Les ventes aux enchères haut de gamme peinent toujours à retrouver leur éclat d’antan. Avec des œuvres muséales en nombre insuffisant, le Top 10 du premier trimestre 2025 affiche des résultats en net repli. Derrière ce bilan morose, des noms inattendus s’invitent et rebattent les cartes.
Le traditionnel Top 10 trimestriel est un excellent baromètre du marché de prestige. Cette année, son diagnostic est sans appel : les œuvres majeures et les records flamboyants se font rares. Le ticket d’entrée chute, et le sommet du classement ne dépasse même pas les 15 millions de dollars, loin des sommets d’antan.
Ce contexte morose n’empêche pas quelques secousses inattendues. Un peintre indien surclasse le surréaliste belge René Magritte, et deux artistes vivants s’imposent dans un palmarès habituellement dominé par l’art moderne et l’après-guerre américain. Un bouleversement directement lié au manque de dynamisme du marché très haut de gamme.
Un Top trimestriel en chute libre
100 millions de dollars. C’est le total cumulé des 10 œuvres les mieux vendues aux enchères au premier trimestre 2025. Un chiffre qui peut sembler imposant, mais qui illustre surtout la contraction du marché haut de gamme. Ce palmarès trimestriel accuse une baisse de -42% par rapport à l’an dernier, et s’effondre de près de -85% par rapport à 2020.
Résultat cumulé des 10 meilleures ventes aux enchères
📉 T1 2020 : 660,4 m$
📉 T1 2024 : 172,4 m$
📉 T1 2025 : 100 m$
Le segment prestige poursuit son repli. La meilleure vente du trimestre peine à franchir les 14 millions de dollars, quand, en 2020, il fallait dépasser les 50 millions pour figurer dans le Top 10, et que son sommet dépassait les 110 millions. Le contraste est saisissant : le marché est loin, très loin, des performances d’antan, faute d’œuvres de premier plan mises en circulation.
Ce creux met aussi en lumière d’autres artistes, à des prix bien inférieurs à ceux qu’aurait atteints un chef-d’œuvre de Claude Monet ou Pablo Picasso, grands absents du classement. Le Top 10 accueille ainsi l’Indien Maqbool Fida Husain, avec un record explosif, le Britannique Michael Andrews, et Lisa Brice, benjamine du classement. Tous côtoient des figures incontournables comme René Magritte et Amedeo Modigliani. Dans un marché ralenti, l’attention se porte sur de nouveaux noms.
Jean-Michel Basquiat : numéro 1 sur le fil
Hong Kong coiffe New York au poteau et s’offre la meilleure adjudication du premier semestre 2025.
C’est une toile emblématique de Jean-Michel Basquiat, Sabado por la Noche (Saturday Night) (1984), qui s’impose à 14,47 m$ chez Christie’s Hong Kong. Un signal fort pour le marché hongkongais, qui retrouve ici un élan bienvenu. D’autant que cette vente marque une revalorisation nette : la toile s’était adjugée 10,63 m$ chez Christie’s Londres en juin 2019. Soit une hausse de +36,1 % en cinq ans.
Top 10 des oeuvres vendues aux enchères au 1er trimestre 2025
Maqbool Fida Husain : l’artiste indien qui surclasse René Magritte
Coup d’éclat pour Maqbool Fida Husain ! L’artiste indien devance René Magritte, pourtant star incontestée du marché en 2024 et seul à avoir franchi la barre des 100 millions de dollars aux enchères l’an dernier.
Le 19 mars chez Christie’s New York, son œuvre Sans titre (Gram Yatra) a déchaîné les enchères. Monumentale et considérée comme l’une de ses pièces majeures des années 1950, elle était prudemment estimée entre 2,5 et 3,5 millions de dollars. Résultat : un envol spectaculaire bien au-delà des attentes, avec une adjudication à 13,75 m$, soit plus de 10 millions au-dessus de son estimation haute.
