Nombreux sont les critiques, historiens, spécialistes du marché, curateurs voire directeurs de foires ayant relevé de fortes disparités entre la valorisation des femmes et celle des hommes. Si certains considèrent ce débat comme ancré dans des préconçus culturels d’arrière-garde, il faut avouer que les dits préconcus et les vieilles habitudes ont la vie dure.
Les écarts de prix sont en fait considérables, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de dollars entre les hommes et les femmes les plus cotés du marché.
Les femmes les plus performantes en salles n’atteignent pas encore le seuil des 10 m$ au marteau, alors que d’autres artistes passent désormais le seuil des 100 m$. Comment les plus cotées, dont Nathalie GONTCHAROVA et Louise BOURGEOIS (record de Gontcharova avec Les Fleurs, adjugée 9,6 m$, soit 10,8 m$ frais inclus et de Louise Bourgeois avec Spider, adjugée 9,5 m$, soit 10,7 m$ frais inclus), peuvent faire face aux 127 m$ de Francis BACON (Three studies of Lucian Freud, plus de 142 m$ frais inclus), aux 107 m$ d’Edvard MUNCH (The scream, près de 120 m$ frais inclus), aux 95 m$ de Pablo PICASSO (Nude, Green Leaves and Bust, plus de 106 m$ frais inclus) ou aux 77,5 m$ de Mark ROTHKO (Orange, Red, Yellow, près de 87 m$ frais inclus) ?
La figure féminine de l’Impressionnisme Berthe MORISOT affiche certes un record à 9,7 m$, soit près de 11 m$ frais inclus (Après le déjeuner, Christie’s Londres le 6 février 2013) mais ses homologues impressionistes masculins cuminent à 71 m$ au marteau ( Claude MONET à 71,8 m$, soit 80,5 m$ frais inclus, avec Le Bassin aux Nymphéas, vendue chez Christie’s le 24 juin 2008 et Pierre-Auguste RENOIR à 71 m$, soit 78,1 m$ frais inclus, avec le fameux Au Moulin de la Galette, vendue par Sotheby’s le 17 mai 1990).
Il existe bien sûr quelques exceptions à la règle : le record de Sonia DELAUNAY-TERK négocie à 1m$ avec celui de son compagnon Robert Delaunay et celui de Frida KAHLO enterre de plus de 2 m$ la meilleure enchère de Diego Rivera (Sonia Delaunay flirte avec les 4 m$ avec Le marché au Minho chez Calmels-Chambre-Cohen en 2002 et Robert DELAUNAY à 5,2 m$, avec la Tour Eiffel vendue chez Christie’s en février 2012. Le record de Diego RIVERA reste inchangé à 2,8 m$ depuis 1995 pour Baile en Tehuanpec, celui de Kahlo affiche 5 m$ depuis la vente de Roots en 2006). Néanmoins, chez les artistes historiques comme chez les artistes vivants, la tendance est à la sous-évaluation des femmes.
Si l’on considère par exemple les artistes vivants – hommes et femmes – de toute la planète, récompensés par au moins une enchère millionnaire, seules 16 femmes parviennent à ce niveau de prix, contre 195 hommes rétribués de la sorte.
Les artistes vivants masculins tiennent ainsi 93 % des meilleures enchères à l’échelle mondiale.
Ces 16 femmes les mieux classées sont, dans l’ordre
, Yayoi Kusama (34ème meilleure enchère), Marlène Dumas (40ème), Rosemarie Trockel (51ème), Julie Mehretu (52ème), Bridget Riley (54ème), Cindy Sherman (73ème), Jenny Saville (79ème), Vija Celmins (117ème), Beatriz Milhazes (119ème), Lee Bontecou (134ème), Adriana Varejao (147ème), Tauba Auerbach (155ème), Elizabeth Peyton (165ème), Cecily Brown (169ème), Lisa Yuskavage (183ème) et Paula Rego (202ème).
Bien que les artistes soient plus nombreuses aujourd’hui et que quelques grands marchands tentent de corriger les disparités de prix, la sous-évaluation féminine fait de la résistance sur la scène contemporaine . Yayoi KUSAMA, la plus chère de la gente féminine est classée pour la 34ème meilleure enchère après 33 records masculins. Par ailleurs, force est de constater que cette meilleure enchère féminine est dix fois moindre que la meilleure enchère au masculin et qu’un gap de près de 47 millions de dollars sépare le record de Koons de celui de Kusama ! Jeff KOONS est bien sûr le leader du marché contemporain , le gagnant d’une adjudication de 52 m$ emportée en novembre 2013 pour sa sculpture géante Balloon Dog (Orange) chez Christie’s, lorsque le sommet de Kusama se hisse à 5,1 m$ pour une huile sur toile « historique » de 1959, (No.2), vendue chez Christie’s New York le 18 novembre 2008. La dernière du classement, Paula Rego, se hisse au niveau des meilleurs prix d’artistes phares tels que Subodh Gupta, Matthew Barney ou Julian Schnabel, mais il lui aura fallu travailler 20 à 30 ans de plus pour bénéficier d’une telle cotation. Elle est née, rappelons-le, en 1935.