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Contrôle et contentieux

Cession à prix minoré : de l'importance des liens entre les parties dans l'appréciation du caractère anormal de la gestion

Cette décision s'inscrit dans le cadre du contentieux fiscal relatif à la théorie de l'acte anormal de gestion qui permet à l'administration fiscale de réintégrer dans le résultat imposable d'une entreprise les conséquences d'actes qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangers à une gestion normale.

 

La Cour rappelle la définition classique de l'acte anormal de gestion comme étant "l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt". Cette définition jurisprudentielle, désormais bien établie, met l'accent sur l'appauvrissement consenti sans contrepartie effective pour l'entreprise.

 

En matière de cession d'éléments d'actif, et plus particulièrement de titres de participation, la Cour précise la méthodologie applicable au contentieux de l'acte anormal de gestion. Lorsque l'administration soutient qu'une cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.

 

La Cour rappelle également les principes d'évaluation des titres non cotés, qui doivent prendre en compte

tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue.

La méthodologie d'évaluation privilégie, par ordre de priorité, le recours à des transactions comparables, puis à défaut, la combinaison de plusieurs méthodes alternatives (patrimoniale, de rentabilité, etc.).

 

Rappel des faits :

La SASU S, exploitant un supermarché à l'enseigne "Hyper U" en Savoie, a été soumise à un rappel d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015, assorti d'intérêts de retard et d'une majoration de 40% pour manquement délibéré.

Le litige porte sur la cession, le 27 août 2015, par la SASU S, de 2.000 titres qu'elle détenait dans la SAS B, société holding, à Monsieur D.C., fils de Monsieur A.C., lequel est l'unique actionnaire et président de la SASU S. Cette cession a été réalisée au prix unitaire de 12,40 € par action, soit un montant total de 24.809 €. Le même jour, Monsieur A.C. a également cédé les 40 titres qu'il détenait dans la SAS B à son fils, au même prix unitaire.

Il convient de noter que la SAS B avait été créée en 2009 pour permettre à Monsieur D.C. d'acquérir les titres de la SAS BD, exploitant un supermarché à l'enseigne "Super U" en Isère. Lors de sa création, la SASU S était entrée au capital de la SAS B à hauteur de 50%, et avait également consenti un versement en compte courant d'associé d'1 M€ pour financer partiellement l'acquisition des titres de la SAS BD réalisée pour un montant de 6.200.000 €.

 

À l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a considéré que la valeur vénale des titres cédés par la SASU S devait être évaluée à 828 euros par action (après avoir initialement retenu une valeur de 1.360 €, ramenée à la suite des observations du contribuable). Constatant un écart significatif entre ce prix et le prix de cession de 12,40 € (soit plus de soixante fois inférieur), l'administration a estimé que cette cession à prix délibérément minoré dissimulait une libéralité consentie au profit de Monsieur D.C., et a réintégré le montant de cette libéralité, soit 1.631.192 €, dans le résultat imposable de la SASU S.

 

L'administration a fondé sa rectification sur le constat d'un écart très significatif entre la valeur vénale des titres et leur prix de cession. Pour déterminer la valeur vénale, elle a retenu que la SAS B, n'exerçant pas d'activité économique propre mais étant une simple holding détenant 100% des titres de la SAS BD, devait être évaluée en fonction de sa valeur patrimoniale, elle-même dépendante de la valeur des titres de sa filiale.

En l'absence de transactions comparables, l'administration a combiné deux méthodes d'évaluation pour les titres de la SAS BD : la valeur mathématique (6.909 € par action) et la valeur de rentabilité (13.781 € par action), aboutissant à une valeur vénale unitaire de 9.200 €, soit une valeur totale des 823 titres de 7.571.724 euros. Elle a ensuite évalué les titres de la SAS B en corrigeant la VNC à la clôture de l'exercice 2015, pour aboutir à une valeur unitaire de 828 €, soit 1.656.000 € pour les 2.000 titres cédés.

L'administration a également relevé l'existence de liens familiaux, d'affection et d'intérêt entre les parties à la transaction, Monsieur D.C. étant le fils de Monsieur A.C., unique associé de la SASU S, et a considéré que ces circonstances permettaient de présumer l'intention libérale.

 

La SASU S a contesté cette imposition devant le tribunal administratif de Lyon, qui a rejeté sa demande par un jugement du 11 juillet 2023. La société a alors fait appel devant la Cour administrative d'appel de Lyon.

 

Elle conteste à la fois l'évaluation de la valeur vénale retenue par l'administration et l'absence de contrepartie à la cession à prix minoré.

  • elle critique les modalités de prise en compte par l'administration de certains paramètres des méthodes combinées, soutenant notamment que le bilan et le compte de résultat de l'exercice 2015 n'étaient pas encore arrêtés à la date de la cession, que la pondération retenue pour cet exercice était surévaluée et que l'estimation de la valeur du fonds de commerce était erronée. Elle soutient également qu'une décote de 30% aurait dû être appliquée sur la valeur patrimoniale de la participation, la SAS B ne détenant que des titres de la SAS BD, et que la décote pour illiquidité des titres ne faisait pas obstacle à d'autres décotes.
  • elle invoque l'existence d'une "convention de traitement du compte courant S ouvert dans les livres de B et de retrait de SODIBA du capital de B" conclue le 9 janvier 2010, qu'elle a qualifiée de convention de portage-sûreté. Cette convention prévoyait, en contrepartie du remboursement du prêt d'un million d'euros avec intérêts, la revente à Monsieur D.C. des parts de la SAS B au prix de souscription au capital social majoré d'un intérêt calculé au taux "EURIBOR 3 mois + 3 points" et la renonciation de la SASU S à appréhender toute éventuelle plus-value. La société a également invoqué l'existence d'un mécanisme de parrainage entre les entreprises exploitant des magasins à l'enseigne "Super U" sous forme de prêts à des conditions avantageuses.

La Cour administrative d'appel de Lyon vient de confirmer le jugement du tribunal administratif et de rejetter la requête de la SASU S

 

Concernant l'existence d'une contrepartie à cette minoration, la Cour a jugé que

  • ni la convention du 9 janvier 2010,
  • ni le mécanisme de parrainage invoqué

ne permettaient de caractériser une contrepartie consentie dans l'intérêt de la SASU S au prix minoré fixé pour l'achat des titres de participation d'une filiale acquise pour un montant de plus de 6 M€.

Le contribuable n'avançant aucun autre motif susceptible de justifier que l'appauvrissement consécutif à la cession à prix minoré aurait été décidé dans l'intérêt de l'entreprise ou que celle-ci se serait trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, la Cour a confirmé que l'administration avait apporté la preuve du caractère anormal de l'acte de cession.

 

 

Nouvelle illustration jurisprudentielle de l'importance des liens entre les parties dans l'appréciation du caractère anormal de la gestion. La présence de relations familiales entre les responsables des entités concernées (père et fils en l'espèce) renforce la présomption d'intention libérale.

Cette solution est conforme à une jurisprudence constante qui considère que les relations d'intérêts entre les parties à une transaction constituent un indice fort du caractère anormal de la gestion lorsque l'une des parties s'appauvrit au profit de l'autre.

 

Publié le lundi 19 mai 2025 par La rédaction

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