Cette décision revêt désormais une portée essentiellement pédagogique, la loi de finances pour 2024 ayant définitivement tranché la question de l'éligibilité de la location meublée au dispositif Dutreil. Bien que l'enjeu pratique soit résolu, cette jurisprudence conserve un intérêt en illustrant la méthode d'interprétation restrictive des dispositifs de faveur. Elle témoigne également des incertitudes qui ont longtemps entouré cette question avant la clarification législative.
Pour mémoire dans le cadre de la mise à jour de la base BOFIP-Impôt en date du 21 décembre 2021 concernant l'exonération Dutreil (Art. 787 B et 787 C du CGI), l'administration a réécrit le paragraphe relatif aux activités éligibles précisant que :
seules sont susceptibles d’ouvrir droit à l’exonération les parts ou actions d’une société qui exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion des activités de nature civile.
Pour l’application de l’exonération susvisée :
sont considérées comme activités commerciales les activités mentionnées à l’article 34 du CGI et à l’article 35 du CGI, à l’exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier .
A titre de précision, l'administration souligne désormais expressément que sont exclues du régime de faveur les activités suivantes :
- les activités de location de locaux nus, quelle que soit l'affectation des locaux ;
- les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ;
- les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation ;
- les activités de promotion en restauration de son patrimoine immobilier, consistant à faire effectuer des travaux sur ses immeubles. BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 §15
Ces commentaires ont, à l'époque, clos le débat sur la dutreillabilité de la location meublée notamment suite à l'avis rendu par le comité de l'abus de droit fiscal lors de sa séance du 6 novembre 2015 et commenté par l’administration (CADF/AC n° 07/2015)...
... même si un parlementaire avait voulu le rouvrir comme d'ailleurs de nombreux professionnels.
Le débat sur la dutreillabilité de la location meublée que l'on croyait clos suite à ces précisions doctrinales a finalement été rouvert à l'initiative du juge de l'impôt qui :
- le 1er juin 2023, a rendu une décision qui, en contradiction avec la doctrine susvisée, est venu semer le trouble quant au caractère « Dutreillable » de l’activité de loueur d’établissement commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation (que la location comprenne, ou non, tout ou partie des éléments incorporels du fonds de commerce ou d’industrie) qui, sur le fondement de l'article 35 du CGI constitue une activité commerciale - Arrêt de la Cour de Cassation du 1er juin 2023, n° 22-15.152
- le 26 juin de la même année a rendu une nouvelle décision qui "pouvait" laisser entendre que la haute juridiction judiciaire reconnaissait implicitement la dutreillabilité de la location meublée en contrarité avec la doctrine BOFIP - Arrêt de la Cour de Cassation du 26 juin 2023, n°21-18.226
- dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir contre la doctrine BOFIP-Impôts, a jugé qu'aucune disposition ne permet de dénier, de manière générale, à la location de locaux meublés à usage d'habitation le caractère d'activité commerciale au sens des articles 787 B et 787 C du CGI pour l'application de l'exonération Dutreil-Transmission - Arrêt du Conseil d'Etat du 29 septembre 2023, n°473972.
A l'initiative du Gouvernement la LF pour 2024 (Art.23) a mis définitivement fin au débat en modifiant les articles 787 B et 787 C du CGI.
a) Les mots : « ayant une activité » sont remplacés par les mots : « dont l’activité principale est » ;
b) Après le mot : « commerciale », sont insérés les mots : « au sens des articles 34 et 35 » ;
[...]
L'article 787 B prévoit expressément que pour l'application du présent article
n'est pas considérée comme une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale l'exercice par une société d'une activité de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier
Ainsi, les activités commerciales sont désormais définies par référence directe aux articles 34 et 35 du CGI, en excluant toutefois explicitement, au sein de l'article 787 B du même code, l'exercice par une société d'une activité de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier.
Rappel des faits :
La SARL LVK a été constituée en novembre 2016 avec un capital social de 3 876 400 €, détenu majoritairement par les époux R. L'objet social de la SARL LVK est l'acquisition et la propriété de tous biens et droits immobiliers destinés à la location nue ou meublée, ainsi qu'à l'occupation par les associés. Son patrimoine immobilier comprend notamment des boxes de stationnement et des appartements meublés destinés à la location saisonnière, ainsi que des biens occupés par les époux R pour leur résidence personnelle.
