Précisions relatives aux conditions dans lesquelles l'administration fiscale a l'obligation (et non plus seulement la faculté) de réexaminer une situation fiscale définitivement jugée à la lumière d'une jurisprudence européenne postérieure. Dans ce cas les dégrèvements prononcés doivent être assortis d'intérêts moratoires.
L'article L. 208 du LPF prévoit que lorsque l'État est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou lorsqu'un dégrèvement est prononcé par l'administration suite à une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires au taux de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du CGI.
L'article R. 211-1 du même livre dispose que l'administration fiscale peut prononcer d'office le dégrèvement ou la restitution d'impositions indues jusqu'au 31 décembre de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle le délai de réclamation a pris fin, ou, en cas d'instance juridictionnelle, celle au cours de laquelle la décision est intervenue.
Selon la jurisprudence de la CJUE (Arrêt du 13 janvier 2004, Kühne et Heitz NV, affaire C-453/00), le principe de coopération loyale impose à un organe administratif de réexaminer une décision administrative définitive pour tenir compte de l'interprétation retenue entre-temps par la Cour lorsque quatre conditions cumulatives sont remplies :
- l'organe dispose, selon le droit national, du pouvoir de revenir sur cette décision ;
- la décision est devenue définitive en conséquence d'un arrêt d'une juridiction nationale statuant en dernier ressort ;
- cet arrêt est fondé sur une interprétation erronée du droit de l'Union adoptée sans que la Cour ait été saisie à titre préjudiciel ;
- et l'intéressé s'est adressé à l'organe administratif immédiatement après avoir pris connaissance de cette jurisprudence.
Dans l'arrêt Kempter du 12 février 2008 (Affaire C-2/06), la CJUE a précisé que le droit de l'Union n'impose aucune limite dans le temps pour introduire une demande visant au réexamen d'une décision administrative définitive, les États membres restant néanmoins libres de fixer des délais de recours raisonnables, conformément aux principes d'effectivité et d'équivalence.
Rappel des faits :
Les deux affaires concernent la société belge GBL qui avait fait l'objet de retenues à la source sur des dividendes perçus d'une société française au cours de différentes périodes (1999-2005 pour la première affaire et 2008-2010 pour la seconde), en application de l'article 119 bis du CGI et de la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964.
GBL avait contesté ces impositions devant les juridictions administratives françaises, mais ses recours avaient été définitivement rejetés par des décisions du Conseil d'État (le 10 février 2016 pour la première période et le 21 novembre 2016 pour la seconde).
Toutefois, le 22 novembre 2018, dans l'arrêt Sofina (C-575/17), la CJUE a jugé que les articles 63 et 65 du TFUE s'opposent à une réglementation nationale prévoyant une retenue à la source sur les dividendes versés à une société non-résidente, alors que les sociétés résidentes ne sont imposées qu'en cas de résultat bénéficiaire.
À la suite de cette décision, GBL a demandé à l'administration fiscale française de faire usage de la faculté prévue à l'article R. 211-1 du LPF pour lui restituer les retenues à la source litigieuses, considérées comme contraires au droit de l'Union. Face au silence de l'administration, GBL a saisi le tribunal administratif de Montreuil, qui a rejeté ses demandes par deux jugements du 4 octobre 2023.
La société s'est pourvue en cassation demandant au Conseil d'Etat:
- d'annuler les jugements du TA de Montreuil ;
- de régler l'affaire au fond et de faire droit à sa demande ;
- de renvoyer à la CJUE, à titre préjudiciel, la question de savoir si l'interprétation qu'il fait des dispositions de l'article R. 211-1 du LPF est conforme aux principes du droit de l'Union de primauté, d'effectivité et de coopération loyale et de surseoir à statuer jusqu'à ce que cette cour se soit prononcée
Le Conseil d'État établit d'abord un principe général et des exceptions :
En principe, la décision de l'administration fiscale de faire usage du pouvoir conféré par l'article R. 211-1 du LPF revêt un caractère purement gracieux, rendant irrecevable tout recours contre un refus d'accorder un dégrèvement sur ce fondement.