C’est un record absolu : jamais un artiste indien n’avait franchi la barre des 10 millions de dollars aux enchères. Husain se hisse ainsi à la deuxième place du Top 10 semestriel, confirmant l’engouement croissant du marché pour les grands maîtres de l’art indien.
Évolution du produit des ventes aux enchères des artistes indiens en 2024 :
- Sayed Haider Raza : 29m$ ⬈ +14%
- Francis Newton Souza : 26,2m$ ⬈ +50%
- Maqbool Fida Husain : 24,5m$ ⬈ +27%
- Ram Kumar : 6,8m$ ⬈ +8
Maqbool Fida HUSAIN (1915-2011)
That Obscure Object of Desire – Ten, Acrylique/toile, 99,4 x 179,8 cm. Estimation: 93 352 $ – 140 028 $. Prix au marteau: 256 718 $
Pundole’s Bombay, Inde, 27/03/2025
Yoshitomo Nara surpasse Tamara de Lempicka, dont le prix flambe x30
Deux portraits majeurs ont marqué les ventes de Londres début mars : d’un côté, une œuvre de Tamara de Lempicka, icône de l’Art déco, célèbre pour ses portraits sophistiqués reflétant le glamour des années 1920-1930 ; de l’autre, une pièce signée Yoshitomo Nara, figure incontournable du néo-pop japonais, dont les enfants faussement candides fascinent par leur mélange de douceur et d’insolence.
Deux époques, deux styles, mais des cotes qui se rejoignent. Mieux encore, la fillette au regard hypnotique de Nara – Cosmic Eyes (in the Milky Lake) (2005) – dépasse la célébrissime artiste Art déco en atteignant 11,5 m$, contre 8,5 millions pour le Portrait du Docteur Boucard (1928). Ce dernier, absent des enchères depuis 40 ans, affichait alors une valeur de 280 500 $ : son prix a été multiplié par trente.
Un autre come-back gagnant
Le Portrait du docteur Boucard n’est pas le seul à rejouer la carte des enchères cette saison. Autre revenant de taille : le Portrait de Lunia Czechowska par Amedeo MODIGLIANI, qui signe ici son quatrième passage en salle des ventes.
Et quel retour : vendu 2,73 m$ en 2003, il décroche cette fois 8,1 millions, soit un joli +196,8 % en 35 ans. Une belle ascension pour ce chef-d’œuvre intemporel, preuve que Modigliani garde la cote et que le marché raffole toujours de ses figures élégantes et énigmatiques.
Enchères féroces à Londres pour Michael Andrews et Lisa Brice
Deux grandes surprises ce trimestre : Michael Andrews et Lisa Brice s’invitent pour la première fois dans un Top 10 mondial, portés par un engouement spectaculaire pour leurs œuvres respectives. School IV: Barracuda under Skipjack Tuna de Michael ANDREWS (7,8 m$) et After Embah de Lisa BRICE (6,89 m$) ont déclenché une bataille d’enchères intense, leurs prix s’envolant sous l’impulsion d’acquéreurs motivés.
Leur ascension tranche avec le calme relatif entourant certaines signatures habituelles du marché de prestige. Andrews et Brice ne se contentent pas d’intégrer ce classement d’élite, ils y brillent avec une ferveur plus manifeste que nombre d’artistes historiques.
Pour Andrews, School IV: Barracuda under Skipjack Tuna pulvérise son record en salles, doublant son estimation basse pour atteindre 7,81 m$, un bond de son record personnel de +95 % en moins d’un an. Quant à Brice, son After Embah impressionne encore davantage, multipliant son estimation basse par cinq et portant son record personnel à +115 %.
Ces résultats envoient un signal clair : les collectionneurs ne se limitent plus aux noms les plus traditionnels et plébiscitent aussi des œuvres contemporaines de premier plan, dès lors que la qualité est au rendez-vous. Derrière un marché de prestige sous tension, les acheteurs restent mobilisés pour les pièces rares, laissant entrevoir de nouvelles revalorisations dans les mois à venir.