Alors que les députés avaient adopté, le 1er novembre 2025, un « IFI Improductif » fruit d’un compromis inattendu entre le MoDem et le Parti Socialiste, le Sénat riposte avec sa propre vision de la taxation de la fortune. Au travers de deux amendements identiques la majorité sénatoriale propose d’instituer une « Contribution des Hauts Patrimoines » (CHP). Si les deux chambres s'accordent sur la nécessité d'élargir l'assiette aux liquidités et aux biens de luxe, elles s'opposent sur le sort de l'immobilier locatif et sur le seuil d'assujettissement.
Le Sénat et l'Assemblée Nationale partent du même constat : l'IFI, tel qu'il existe depuis 2018, présente une incohérence économique majeure. Il taxe l'immobilier locatif, pourtant productif puisqu'il répond aux besoins de logement, tout en exonérant des actifs improductifs comme les liquidités dormantes, les yachts, ou les cryptomonnaies.
Comme le souligne l'exposé des motifs des amendements sénatoriaux, une stratégie "anti-économique" consistant à vendre un appartement loué pour laisser le produit sur un compte courant ou acheter un yacht permet aujourd'hui d'échapper à l'IFI. L'objectif affiché est donc d'encourager l'investissement productif tout en taxant la rente et les actifs de jouissance.
Les points de convergence entre les deux textes
- Concernant l'élargissement de l'assiette, les deux versions incluent désormais dans le champ de l'impôt les liquidités et placements financiers assimilés (comptes courants, livrets, fonds monétaires), les biens meubles corporels (voitures de collection, yachts, objets précieux), les actifs numériques (cryptomonnaies), ainsi que les droits de propriété intellectuelle dont le redevable n'est pas l'auteur.
- Concernant la protection de l'investissement productif, les deux textes préservent les placements de long terme orientés vers l'économie réelle (Ex : assurances-vie en unités de compte), qui restent exonérées dans les deux versions.
La version sénatoriale est nettement plus favorable aux contribuables sur plusieurs points :
- Le relèvement du seuil à 2,57 M€ vise, selon l'exposé des motifs, à ne pas imposer les ménages devenus imposables du seul fait de l'inflation immobilière mais ne disposant pas de revenus suffisants pour être qualifiés de "fortunés".
La différence fondamentale porte sur l'immobilier locatif : le Sénat l'exonère totalement, considérant qu'il s'agit d'un investissement productif contribuant à la croissance et répondant aux besoins de logement. En effet l'article 965 du CGI serait modifié et inclurait :
« 1° Logements dont le redevable se réserve la jouissance ;
« La réserve de jouissance est établie pour les logements occupés à titre de résidence principale ou utilisés comme résidence secondaire par les personnes mentionnées au même article 964, mis gratuitement à la disposition d’un tiers, loués fictivement ou laissés vacants.
« Ne sont pas considérés comme étant réservés à la jouissance du redevable :
« a) Les locaux vacants que le redevable établit avoir mis en location en effectuant toutes diligences à cet effet ;
« b) Les immeubles en cours de construction, lorsque le redevable a manifesté clairement, auprès de l’administration, son intention de louer le logement, une fois celui-ci achevé.
Pour le Sénat, l'immobilier locatif participe indéniablement à l'économie : il génère des revenus imposés, répond à une demande sociale de logement, et mobilise du capital dans l'économie réelle. La pierre-papier et l'investissement locatif ne sauraient être assimilés à une "rente".
À l'inverse, les députés, sous l'impulsion des sous-amendements socialistes, ont supprimé l'exonération initialement prévue par M. Mattei. Pour l'Assemblée nationale, en revanche, l'immobilier reste une forme de patrimoine qui doit contribuer à l'effort fiscal, indépendamment de son caractère locatif.
Tableau comparatif : IFI Improductif (Assemblée) et Contribution Hauts Patrimoines (Sénat)
Voici les différences entre la version adoptée par les députés (Amendement Mattéi sous-amendé par le député Brun) et la version adoptée par le Sénat. Rappelons que les deux amendements ont reçu un avis Favorable de la Commission des Finances et de sagesse du Gouvernement
La commission mixte paritaire devra trancher entre ces deux approches. Les points de friction principaux porteront sur le seuil d'assujettissement (1,3 M€ vs 2,57 M€), le traitement de l'immobilier locatif (taxé ou exonéré), et le régime de la résidence principale (exonération plafonnée ou inclusion avec abattement). Il est notable que le Gouvernement a émis un avis de "sagesse" sur les amendements sénatoriaux, ce qui laisse une marge de manœuvre pour la négociation, contrairement au double avis défavorable reçu par le texte adopté à l'Assemblée nationale.
Affaire à suivre en CMP...