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Impôt sur les sociétés

Un cas d'école des pièges des charges déductibles en matière d'impôt sur les sociétés et acte anormal de gestion

Cette décision constitue une illustration des pièges des charges déduites par les entreprises.. L'affaire met en lumière l'ensemble des dispositions de l'article 39 du CGI relatives aux conditions de déductibilité des charges, ainsi que la théorie de l'acte anormal de gestion.

 

Pour mémoire, les charges ne sont déductibles du bénéfice imposable que si elles sont exposées dans l'intérêt direct de l'entreprise, correspondent à une charge effective et sont appuyées de justificatifs. S'agissant plus spécifiquement des rémunérations, l'article 39-1-1° du CGI exige qu'elles correspondent à un travail effectif et ne soient pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette double condition cumulative permet à l'administration de remettre en cause les rémunérations versées aux dirigeants lorsque celles-ci paraissent disproportionnées.

 

Parallèlement, la théorie de l'acte anormal de gestion, développée par la jurisprudence administrative, permet de sanctionner les décisions d'entreprise qui aboutissent à un appauvrissement sans contrepartie ou avec une contrepartie insuffisante. Cette théorie trouve une application particulière dans le cadre des relations entre sociétés apparentées, où le risque de transfert indirect de bénéfices est important.

 

Rappel des faits :

La société CFM-CFII, société tête d'un groupe fiscalement intégré, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2011 à 2013. Cette société, dont l'activité principale consiste en la gestion locative de biens immobiliers, a développé accessoirement une activité de marchand de biens.

L'administration fiscale a remis en cause plusieurs catégories de charges et d'opérations. Premièrement, elle a contesté le caractère déductible de rémunérations versées aux membres de la famille A, dirigeants et salariés de la société, pour des montants respectifs de 358 971€ en 2011, 582 960 € en 2012 et 548 628 € en 2013. Deuxièmement, elle a refusé la déductibilité d'une provision pour risque de deux M€ constituée en 2012. Troisièmement, elle a contesté diverses charges relatives aux véhicules, locations d'avions et frais de réception. Quatrièmement, elle a réintégré la différence entre le prix de vente d'un appartement parisien cédé à un salarié et sa valeur vénale estimée. Enfin, elle a réintégré les intérêts non perçus sur les avances consenties aux filiales du groupe.

 

Après le rejet de sa réclamation contentieuse, la société CFM-CFII a saisi le TA de Paris qui, par jugement du 20 septembre 2023, a rejeté sa demande de décharge. La société a alors fait appel devant la Cour administrative d'appel de Paris, contestant l'ensemble des rectifications opérées par l'administration.

  • La société CFM-CFII conteste chacune des rectifications opérées.
    • Concernant les rémunérations, elle soutient que les membres de la famille A étaient très impliqués dans la gestion de la société et que son activité principale était celle de marchand de biens, justifiant des rémunérations élevées.
    • Pour la provision, elle invoque l'existence d'un risque de réquisition pesant sur un immeuble vendu à la Fondation Rothschild.
    • S'agissant des diverses charges, elle argue de leur lien avec l'activité du groupe ou de leur qualification possible de subventions intragroupes.
    • Concernant la vente d'appartement, elle produit diverses estimations pour contester la minoration du prix.
    • Enfin, elle prétend que les avances aux filiales constituent des subventions intragroupes indirectes neutralisables au niveau du résultat d'ensemble.
  • L'administration de son côté maintien l'ensemble de ses rectifications

 

Concernant les rémunérations excessives 

La Cour rappelle d'abord la méthodologie applicable en matière de rémunérations. Il appartient au contribuable de justifier le principe de la déductibilité, puis à l'administration d'apporter la preuve du caractère excessif ou de l'absence de travail effectif. L'administration avait procédé à une analyse comparative en constituant un panel de sept sociétés exerçant une activité similaire d'administration de biens, révélant une rémunération moyenne de 56 518 €, significativement inférieure aux montants versés par CFM-CFII.

La Cour valide cette approche et constate que la société n'apporte aucun élément probant pour justifier l'importance des rémunérations versées. Elle relève notamment que l'argument tiré de l'activité de marchand de biens ne peut prospérer, la société n'ayant procédé qu'à neuf ventes sur trois exercices dans un contexte de baisse continue du chiffre d'affaires. 

 

Concernant la provision pour risque

S'agissant de la provision de 2M€, la Cour applique strictement les conditions posées par l'article 39-1-5° du CGI. Une provision n'est déductible que si le risque est nettement précisé et rendu probable par des événements constatés à la date de clôture de l'exercice. Or, les éléments invoqués par la société pour justifier du risque de contentieux étaient soit postérieurs à la clôture de l'exercice 2012, soit insuffisamment précis.

La Cour rejette ainsi la déductibilité de cette provision, faute de caractère suffisamment probable du risque à la date de clôture.

 

Charges diverses : l'exigence de justification et de lien avec l'intérêt social

Pour les diverses charges contestées, la Cour applique le principe général selon lequel les charges doivent être exposées dans l'intérêt direct de l'entreprise et être appuyées de justificatifs. Elle constate que la société se borne à des affirmations générales sans produire les justificatifs requis. L'absence de production de factures ou de documents probants ne permet pas d'établir le lien entre ces dépenses et l'intérêt de l'exploitation, d'autant que l'importance de l'activité de promotion immobilière invoquée n'est pas démontrée.

 

Vente d'appartement et caractérisation de l'acte anormal de gestion

L'analyse de la vente d'appartement à un salarié illustre parfaitement l'application de la théorie de l'acte anormal de gestion. L'administration a procédé à une évaluation comparative, retenant quatre appartements présentant des caractéristiques similaires et appliquant des coefficients de minoration pour tenir compte des spécificités du bien. Cette méthode a permis d'établir une valeur vénale de 475 000 € contre un prix de cession de 250 000 €.

La Cour valide cette approche et rejette les contre-expertises produites par la société, relevant leur manque de pertinence et leur caractère tardif. Elle conclut que la minoration du prix de vente constitue un appauvrissement à des fins étrangères à l'intérêt social, caractérisant ainsi l'acte anormal de gestion.

 

Avances sans intérêts 

Concernant les avances consenties sans intérêts aux filiales, la Cour rappelle un principe fondamental : l'option pour l'intégration fiscale ne dispense pas chaque société du groupe de déterminer son résultat selon les règles de droit commun. Les retraitements liés aux relations intragroupes n'interviennent qu'au niveau du résultat d'ensemble, après établissement des résultats individuels.

La Cour rejette ainsi l'argument de la société selon lequel ces avances constitueraient des subventions intragroupes neutralisables, confirmant que l'absence de perception d'intérêts constitue un acte anormal de gestion justifiant la réintégration des intérêts non perçus au niveau de la société prêteuse.

 

Enfin, la Cour a validé l'application de la majoration de 40% pour manquement délibéré, l'administration ayant établi le caractère délibéré des manquements au regard de leur gravité et de leur répétition sur plusieurs exercices.

 

TL;DR
 
Cette décision de justice illustre parfaitement les pièges des charges déduites par les entreprises. Elle rappelle
  • que l'administration peut contester les rémunérations excessives de dirigeants par des comparaisons,
  • que l'absence de justificatifs handicape lourdement le contribuable,
  • que l'intégration fiscale n'exonère pas des règles classiques,
  • et que les cessions d'actifs entre parties liées doivent être rigoureusement évaluées.

Un cas d'école qui souligne l'importance de bien documenter toutes les opérations et d'adopter une approche prudente dans les relations intragroupes.

Publié le vendredi 30 mai 2025 par La rédaction

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