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Location hôtelière et déductibilité de la TVA : de l'indivisibilité des prestations à finalité unique

Décision en matière de qualification des prestations de location immobilière dans le secteur de l'hébergement touristique qui prévoit que la location d'un village de vacances et celle d'un bâtiment distinct destiné au logement du personnel, prévues dans un même bail, constituent une prestation unique soumise dans son intégralité à la TVA.

 

Le principe général, posé par l'article 261 D du CGI dans sa rédaction applicable au litige, établit une exonération de TVA pour les locations de logements meublés ou garnis à usage d'habitation, qu'elles soient occasionnelles, permanentes ou saisonnières. 

 

Ce principe connaît toutefois des exceptions. Ainsi, l'alinéa a de l'article 261 D-4° du CGI, dans sa version antérieure à la réforme opérée par la LF pour 2024 (Art.84), exclue du bénéfice de l'exonération les prestations d'hébergement fournies dans les hôtels de tourisme classés et les villages de vacances classés ou agréés. L'alinéa c étend cette taxation aux locations de locaux, qu'ils soient nus, meublés ou garnis, consenties à l'exploitant d'un établissement d'hébergement remplissant les conditions précitées. Le législateur a ainsi créé un mécanisme d'assimilation fiscale par lequel le bailleur qui loue des locaux à un exploitant hôtelier est réputé participer lui-même à l'activité hôtelière et doit donc être soumis au même régime de taxe.

 

Par ailleurs, dans son arrêt Frenetikexito du 24 mars 2021, que le Conseil d'État cite explicitement dans la décision que nous évoquons ici, la CJUE a rappelé que si, en principe, chaque prestation doit être regardée comme distincte et indépendante, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA. La Cour a précisé qu'il existe une prestation unique lorsque plusieurs éléments ou actes fournis par l'assujetti au client sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable. Pour caractériser une telle opération complexe unique, la jurisprudence européenne invite à identifier les éléments caractéristiques de l'opération en se plaçant du point de vue du consommateur moyen. Le faisceau d'indices mobilisé comprend des éléments d'ordre intellectuel, d'importance décisive, visant à établir le caractère indissociable des éléments et leur finalité économique, ainsi que des éléments d'ordre matériel, tels que l'accès séparé ou la facturation distincte, qui viennent au soutien de l'analyse sans avoir un caractère décisif.

 

La jurisprudence européenne a également développé le concept de prestation accessoire. Une opération constitue une prestation unique lorsqu'un élément principal peut être identifié et que d'autres éléments doivent être regardés comme accessoires, partageant dès lors le sort fiscal de la prestation principale. Le critère essentiel réside dans l'absence de finalité autonome de la prestation accessoire du point de vue du consommateur moyen. Celle-ci constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal (CJUE, arrêt du 2 juillet 2020, aff. C-231/19, Blackrock Investment Management). Un second critère, qui constitue un indice du premier, tient à la valeur respective des prestations (CJCE, arrêt du 22 octobre 1998, aff. C-308/96 et C-94/97, Madgett et Baldwin) composant l’opération économique, l’une s’avérant minime, voire marginale, par rapport à l’autre

 

Rappel des faits :

La société VT  a conclu le 8 juillet 2013 avec la société CM un bail commercial portant sur la location de deux immeubles équipés qu'elle s'engageait à construire sur le territoire d'une commune en Savoie. Le premier immeuble, désigné "Village de vacances", était principalement destiné à accueillir un village de vacances exploité par CM. Cet immeuble comprenait néanmoins quelques chambres spécifiquement prévues pour le logement du personnel d'exploitation du village de vacances. Le second immeuble, dénommé "Val Roc", était quant à lui entièrement dédié au logement du personnel du village de vacances, sans aucune affectation touristique directe.

 

Cette configuration immobilière, qui associait dans un même ensemble contractuel des locaux affectés à l'hébergement touristique et des locaux destinés au logement du personnel d'exploitation, posait la question de la qualification fiscale à retenir. L'administration fiscale, à l'issue d'une vérification de comptabilité, a considéré qu'il convenait d'analyser distinctement deux prestations. D'une part, la location des locaux destinés à l'accueil des vacanciers constituait selon elle une opération imposable à la TVA en application des dispositions combinées des alinéas a et c de l'article 261 D-4° du CGI. D'autre part, la location des locaux dédiés au logement du personnel devait être regardée comme une opération exonérée de taxe.

