Faut-il vraiment être multimillionnaire pour accéder aux œuvres de Matisse, icône de l’art du 20e siècle au même titre que Picasso ? Ses purs chefs-d’œuvre sont réservés aux musées et aux plus fortunés. Cependant, ses estampes et dessins offrent peut-être des opportunités insoupçonnées.

 

Henri Matisse n’est pas seulement un maître incontesté de la couleur et du mouvement ; il est l’âme d’une révolution artistique. Dessins épurés, estampes vibrantes, chaque œuvre révèle un pan fascinant de son génie.

 

Dans son univers dominé par des enchères vertigineuses, quelles sont vraiment les options pour les collectionneurs ?

 

Matisse graveur : une porte d’entrée pour les collectionneurs

Tout commence en 1900 avec une première gravure : un autoportrait à la pointe sèche, hommage à Rembrandt. Très vite, Matisse s’affranchit des traditions pour explorer une gestuelle plus libre, inspirée de Delacroix. En cinquante ans, il touche à tout : eau-forte, lithographie, linogravure… Au total, 829 planches figurent dans son catalogue raisonné. Un travail dense mais méticuleusement contrôlé, avec des tirages limités et des matrices rayées pour éviter tout retirage. Une rigueur qui renforce la rareté et l’attrait de ces œuvres sur le marché.

 

Longtemps restée dans l’ombre de ses peintures, son œuvre gravée connaît aujourd’hui un véritable regain d’intérêt. Le marché a suivi cette montée en puissance : le nombre d’estampes de Matisse vendues aux enchères a bondi de +46 % en dix ans, prolongeant une hausse de +60 % sur la décennie précédente.

 

Matisse est un monument sur le marché de l’art : 49e artiste le plus performant aux enchères en 2024, devant Paul Signac, avec un résultat annuel de 27,5 millions de dollars. Mais c’est son œuvre gravée qui domine les adjudications : 80,7 % des lots vendus sont des estampes. Le phénomène s’explique par une accessibilité qui séduit un large éventail de collectionneurs : plus de la moitié des estampes (54 %) sont adjugées à moins de 2 000$.

Matisse_Oceanie la mer

Henri MATISSE (1869-1954)Océanie, la mer (1946)
Sérigraphie sur lin, Ed. 10 / 30, 164.9 x 379.4 cm
Christie’s Paris, 13 avril 2022. Collection Jacqueline Matisse Monnier
Prix : 2,26 m$. Un exemplaire de cette oeuvre (le numéro 26/30) a atteint un recorde de 4,77m$ chez Christie’s Londres en 2011

 

En parallèle, certaines pièces atteignent des prix à six chiffres et l’un d’elle, Océanie, la mer (1946) se distingue particulièrement. Cette sérigraphie monumentale, longue de près de quatre mètres et éditée à seulement 30 exemplaires, orne les collections des plus grands musées — du Centre Pompidou à la Fondation Beyeler. Sur le marché, ses apparitions sont aussi rares que spectaculaires : selon son état et l’ardeur des enchères, l‘œuvre atteint entre 2 et 5 millions de dollars.

 

Entre ces pièces phares et les centaines de planches accessibles, les collectionneurs naviguent entre prestige et opportunité. Et pour ceux en quête d’un supplément d’originalité dans l’univers des œuvres multiples, le pochoir révèle des atouts uniques, distincts de la gravure ou de la lithographie.

 

Nombre d’oeuvres de Henri Matisse vendues aux enchères par gamme de prix

FR_Matisse nombre de lots vendus par gamme de prix

 

Du ciseau au pochoir : l’esprit des papiers découpés à moindre coût

Souvent éclipsée par d’autres procédés gravés, la technique du pochoir ajoute pourtant une dimension unique à chaque œuvre. Bien qu’elle permette à Matisse de produire des séries, chaque impression garde une touche singulière. Les variations subtiles dans la couleur, la texture ou la forme confèrent à chaque exemplaire un caractère distinct. Ce subtil mélange de reproductibilité et d’unicité offre aux collectionneurs la possibilité d’acquérir une œuvre “unique” d’un maître du 20e siècle, tout en profitant des avantages d’une production en série.

 

Les pochoirs de la série Jazz, édités à 250 exemplaires, sont des œuvres accessibles dans le pur esprit des célèbres papiers découpés de Matisse. Leurs couleurs tranchées et leur simplicité audacieuse se négocient parfois à moins de 5 000 $, même si les plus abouties dépassent allègrement les 10 000 voire les 20 000$.

 

Lors des ventes d’automne 2024 chez Christie’s à New York, une vingtaine de pièces issues de cette série ont trouvé preneur, confirmant l’attrait durable de ces œuvres, qui offrent aux collectionneurs une porte d’entrée privilégiée dans l’univers de Matisse, sans atteindre des enchères à plusieurs millions.

 

Matisse Le cheval, l'écuyère et le clown

Henri MATISSE (1869-1954)Le cheval, l’écuyère et le clown, from Jazz(1947)
Pochoir/Arches. Publ. by Tériade, Paris. Ed. 100, 42,2 x 65,7 cm
Christie’s New York, 25/10/2024. Prix: 32 760 $

 

Les pochoirs et estampes ne sont pas de simples supports pour Matisse. Ils incarnent toute la richesse de son approche artistique, aux côtés de ses peintures ou de ses célèbres papiers découpés. Si les grandes œuvres échappent souvent aux collectionneurs en raison de leur prix, ces techniques plus accessibles offrent une porte d’entrée vers son univers. Ses créations plus discrètes symbolisent ce rare équilibre entre prestige et accessibilité recherché par de nombreux collectionneurs aujourd’hui.

 

Papiers découpés : en quête du juste prix

Les papiers découpés de Matisse, symboles flamboyants de son audace tardive, sont des œuvres uniques (contrairement aux pochoirs) aussi rares que prisées. Pourtant, même les trésors les plus convoités peuvent laisser les collectionneurs de marbre, surtout dans la période actuelle où les achats sont plus réfléchis et plus prudents. Tout est question de juste prix.

 

L’an dernier, un unique papier découpé a fait son apparition aux enchères, ce qui n’avait pas été le cas pendant six longues années. Une occasion en or ? Pas vraiment.

 

APPOLINAIRE

Matisse_Tete de jeune fille

 Henri MATISSE (1869-1954), Apollinaire (1951/52). Découpage, gouache, crayon, 33,4 x 25,9 cm
Bonhams New York, 15/05/2024. Estimation: 500 000 $ – 700 000 $. Non vendu

Tête de jeune fille(1944). Encre de Chine, crayon, 32,5 x 48,8 cm
Christie’s New York, 20/11/2024. 37 800 $

 

L’œuvre en question, un format intime de 33 x 26 cm ayant servi de maquette pour la couverture de l’ouvrage sur le poète Guillaume Apollinaire, publié en 1952, n’a pas trouvé preneur. La fourchette d’estimation proposée par Bonhams – entre 500 000 et 700 000 $ – fut jugée trop ambitieuse. Un tel défaut de vente rappelle que la rareté, critère majeur dans la valorisation d’une œuvre de grand nom, ne séduit pas à n’importe quel prix et peut se heurter à la réalité du marché.

 

Surtout quand, pour une fraction de ce montant, les collectionneurs peuvent s’offrir des dessins à l’encre ou au crayon du maître, certains adjugés autour de 30 000 $, parfois moins. Une alternative plus accessible, pour des œuvres absolument uniques, chargées de la modernité vibrante de Matisse.