Fin 2016, Monsieur et Madame R ont fait donation à leur fils, Monsieur KR, de la nue-propriété de 99,82 % du capital social de la SARL LVK. Pour cette donation, les contribuables ont bénéficié de l'exonération partielle prévue par l'article 787 B du CGI, ayant formalisé un engagement collectif de conservation.
Cependant, en décembre 2020, l'administration fiscale a remis en cause cette exonération et a rectifié la valeur vénale des titres. Les rehaussements ont été mis en recouvrement pour un montant significatif de 853 290€ de droits et 90 449 €d'intérêts de retard. Après le rejet de leur réclamation contentieuse, les consorts R ont assigné l'administration fiscale devant le Tribunal Judiciaire de Paris en juin 2023, contestant à la fois la rectification de la valeur des titres et le rejet de l'exonération Dutreil.
- Pour, les consorts R l'estimation des boxes immobiliers par l'administration était excessive, ne tenant pas compte de décotes liées à l'étage ou à la configuration des biens. ils critiquaient le recours exclusif à l'approche patrimoniale pour l'évaluation.
- Sur le fond, ils soutenaient que l'activité de location meublée de la SARL LVK était éligible au dispositif Dutreil, en se fondant sur une interprétation qu'ils estimaient claire de la doctrine administrative antérieure et sur le caractère prépondérant de cette activité au sein de la SARL LVK (plus de 50 % du chiffre d'affaires). Ils tentaient également de se prévaloir de jurisprudences récentes du Conseil d'État et de la Cour de cassation, lesquelles auraient admis l'éligibilité de la location meublée au dispositif.
Le Tribunal Judiciaire de Paris a débouté les consorts R de l'ensemble de leurs demandes, confirmant la position de l'administration fiscale.
- Concernant l'évaluation de la valeur vénale des titres de la SARL LVK, le Tribunal a validé l'approche patrimoniale retenue par l'administration. Il a relevé qu'au jour de la donation, la SARL LVK venait d'être constituée et n'avait pas de revenus, justifiant ainsi l'absence de comparaison avec des cessions de titres antérieures ou l'application d'une approche par la rentabilité. La cour a également écarté la tentative des contribuables de comparer l'activité de la SARL LVK à l'activité antérieure de LMP de Monsieur R, soulignant la distinction entre deux entités et deux patrimoines distincts. Concernant les boxes, le Tribunal a estimé que l'administration avait apporté la preuve de l'insuffisance de l'évaluation des contribuables en se fondant sur des transactions comparables, et que les consorts R n'avaient pas fourni d'éléments probants pour justifier l'application des décotes revendiquées.
- Quant à l'éligibilité au dispositif Dutreil, le Tribunal a jugé que l'activité de loueur de locaux d'habitation en meublé exercée par la SARL LVK ne pouvait être considérée comme une activité commerciale au sens de l'article 787 B du CGI.
Le Tribunal a rappelé la doctrine administrative applicable au jour de la donation, qui renvoyait à la caractérisation des activités commerciales en droit privé et fiscal pour l'appréciation des biens professionnels à l'ISF. Il a souligné que la location d'immeubles n'est pas, en principe, un acte de commerce en droit privé, et qu'au jour de la donation (28 décembre 2016), les articles 34 et 35 du CGI ne mentionnaient pas expressément les locations meublées à usage d'habitation comme des activités relevant des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), cette précision n'ayant été introduite qu'à compter du 1er janvier 2017.
Le Tribunal a également écarté l'invocation de la garantie contre les changements d'interprétation de l'administration (article L. 80 A du LPF), estimant que la note figurant sous plusieurs avis du comité de l'abus de droit fiscal, dont se prévalaient les demandeurs, ne constituait pas une prise de position formelle de l'administration.
Enfin, le Tribunal a interprété les arrêts récents du Conseil d'État et de la Cour de cassation (susvisés) concédant que la doctrine administrative excluant par principe l'activité de location meublée à usage d'habitation des activités éligibles à Dutreil avait été jugée illégale. Cependant, il a précisé que le Conseil d'État n'avait pas affirmé que cette activité devait systématiquement être éligible. De surcroît, l'arrêt de la Cour de cassation cité concernait l'activité de loueur d'établissements commerciaux ou industriels équipés, et n'était donc pas transposable au cas d'espèce.
Le Tribunal a conclu qu'à l'époque de la donation, ni la doctrine, ni la jurisprudence n'admettaient explicitement l'éligibilité de cette activité au régime Dutreil.
Par conséquent, il n'y avait pas lieu d'examiner si l'activité de loueur en meublé constituait l'activité prépondérante de la société, l'activité elle-même n'étant pas jugée éligible.