 

Partant, elle a partiellement remis en cause la déduction de la TVA ayant grevé la construction et l'équipement des immeubles

 

La société VT a contesté cette analyse administrative en saisissant le TA de Grenoble d'une demande en décharge des rappels de TVA. La société faisait valoir que l'opération de location devait être appréhendée dans sa globalité, et qu'il était artificiel de la décomposer en fonction de l'affectation matérielle de chaque espace. Par un jugement du 28 avril 2022, le TA a rejeté cette demande, entérinant l'analyse de l'administration fiscale. Les premiers juges ont estimé que la distinction entre les locaux selon leur affectation était juridiquement fondée et qu'il convenait d'appliquer à chaque catégorie d'espaces le régime fiscal correspondant à son usage.
VT a fait appel de ce jugement devant la CAA de Lyon, développant une argumentation fondée sur les principes dégagés par la jurisprudence européenne en matière de prestation unique et de prestation accessoire. Elle soutenait que l'ensemble des locaux participait d'une même logique économique et que les espaces dédiés au logement du personnel constituaient soit une composante indissociable de l'activité hôtelière pour les chambres situées dans l'immeuble "Village de vacances", soit une prestation accessoire pour l'immeuble "Val Roc" entièrement dédié au personnel.
Par un arrêt du 28 décembre 2023, la CAA de Lyon a rejeté l'appel, confirmant ainsi le jugement de première instance. Les juges d'appel ont considéré que la location des locaux destinés au logement du personnel constituait une prestation distincte de celle portant sur les locaux affectés à l'hébergement des vacanciers, justifiant une taxation différenciée et, par voie de conséquence, une limitation du droit à déduction.

 

VT s'est pourvue en cassation.

 

Le Conseil d'État vient de censurer l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon au motif d'une inexacte qualification juridique des faits. 

 

Le Conseil d'État a censuré l'approche de l'administration et des juges du fond en appliquant les critères européens de la prestation unique issus de l'arrêt Frenetikexito.

 

  • Pour l'immeuble "Village de vacances", la Haute juridiction a constaté que l'ensemble des locaux concourait à la même finalité économique, à savoir l'exploitation du village de vacances. Elle a ensuite relevé trois éléments matériels décisifs :
    • le bail est indivisible et ne permet pas de louer seulement une partie des locaux,
    • la location séparée des chambres du personnel aurait été matériellement impossible,
    • et ces chambres ne font pas l'objet d'un loyer distinct.

Le Conseil d'État en conclut que la location de cet immeuble constitue une prestation unique indissociable.

 

  • Concernant l'immeuble "Val Roc", le raisonnement repose sur la notion de prestation accessoire.
    • Le Conseil d'État souligne que la cour d'appel avait elle-même reconnu que cet immeuble constituait un moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de l'exploitation du village de vacances, ce qui correspond exactement à la définition de la prestation accessoire.
    • De plus, la valeur de cet immeuble représentait une part minime du loyer total, second critère caractérisant une prestation accessoire.

La Haute juridiction en déduit que la location de "Val Roc" ne peut être regardée comme une prestation indépendante.

 

Partant, le Conseil d'État a jugé que l'ensemble des locaux, qu'ils soient destinés aux clients ou au personnel, formait une opération unique soumise au régime de la TVA applicable aux locations hôtelières. La société était donc fondée à déduire l'intégralité de la TVA ayant grevé la construction et l'équipement des deux immeubles. Le Conseil d'État annule les décisions des juges du fond et décharge totalement la société des rappels de TVA.

 

Cette décision consacre le principe selon lequel la finalité économique globale d'une opération doit primer sur l'affectation matérielle de ses différentes composantes. Elle interdit la décomposition artificielle d'une prestation économiquement unique et impose une analyse fondée sur la cohérence économique de l'ensemble plutôt que sur une lecture fragmentée des textes.

 

Publié le vendredi 10 octobre 2025 par La rédaction

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