La doctrine BOFIP précise à cet égard que la procédure de dégrèvement d'office présente un caractère facultatif (BOI-CTX-DRO-10)
S'agissant des voies de recours, la doctrine BOFIP précitée précise :
Si le délai légal de réclamation n'est pas expiré au moment où la décision de dégrèvement d'office lui est notifiée, le contribuable peut présenter une réclamation régulière à l'Administration, dans les conditions exposées au BOI-CTX-PREA-10-10 (réponse n° 6493, Robert Liot, JO débats Sénat du 5 mars 1967, p. 62).
90
Si ce délai est expiré, la possibilité donnée au service de prononcer des dégrèvements ou des restitutions d'office n'ouvre pas aux contribuables un droit dont ils peuvent se prévaloir pour revendiquer des dégrèvements d'impôts, droits ou taxes à l'égard desquels ils n'auraient pas produit, dans le délai légal, une réclamation régulière (Conseil d'État, arrêt du 23 janvier 1914, n° 53472, R.O. 4580 et Lebon p. 80).
100
Le contribuable ne peut donc déférer au tribunal, s'il ne la juge pas entièrement satisfaisante, la décision qui a été prise en sa faveur par l'Administration.
Toutefois, le Conseil d'État affirme aujourd'hui qu'une exception s'applique lorsque le rejet d'une réclamation fiscale est devenu définitif en conséquence d'une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort qui s'avère, au vu d'une jurisprudence postérieure de la CJUE, fondée sur une interprétation erronée du droit de l'Union.
Dans ce cas, si le contribuable demande le réexamen de sa situation après avoir pris connaissance de cette jurisprudence, l'administration est tenue de faire usage du pouvoir conféré par l'article R. 211-1 du LPF, dans le délai prévu, pour tenir compte de l'interprétation retenue entre-temps par la Cour.
Le Conseil d'État en tire deux conséquences importantes :
- dans un tel cas, la décision de l'administration ne revêt pas un caractère gracieux (mais obligatoire) et les dégrèvements ou restitutions prononcés doivent donner lieu au paiement des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du LPF ;
- le refus de procéder au réexamen et, le cas échéant, de verser les intérêts moratoires est susceptible de recours devant la juridiction administrative.
Sur la question de compétence, le Conseil d'État distingue :
- Pour les périodes où le rejet initial était fondé sur une interprétation erronée du droit de l'Union (années 2003-2005 et 2008-2010), les recours contre les jugements du tribunal administratif ne constituent pas des pourvois en cassation mais des appels relevant de la compétence de la cour administrative d'appel de Paris.
- En revanche, pour les périodes où le rejet initial était fondé sur l'irrecevabilité de la demande initiale (années 1999-2002), le Conseil d'État confirme que la demande de dégrèvement relevait de la matière gracieuse et que les conclusions tendant à l'annulation du jugement sur ce point constituent bien un pourvoi en cassation.
Sur ce dernier point, le Conseil d'État rejette le pourvoi, estimant que le tribunal administratif n'a commis ni erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier en jugeant irrecevables les conclusions relatives aux années 1999-2002, eu égard au caractère gracieux de la demande pour ces années.
Pour les contribuables, cette jurisprudence ouvre la possibilité de solliciter le réexamen de situations fiscales définitivement jugées lorsqu'une jurisprudence européenne postérieure remet en cause l'interprétation retenue initialement, avec à la clé non seulement le remboursement des impositions indues mais également le versement d'intérêts moratoires.
Soulignons que le jour même la Haute juridiction a rendu deux autres décisions (N° 488549 et n°488551) qui s'inscrivent également dans la problématique du réexamen administratif des impositions définitives à la lumière d'une jurisprudence européenne postérieure, et plus particulièrement de la question des intérêts moratoires afférents aux sommes remboursées dans ce cadre.