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Impôt sur le revenu

Décharge de solidarité fiscale : Quand le juge protège le contribuable vulnérable face à la fraude du conjoint

Nouvelle illustration de l'application du mécanismes de décharge de la solidarité fiscale entre époux, particulièrement dans un contexte de fraude imputable à l'un des conjoints et de précarité financière de l'autre. 

 

Pour mémoire, l'article 1691 bis du CGI pose le principe de solidarité du paiement de l'impôt, notamment de l'impôt sur le revenu, pour les époux ou partenaires d'un pacte civil de solidarité (PACS). Dès lors, en cas de divorce ou de dissolution du PACS, les ex-conjoints peuvent être recherchés pour le paiement du montant total de l’imposition dû pendant la période de leur union, sans qu’il y ait lieu de procéder entre eux à une répartition de la dette fiscale du foyer. Dans certains cas, la dette fiscale peut donc peser lourdement et injustement sur l’un des ex conjoint, malgré la signature d’un contrat de séparation de biens.

 

Un époux ou partenaire de PACS peut néanmoins demander une décharge de responsabilité solidaire (DRS) et se la voir accorder dès lors qu'il remplit trois conditions, fixées à l'article 1691 bis-II du CGI :

  • être effectivement séparé de son époux ou partenaire ;
  • être à jour de ses obligations déclaratives  ;
  • il existe à la date de la demande une « disproportion marquée » entre la situation patrimoniale et financière du demandeur nette de charges et la dette fiscale dont il est solidairement responsable.

L'administration fiscale apprécie en premier lieu la disproportion à l'aune de la situation patrimoniale du demandeur, dont elle exclut néanmoins la résidence principale, quelle qu'en soit la valeur. Si le demandeur dispose d'un patrimoine suffisant pour s'acquitter de la dette fiscale, la disproportion marquée n'est pas qualifiée et la demande de décharge est alors rejetée. Si tel n'est pas le cas, l'administration fiscale examine la situation financière du demandeur sur une période n'excédant pas trois années (Cette disposition a été prévue à l'article 139 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022. Auparavant, la situation financière était appréciée sur dix ans.) et apprécie alors la disproportion « en effectuant la comparaison entre d'une part, le montant de la dette fiscale, diminuée de la valeur du patrimoine [du demandeur] et, d'autre part, la situation financière nette du demandeur (BOI-CTX-DRS-10)

 

Enfin, rappelons que l'article 4 de la loi du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille a apporté une évolution dans le traitement des situations de solidarité fiscale entre époux en élargissant les possibilités de décharge de responsabilité fiscale. Cet article a, en effet, modifié l'article L. 247 du LPF pour étendre le champ des décharges gracieuses, particulièrement dans les cas où un époux a subi le comportement frauduleux de son conjoint vis-à-vis de l'administration fiscale. Cette modification s'inscrit dans le contexte plus large du principe de solidarité fiscale entre époux et partenaires de PACS, posé par l'article 1691 bis du CGI, notamment en matière d'impôt sur le revenu.

 

Rappel des faits :

Mme C et son ex-partenaire, M. B, ont fait l'objet d'un redressement fiscal au titre de l'année 2020 pour un montant total de 10 395 €, droits et pénalités compris. Ce redressement résultait de la remise en cause d'un crédit d'impôt perçu suite à une déclaration rectificative frauduleuse datée du 22 octobre 2021.

Mme C, qui s'est séparée de M. B le 29 octobre 2021, a sollicité le 7 juin 2023 la décharge de son obligation solidaire de paiement sur le fondement de l'article 1691 bis du CGI, arguant de l'origine frauduleuse de la déclaration imputable à son ex-mari et de sa situation financière précaire.

L'administration fiscale a rejeté sa demande par une décision du 10 octobre 2023. Devant le Tribunal Administratif de Lyon, le Directeur régional des finances publiques a maintenu sa position de rejet, soutenant que le moyen soulevé par Mme C n'était pas fondé. Pour l'administration, le fait que le crédit d'impôt frauduleux ait été versé sur le compte personnel de Mme C impliquait nécessairement sa connaissance des manœuvres de M. B, ce qui, selon elle, faisait obstacle à la décharge.

Mme C, quant à elle, a réitéré ses arguments, insistant sur le fait que la fraude était le fait de son ex-mari et que ses ressources financières étaient limitées, la plaçant en situation de précarité.


 

Le Tribunal Administratif de Lyon vient de faire droit à la demande de Mme C 

 

Le juge a d'abord constaté que la condition tenant à la rupture de la vie commune était remplie, Mme C s'étant séparée de M. B le 29 octobre 2021, soit avant sa demande de décharge.

 

Sur l'argument principal de l'administration concernant la participation supposée à la fraude, le Tribunal a opéré une distinction :

 

Il a jugé que le simple fait que le montant du crédit d'impôt ait été versé sur le compte bancaire personnel de Mme C, même si cela s'est produit pendant la période d'imposition commune, ne pouvait être considéré comme constitutif d'une organisation d'insolvabilité ou d'une manœuvre tendant à faire obstacle au paiement de l'impôt au sens de l'article 1691 bis- II-3° du CGI. Le juge a ainsi mis à la charge de l'administration la preuve de la participation frauduleuse de la requérante, preuve qui n'a pas été rapportée. L'absence de démonstration par l'administration que Mme C se serait frauduleusement soustraite au paiement des impositions en cause a donc été déterminante. Le Tribunal a également relevé que Mme C avait respecté ses obligations déclaratives depuis la fin de la période d'imposition commune.

 

Enfin, s'agissant de la situation financière de Mme C, le Tribunal a constaté l'existence d'une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale (10 395 €) et ses capacités. Il a relevé que Mme C ne travaillait pas, percevait le RSA, assumait seule la charge de sa fille alors âgée de deux ans et ne possédait aucun patrimoine. Ces éléments, non contestés par l'administration, ont conforté le juge dans sa décision de prononcer la décharge.


 

TL;DR

  • la simple perception du bénéfice d'une fraude sur le compte bancaire du conjoint ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une participation frauduleuse au sens de l'article 1691 bis du CGI. L'administration ne peut se contenter d'une présomption de connaissance ou de participation ; elle doit démontrer l'existence de manœuvres actives visant à organiser l'insolvabilité ou à faire obstacle au paiement de l'impôt. 
  • De plus, l'arrêt confirme la souplesse du juge dans l'appréciation de la précarité financière. La prise en compte du statut de non-travailleur, de la perception du RSA, de la charge d'enfant et de l'absence de patrimoine sont des éléments qui justifient une disproportion marquée et, partant, la décharge de l'obligation solidaire.

Publié le mercredi 2 juillet 2025 par La rédaction

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