Nouvelle décision relative aux conditions de déductibilité fiscale d'une provision pour dépréciation d'un fonds de commerce et sur les méthodes d'évaluation acceptables pour en justifier le montant.
Aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III au CGI la dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les fonds de commerce, les terrains, les titres du portefeuille, les œuvres d'art, donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues à l'article 39-1-5°du CGI.
En effet, la dépréciation de la valeur des éléments incorporels d'un fonds de commerce est susceptible de donner lieu à la constitution d'une provision déductible du résultat fiscal de l'exercice au cours duquel le fonds a subi cette dépréciation. Mais, pour ce faire, il importe que soient réunies certaines conditions :
- La dépréciation doit être effective au cours de l'exercice considéré
- La dépréciation doit affecter l'ensemble du fonds de commerce et non pas seulement certains de ses éléments
La jurisprudence exige que la dépréciation soit constatée conformément aux règles comptables, impliquant une valeur actuelle (la plus élevée entre la valeur vénale et la valeur d'usage) notablement inférieure à la valeur nette comptable.
Rappel des faits :
La SELARL Pharmacie A, exploitant une officine à Gontaud de Nogaret, a constitué une provision pour dépréciation de son fonds de commerce à hauteur de 300 000 € pour l'exercice clos le 31 mars 2016. Cette provision avait pour but d'ajuster la valeur comptable du fonds de commerce à la baisse de sa valeur d'usage, conformément aux règles comptables et fiscales.
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Acquisition et contexte :
- Acquisition du fonds de commerce en 2009 pour 1 100 000 €.
- La provision de 300 000 € reposait sur une étude d'expertise réalisée par Interfimo, basée sur des méthodes d'évaluation économique et comptable du fonds.
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Situation économique :
- Entre 2007 et 2016, le chiffre d'affaires de l'officine a baissé de plus de 23 %.
- Le résultat net a diminué de 25,6 % sur la même période, après réintégration de la provision et d'autres charges.
La SELARL Pharmacie A a demandé au TAde Bordeaux la décharge des cotisations supplémentaires d'IS pour les exercices clos en 2016, 2017 et 2018, suite à une remise en cause par l'administration de la déductibilité de la provision pour dépréciation.
Le 21 décembre 2021, le tribunal a déchargé la société des cotisations supplémentaires, estimant la provision justifiée. Le ministre de l'économie a interjeté appel, contestant la décision et soutenant que la provision n'était pas justifiée.
Concernant la justification de la provision, il soutient que la société n’a pas fourni d’éléments démontrant une dégradation significative de la valeur du fonds de commerce depuis l’acquisition relevant notamment que certains indicateurs économiques de la pharmacie (résultat comptable, marge globale, EBE) s'étaient améliorés.
Concernant le montant de la provision : il estime que le montant retenu pour la provision ne serait pas correctement justifié puisqu’il s’appuie sur des données statistiques générales sans tenir compte des spécificités de l’officine.
La Cour Administrative de Bordeaux vient de rejeter la requête de l'administration fiscale.
La Cour vient de confirmer la déductibilité de la provision en s'appuyant sur une analyse en deux temps.
- Sur le principe de la dépréciation, elle relève la conjonction d'une baisse significative du chiffre d'affaires (23%) et du résultat net retraité (25,6%) entre l'acquisition du fonds et la constitution de la provision, établissant ainsi une diminution notable de la valeur d'usage à partir de données propres à l'officine.
- Sur la quantification de la provision, la Cour valide le recours aux études statistiques sectorielles (en l'espèce celles d'Interfimo) dès lors qu'elles sont combinées avec des données propres à l'entreprise. Elle approuve la méthodologie consistant à croiser deux approches : l'une basée sur un pourcentage du chiffre d'affaires (80%), l'autre sur des multiples d'EBE retraité (coefficients de 7 en 2014 et 6,2 en 2015), aboutissant à une provision représentant 27% de la valeur d'acquisition.
La Cour n'a pas été convaincue par les arguments du ministre selon lesquels ces méthodes ne seraient pas adaptées ou que la société n'aurait pas produit suffisamment d'éléments prouvant une dépréciation notable.
5. Il résulte de l'instruction qu'entre l'exercice d'acquisition du fonds de commerce, à savoir au 31 décembre 2007, pour lequel le chiffre d'affaires de la société ressortait à 1 246 614 euros HT, et l'exercice de constitution de la provision, à la clôture de l'exercice 2016, qui a affiché un chiffre d'affaires de 959 431 euros HT, la baisse du chiffre d'affaires est de plus de 23 %, ce qui constitue une diminution notable. Si cette baisse n'est pas, à elle seule, suffisante pour constater une dépréciation du fonds de commerce, il résulte aussi de l'instruction qu'après réintégration de la provision litigieuse et de la rémunération de la gérante, laquelle n'était pas déductible au 31 décembre 2007, année au cours de laquelle le fonds étant exploité sous forme d'entreprise individuelle, le résultat net comptable accuse une baisse significative de l'ordre de 25, 6% au titre de l'exercice clos au 31 mars 2016. Ainsi, la société A... justifie, par des données propres à l'officine, de l'existence d'une baisse notable de la valeur d'usage du fonds par rapport à sa valeur nette comptable.
6. S'agissant du montant de la provision pour dépréciation, rien n'interdisait à la société de se référer aux études de la société Interfimo et de retenir les données extraites des études annuelles, relatives aux " prix et valeurs des pharmacies " mentionnées au point 4. La société a d'ailleurs tenu compte des données internes à l'entreprise en procédant à la combinaison de deux méthodes d'évaluation du fonds de commerce, l'une en appliquant un taux de 80 % au chiffre d'affaires enregistré par la société à la clôture de son exercice 2016, l'autre, en appliquant des coefficients multiplicateurs à l'excédent brut d'exploitation retraité pour les exercices 2014 et 2015, lui permettant de valoriser le fonds de commerce à hauteur de 761 470 euros et de constituer une provision de 300 000 euros, représentant 27 % de la valeur d'acquisition du fonds.