Nouvelle illustration de la rigueur procédurale qui s'attache au contentieux du rescrit fiscal et l'importance pour les contribuables de respecter scrupuleusement les délais et conditions posés par les textes pour bénéficier des garanties qu'ils prévoient.
L'article L. 80 B du LPF prévoit plusieurs procédures de rescrit, dont celle spécifique au CIR visée au 3° de cet article. Cette procédure permet à un contribuable de demander à l'administration si son projet de recherche est éligible au CIR prévu à l'article 244 quater B du CGI.
Pour bénéficier de cette garantie, la demande doit être déposée au moins six mois avant la date limite de dépôt de la déclaration spéciale. Pour les projets pluriannuels, ce délai s'apprécie par rapport à la première déclaration relative au projet.
La demande de prise de position formelle doit être déposée au moins six mois avant la date limite de dépôt de la déclaration spéciale n° 2069-A-SD (CERFA n° 11081).
Il est rappelé que cette déclaration spéciale doit être souscrite, pour les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, avec le relevé de solde n° 2572-SD (CERFA n° 12404) et pour les autres entreprises, dans le même délai que la déclaration annuelle de résultat qu'elles sont tenues de souscrire en application de l'article 53 A du CGI
Lorsque le projet de recherche est pluriannuel, cette demande doit être effectuée au moins six mois avant la date limite de dépôt de la première déclaration spéciale relative à ce projet et être renouvelée chaque année pour les PME sollicitant la validation du montant de leurs dépenses de recherche. En cas de modification du projet de recherche pluriannuel initialement soumis à l'administration (par exemple la modification de certaines composantes de ce projet), les entreprises ayant déjà obtenu une prise de position formelle confirmant l'éligibilité de leur projet au CIR ou au CICo peuvent solliciter une révision de cette décision. Cette demande de révision doit être déposée au moins six mois avant la date limite de dépôt de la déclaration spéciale n° 2069-A-SD. L'administration se prononce sur la demande de révision dans le délai de trois mois prévu au 3° de l'article L. 80 B du LPF.
BOI-SJ-RES-10-20-20-20, n°20
L'article L. 80 CB du LPF offre une possibilité de second examen lorsque l'administration a pris formellement position à la suite d'une demande. Ce second examen doit être sollicité dans un délai de deux mois suivant la réponse initiale de l'administration.
Rappel des faits :
En l'espèce, M. A, LMP, avait interrogé l'administration fiscale sur l'éligibilité au CIR de deux projets distincts :
- Un projet de caravanes transformables débuté en 2019, pour lequel il avait adressé une demande de rescrit le 22 septembre 2020. Auparavant, il avait déjà déclaré un crédit d'impôt de 6 375 € au titre de ce projet dans une déclaration rectificative souscrite le 11 septembre 2020, crédit d'impôt que l'administration avait accordé par dégrèvement le 26 octobre 2020. Le 24 novembre 2020, l'administration avait toutefois émis un avis défavorable sur l'éligibilité du projet au CIR, au motif que la demande ne comportait pas de description précise du projet et que celui-ci ne présentait pas de caractère scientifique ou technique. M. A. avait alors sollicité un second examen le 18 décembre 2020, qui avait abouti à une confirmation de l'avis défavorable le 28 mai 2021.
- Un projet en matière hydroélectrique et sédimentaire concernant notamment le barrage de Pont-Rolland, pour lequel il avait déposé une demande de rescrit le 18 décembre 2020. Pour ce projet, l'administration avait répondu négativement le 15 mars 2022, considérant d'une part que la demande était tardive, et d'autre part que le projet ne présentait pas de caractère scientifique ou technologique.
Parallèlement, M. A. avait déposé des déclarations rectificatives pour les années 2017 à 2019 et des déclarations pour 2020 intégrant des crédits d'impôt au titre de ces projets. L'administration avait ensuite adressé des propositions de rectification remettant en cause ces crédits d'impôt.
Le tribunal administratif de Rennes avait rejeté les demandes de M. A. visant à faire reconnaître l'éligibilité de ses projets au CIR et à annuler les décisions défavorables de l'administration. M. A. a alors interjeté appel devant la Cour administrative d'appel de Nantes.
La CAA de Nantes vient de rejeter l'appel de M. A.confirmant le jugement de première instance et apportant à cette occasion d'importantes précisions sur le contentieux du rescrit fiscal.
Sur le fond du litige
- Concernant la décision du 28 mai 2021 (projet de caravanes transformables)
La Cour rappelle d'abord le cadre juridique applicable au contentieux du rescrit fiscal, précisant qu'une prise de position formelle de l'administration a le caractère d'une décision susceptible de recours. En principe, cette décision ne peut être contestée par le contribuable par la voie du recours pour excès de pouvoir (REP), mais par le recours de plein contentieux devant le juge de l'impôt.
Toutefois, la voie du recours pour excès de pouvoir est ouverte lorsque la prise de position de l'administration entraînerait des effets notables autres que fiscaux, notamment lorsqu'elle ferait peser de lourdes sujétions économiques sur le contribuable ou l'amènerait à renoncer à un projet important.
Sur ce fondement, la Cour examine les moyens soulevés par M. A. :
- Elle écarte d'abord le moyen tiré de l'existence d'une décision tacite d'acceptation. La Cour constate que s'agissant d'un projet pluriannuel débuté en 2019, la demande de rescrit aurait dû être présentée au moins six mois avant la date limite de dépôt de la première déclaration spéciale (soit avant novembre 2019). Or, la demande n'a été présentée que le 22 septembre 2020, donc tardivement. Par conséquent, cette demande ne relevait pas du 3° de l'article L. 80 B (rescrit spécifique au CIR) mais du 1° du même article (rescrit général), qui ne prévoit pas de décision tacite d'acceptation.
- Elle rejette également l'argument selon lequel le dégrèvement accordé le 26 octobre 2020 constituerait une prise de position formelle sur l'éligibilité du projet au CIR. La Cour note que ce dégrèvement n'est pas motivé et ne comporte donc aucune prise de position formelle.
- Enfin, elle écarte le moyen tiré de la méconnaissance de la doctrine administrative (paragraphes 230, 240 et 370 de la doctrine BOFIP BOI-SJ-RES-10-20-20-20), considérant que dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, le requérant ne peut se prévaloir de la garantie prévue par l'article L. 80 A du LPF (garantie contre les changements de doctrine).
Concernant la décision du 15 mars 2022 (projet hydroélectrique)
La Cour confirme l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation de cette décision, au motif que M. A n'a pas sollicité de second examen dans les conditions prévues à l'article L. 80 CB du LPF. Ce préalable obligatoire conditionne la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre une prise de position de l'administration.
TL;DR
- Le recours pour excès de pouvoir (REP) est ouvert contre les prises de position de l'administration dans le cadre d'un rescrit fiscal, mais à la condition que le contribuable ait préalablement épuisé la procédure de second examen prévue à l'article L. 80 CB du LPF.
- L'article L. 80 B-3° du LPF, impose le respect du délai de six mois avant la date limite de dépôt de la première déclaration spéciale pour les projets pluriannuels
- Un dégrèvement non motivé ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration sur l'éligibilité d'un projet au CIR.