Les fêtes de fin d’année, et en particulier la période de Noël, sont l’occasion d’échanges de cadeaux souvent motivés par des liens d’affection ou des traditions familiales. Derrière l’apparente simplicité de ces gestes de générosité se cache une certaine complexité juridique et plus particulièrement concernant l’étroite frontière entre « présent d’usage » et « donation »/« don manuel ». Leur conséquences fiscales ou successorales sont notables tant pour le bénéficiaire que pour le donateur. Eclairage pratique de cette qualification juridique empreinte de certaines zones d’ombres.
Article de Clément Colombel, Diplômé Notaire, Michelez Notaires Paris
Donner c’est donner, reprendre c’est voler
Derrière ce proverbe français bien connu de tous, se cache l’idée que la donation est un acte fort et important. En 2019, la générosité des Français avoisinait les 8,5 milliards d’euros dont 59% issue des particuliers pour environ 5 milliards d’euros. Cette générosité s’étend aussi aux dons familiaux.
Le principe d’une donation est repris par l’article 843 du Code Civil prévoyant que « tout héritier […] doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donation entre vifs […] ». En d’autres termes, lors de la succession du donateur, le bénéficiaire d’un don de son vivant a l’obligation de rappeler à ses cohéritiers le fait qu’il a reçu un don et ce qu’il est devenu. Le sujet peut être complexe comme nous le verrons en ce qui concerne un don de somme d’argent investi ultérieurement. Cette règle de « rapport successoral » concerne aussi bien les dons manuels (enregistrés ou non auprès de l’administration fiscale) que les donations notariées. Deux exceptions sont à souligner quant à l’application de cette règle de principe :
- La donation-partage, réputée « non rapportable »,
- Les présents d’usage.
Nous nous intéresserons ici plus particulièrement au présent d’usage.
Comme indiqué en préambule, l’article 852 du Code Civil exonère de rapport à la succession du donateur les présents d’usage consentis à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés. Ce cadeau « civil » présente toutefois un certain nombre de conditions.
1. Présents d’usage : Une exception aux règles successorales
Les présents d’usage se caractérisent par deux critères fondamentaux et cumulatifs :
- Une valeur modique et proportionnée : Le cadeau doit être en adéquation avec les moyens financiers du donateur au moment de la traditio[1].
- Une occasion particulière : Le cadeau doit être offert lors d’un événement reconnu par les usages sociaux ou familiaux, tels qu’un mariage, l’obtention d’un diplôme, un anniversaire ou la période de Noël par exemple[2],…
Si l’un de ces deux critères n’est pas respecté, le présent d’usage est susceptible d’être requalifié en don manuel rapportable à la succession du donateur et soumis aux droits de donation.
Rappelons que cette règle de faveur trouve son fondement dans la définition même de la donation et des critères que cette dernière doit remplir pour être caractérisée. Les trois conditions nécessaires pour qualifier un acte de donation sont les suivants :
- Un enrichissement du donataire/bénéficiaire ;
- Une intention libérale de transmettre une partie significative de son patrimoine ce qui signifie une volonté de gratifie un bénéficiaire donataire ;
- Et un appauvrissement du donateur.
C’est cette dernière condition qui fait défaut dans le cadre du présent d’usage. Ce dernier ne constituant pas une disproportion manifeste entre la valeur du bien donné et les moyens du donateur, le donateur n’est pas réputé « s’appauvrir ». Cette qualification de présent d’usage n’est toutefois pas totalement balisée et la jurisprudence a pris position à de nombreuses reprises afin d’éclaircir certaines zones d’ombres.
2. Critères de distinction : Complexité et incertitudes
La distinction entre présents d’usage et donations repose sur des critères subtils :
L’occasion : Un présent offert hors d’un cadre traditionnel (par exemple, sans lien avec une fête ou un événement familial) est plus facilement requalifié en donation. Telle a été la décision de la Cour de Cassation dans un arrêt rendu en première chambre civile le 25 septembre 2013[3] et plus récemment un arrêt de la même chambre le 11 mai 2023[4].
La corrélation. Un présent d’usage doit être réalisé corrélativement entre la remise du cadeau et l’occasion précitée. Dans un arrêt récent rendu par la Cour d’Appel de Paris le 22 avril 2024[5], les magistrats ont considéré qu’il n’est pas d’usage de consentir une gratification en vue de la préparation d’un futur départ à la retraite sans démontrer une certaine proximité temporaire entre ces deux évènements (départ en retraite et gratification).
