)
Claude Closky (2005)
Philippe Mayaux (2006)
Tatiana Trouvé (2007)
Laurent Grasso (2008)
Saâdane Afif (2009)
Cyprien Gaillard (2010)
Mircea Cantor (2011)
Daniel Dewar et Grégory Gicquel (2012)
Latifa Echakhch (2013)
Julien Prévieux (2014)
Melik Ohanian (2015)
Kader Attia (2016)
Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (2017)
Clément Cogitore (2018)
Éric Baudelaire (2019)
Kapwani Kiwanga (2020)
Lili Reynaud Dewar (2021)
Mimosa Echard (2022)
Les nommés au Prix Marcel Duchamp 2023
Voici les quatre artistes en lice pour la 23ème édition du Prix Marcel Duchamp. Le nom du lauréat sera dévoilé le 16 octobre prochain, à l’issue du vote d’un jury international composé de Xavier Rey, directeur du Musée national d’art modern – Centre Pompidou, Claude Bonnin, collectionneur et président de l’Adiaf, Akemi Shiraha, représentante de l’Association Marcel Duchamp, Dr. Jimena Blasquez Abascal, collectionneuse et directrice de la Fondation contemporaine Montenmedio (Espagne), Dr Josée Gensollen, collectionneuse, Collection Gensollen La Fabrique (Marseille), Béatrice Salmon, directrice du Centre national des arts plastiques (CNAP) et Adam D. Weinberg, directeur du Whitney Museum of American Art, à New York.
L’exposition des finalistes est ouverte pour trois mois au Centre Pompidou à Paris.
De gauche à droite sur la photo : Bertille Bak, Massinissa Selmani, Bouchra Khalili, Tarik Kiswanson. Photo © julie ansiau
Bertille Bak
https://www.adiaf.com/artistes/bertille-bak/
Née en 1983 à Arras (France), Vit et travaille à Paris. Représentée par la galerie Xippas, Paris et The Gallery Apart, Rome
“Bertille Bak s’intéresse aux communautés en examinant leurs rituels, gestes et objets qu’elle utilisera plus tard dans ses projets. Qu’il s’agisse de sa propre communauté dans les bassins miniers du Nord de la France ou de groupes qui ne lui sont pas familiers, elle ne choisit jamais de prendre ses distances. Au contraire, il s’agit de partager un passage de vie, un combat, une résistance.” (Source Galerie Xippas).
Elle a fait l’objet de nombreuses expositions : Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2012, Fondation Merz à Turin en 2022, Louvre Lens en 2023…
Bouchra Khalili
https://www.adiaf.com/artistes/bouchra-khalili/
Née en 1975 à Casablanca. Vit et travaille à Berlin. Représentée par la galerie Mor Charpentier, Paris et ADN gallery, Barcelone
Le travail de l’artiste s’articule en film et installation vidéo, photographie et sérigraphie. Chacun de ses projets peut s’envisager comme une plateforme depuis laquelle des membres de minorités peuvent proposer, mettre en œuvre et partager, stratégies et discours de résistances élaborés depuis les marges. L’artiste a fait l’objet de nombreuses expositions dont le Macba à Barcelone et le Palais de Tokyo en 2015, le Moma, New York en 2016 et Jeu de Paume en 2018.
Tarik Kiswanson
https://www.adiaf.com/artistes/tarik-kiswanson/
Né en 1986 à Halmstad (Suède). Vit et travaille à Paris, France et Amman, Jordanie. Représenté par la galerie carlier | gebauer, Berlin et Sfer, Hambourg et Beyrouth
Son travail englobe la sculpture, l’écriture, la performance, le dessin, les œuvres sonores et vidéo. Les notions de déracinement, de régénération et de renouveau sont des thèmes récurrents dans son œuvre. Tarik Kiswanson a présenté son exposition rétrospective Mirrorbody au Carré d’Art – Musée d’Art Contemporain en 2021.
Massinissa Selmani
https://www.adiaf.com/artistes/massinissa-selmani/
Né en 1980 à Alger (Algérie). Vit et travaille à Tours. Représenté par la galerie Anne-Sarah Benichou (Paris), Selma Feriani (Tunis, Londres), Jane Lombard (New-York).
C’est par la confrontation et la juxtaposition sans cohérence logique de ces éléments réels que Massinissa Selmani crée des scènes énigmatiques et ambiguës, soulignant le caractère ironique, voire tragique des situations absurdes et étranges représentées dans ses dessins. Son travail a été salué par une mention spéciale du jury à la 56ème biennale de Venise en 2015. Lauréat du Prix Art collector et du Prix Sam en 2016, il a participé à de nombreuses expositions personnelles et collectives en France et à l’étranger.