En l’espèce un salarié avait reçu en « cadeau de départ en retraite » de la part de son supérieur un chèque de 200 000€. Ce chèque avait été versé près de 2 ans après le départ en retraite du salarié sans pouvoir justifier d’écrit du donateur justifiant ce délai. Par ailleurs, le donateur il est précisé qu’il avait lui-même quitté ses fonctions 4 années avant la remise du chèque litigieux. Dans ces conditions, les juges d’appel ont considéré que la preuve d’une corrélation entre la remise du chèque et le départ à la retraite du donataire n’était aucunement caractérisée et qu’en conséquences, les conditions relatives au don d’usage n’étaient pas réunies.
La valeur : La proportionnalité est déterminante.
A titre d’exemple, un chèque de 15 000 € à Noël a été reconnu comme présent d’usage pour un donateur possédant un patrimoine global d’environ 1,25 million d’euros. Cette décision a été rendue par la Cour d’Appel de Paris le 11 avril 2002[6]. Malgré une jurisprudence abondante sur cette notion de « proportionnalité » plus complexe à qualifier, il n’existe pas de pourcentage ou de ratio permettant de déterminer s’il s’agit d’un présent d’usage ou d’une donation. La doctrine administrative précise même que « la qualification de présent d’usage pour un cadeau consenti résulte […] d’un examen de circonstances concrètes de chaque affaire, incompatible avec l’application de critères normatifs préétablis »[7]. La jurisprudence a simplement acté depuis 1988 que le présent d’usage ne doit pas excédant « une certaine valeur »[8]. Nous voilà bien avancés !
Le moment de l’évaluation : La valeur est appréciée au moment de la remise, indépendamment d’une éventuelle valorisation ultérieure, comme dans le cas d’œuvres d’art par exemple. Telle a été a été la décision de la Cour de Cassation dans un arrêt rendu en première chambre civile le 10 mai 1995[9] relatif à des aquarelles.
3. Conséquences fiscales non négligeables
Les présents d’usage bénéficient d’un avantage civil comme nous l’avons vu, mais également d’un intérêt fiscal en ce qu’ils permettent au donateur d’échapper aux droits de mutation.
Pour rappel, les Français, en matière de donation bénéficient de deux abattements :
- Un abattement dit « de droit commun »[10] de 100 000€ par parent par enfant ;
- Un abattement dit « spécial » de 31.865€[11] par parent par enfant et devant respecter des conditions strictes à savoir :
- La donation ne peut porter que sur des sommes d’argent ;
- Le donateur doit être âgé de moins de 80 ans au moment de la donation ;
- Le donataire doit être majeur ;
- La donation doit être enregistrée auprès de l’Administration fiscale dans le mois qui suit le versement effectif des sommes au donataire.
Au-delà de ces abattements, le législateur a prévu un barème progressif pour les transmission en ligne directe (parents/enfants/petits-enfants) de 5 à 45%. Ces abattements se renouvellent tous les 15 ans.
Le présent d’usage relève donc d’un régime dérogatoire en n’étant soumis à aucune fiscalité (droits de mutation à titre gratuit).
En revanche, un présent requalifié en donation sera rapportable, éventuellement taxable aux droits de donation et pourra éventuellement engendrer des conflits entre héritiers, des obligations fiscales supplémentaires et une révision des parts successorales.
Nos recommandations
Pour éviter litiges ou requalifications, il est conseillé de :
- Documenter les circonstances : Détailler l’occasion et les motifs du cadeau en veillant à conserver la preuve de la concomitance (virement, échanges de mails,…).
- Respecter les limites de proportionnalité : Éviter des gratifications disproportionnées.
- Consulter un professionnel : Un notaire pourra vous accompagner afin de clarifier les enjeux fiscaux et successoraux.
Conclusion :
La distinction entre présents d’usage et donations reflète la nécessité d’un équilibre entre liberté de donner et respect des règles successorales. La vigilance est essentielle, notamment en période de fêtes, pour prévenir les litiges familiaux et garantir la sécurité juridique des intentions du donateur.
Alors Joyeuses Fêtes de fin d’année « proportionnées » !
[1] Du latin, action de donner
[2] La présente liste n’est pas exhaustive.
[3] Cass. 1ère civ., 25 sept. 2013, n°12-17.556 ; JurisData n°2013-020477
[4] Cass. 1ère civ., 11 mai 2023, n°12-18.616 ; JurisData n°2023-008163
[5] CA Paris 22 avril 2024, n°22/12420
[6] CA Paris 11 avr. 2002, n°01-391
[7] Décision de rescrit, 3 avr. 2013
[8] Cass. 1ère civ., 6 déc. 1988, n°87-18.083 ; JurisData n°1988-703263
[9] Cass. 1ère civ., 10 mai 1995, n°93-15.187 ; JurisData n°1995-001014
[10] Articles 757 et 784 du Code Général des impôts
[11] Article 790 G du Code Général des Impôts