La Cour des comptes a rendu public un référé, adressé le 8 décembre 2020 au Premier ministre, sur la fiscalité des dons en faveur des associations.
En application des dispositions des articles L. 143-1 et L. 143-0-2 du code des juridictions financières, la Cour a examiné les règles fiscales applicables aux associations et les modalités de suivi et de contrôle mises en place par l’administration fiscale, la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction de la législation fiscale (DLF).
Le nombre d’associations estimées actives en France est de plus de 1 500 000. L’effort budgétaire consenti par l’État en leur faveur est important, environ 7,2 Md€ de subventions, auxquelles s’ajoutent 21 avantages fiscaux pour un peu plus de 3,7 Md€ en 2018.
L’importance des associations dans la vie de la société française, mais également leur poids financier croissant, a conduit *la Cour à se pencher sur le travail des services fiscaux : examen des règles fiscales, pratiques des rescrits, organisation des contrôles. *
Si le souci d’améliorer les relations entre les associations et l’administration fiscale a conduit à mettre en place, dans les services départementaux, des « correspondants associations », à établir des fiches spécifiques pour accompagner les associations et à favoriser le recours au rescrit fiscal pour sécuriser leur situation, tous les risques d’une mauvaise application de la fiscalité ne sont pas pleinement couverts.
1. UN REGIME FISCAL DU MÉCÉNAT FAVORABLE
Les règles fiscales applicables aux associations sont complexes et différentes selon qu’il s’agisse de bénéficier de l’exonération des impôts commerciaux (impôt sur les sociétés, taxe à la valeur ajoutée et contribution économique territoriale) ou des avantages du mécénat.
Bénéficiant tant aux particuliers qu’aux entreprises, le régime fiscal favorable du mécénat permet d’obtenir des réductions pour l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur la fortune immobilière. Il permet également de bénéficier d’une exonération au titre des droits de mutation à titre gratuit. Son coût est évalué, en 2018, à 1,5 Md€ pour l’impôt sur le revenu.
[Le don ouvre droit à une réduction d’impôt de 66 % de l’association dans la limite de 20 % du revenu imposable. Ce taux est porté à 75 % pour les dons en faveur des organismes aidant des personnes en difficulté par la fourniture gratuite de repas ou de soins ou l’aide au logement, dans la limite de 1 000 € en 2020 ; ce taux favorable s’applique aussi temporairement pour les dons à la conservation et la restauration de Notre Dame de Paris ainsi que pour les dons au profit d’organismes accompagnant les victimes de violences domestiques.]
, au bénéfice de 5 500 000 ménages et à 0,8 Md€ au titre de l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu.
[Le don ouvre droit à une réduction d’impôt de 60 % dans la limite de 10 000 € ou de cinq pour mille du chiffre d’affaires]
pour 77 000 entreprises.
Pour bénéficier du régime fiscal du mécénat, l’association doit être d’intérêt général.
[En application du b du 1 de l’article 200 du CGI, sont considérées comme étant d’intérêt général au sens fiscal et susceptibles d’être exonérés des impôts commerciaux, les organismes, sans but lucratif (OSBL), qui répondent à trois séries de critères cumulatifs : une gestion désintéressée, une activité non lucrative et un fonctionnement non profitable à un « cercle restreint de personnes ».]
et exercer une activité prépondérante « (…) ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, notamment à travers les souscriptions ouvertes pour financer l’achat d’objets ou d’œuvres d’art destinés à rejoindre les collections d’un musée de France accessibles au public, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises » .
[Articles 200-1-b et 238 bis-1-a du CGI]
.
Une association qui estime répondre à ces critères peut, sous sa propre responsabilité, émettre des reçus fiscaux et permettre ainsi aux donateurs de bénéficier de réduction ou d’exonération d’impôts. Ce n’est qu’à l’occasion d’une demande de rescrit, à l’initiative de l’association, ou lors d’un contrôle fiscal, que l’administration fiscale peut être amenée à contester la juste application du régime du mécénat.
2. LE RESCRIT : UNE PRATIQUE À LA PORTÉE INCERTAINE
Pour assurer sa sécurité juridique, un contribuable peut solliciter de l’administration fiscale un rescrit , c’est à dire une réponse formelle de l’administration à une question sur l’interprétation d’un texte fiscal (question de législation.
[En application de l’article L. 80 alinéa 1 du Livre des procédures fiscales (LPF)]
) ou sur l’interprétation de la situation de fait au regard du droit fiscal (rescrit général.footnote[Sur le fondement de l’article L. 80. B-1° du LPF]).
Comme tous les contribuables, les associations peuvent interroger l’administration sur le régime fiscal qui leur est applicable et disposent, à ce titre, de deux procédures :
-
le rescrit « régime fiscal » est utilisé par une association qui s’interroge sur son assujettissement aux impôts commerciaux ;
-
le « rescrit mécénat » permet à une association.
[Sur la base des dispositions prévues par l’article L. 80C du LPF.]
d’interroger l’administration fiscale sur son éligibilité au mécénat, c’est-à-dire sur son habilitation à recevoir des dons manuels et à délivrer des reçus fiscaux.
À la suite des discussions engagées en 1998 entre le mouvement associatif et l’administration fiscale, il a été convenu d’accroître le recours à cette procédure de rescrit. Le nombre de « rescrits mécénat » est en progression : 5 405 « rescrits mécénat » ont ainsi été traités en 2019, contre 4 672 en 2017 ; ils représentent chaque année environ le tiers de l’ensemble des rescrits délivrés par les services fiscaux.
Le rescrit relève d’une procédure lourde avec une batterie de critères dont certains restent inconnus du public.
L’appréciation de l’activité de l’association relève en effet d’un examen circonstancié, comme le démontrent les questionnaires et les documents demandés par l’administration à l’occasion des procédures de rescrit. Elle peut aussi nécessiter de s’appuyer sur des réglementations ou de faire référence à des politiques publiques relevant d’autres ministères (par exemple le code de l’éducation pour apprécier le caractère éducatif d’une activité de formation). L’administration fiscale saisit également les autres ministères lorsque leur expertise paraît nécessaire à l’appréciation de l’éligibilité d’un organisme au regard du champ du mécénat défini par la loi, comme le ministère de l’intérieur pour les associations religieuses.
La portée de la procédure de rescrit n’est pas sans ambiguïté. D’une part, le rescrit ne constitue pas une autorisation et une association peut émettre des reçus fiscaux sans avoir préalablement demandé à l’administration un rescrit l’autorisant à le faire. D’autre part , comme tous les rescrits, le rescrit mécénat est subordonné à de très nombreuses conditions de telle sorte qu’il n’apporte, dans le temps, que peu de sécurité fiscale à l’association qui l’a obtenu et n’est valable qu’à un moment donné, au vu de la situation de l’association et des pièces communiquées. Enfin, l’amende à laquelle s’exposent les associations qui ne respectent pas le rescrit qui leur a été délivré a un caractère faiblement dissuasif.
[L’article 1740 A du CGI dispose que le fait de délivrer sciemment des documents (tels que certificats, reçus, états, factures ou attestations), permettant à un contribuable d’obtenir indûment une déduction du revenu ou du bénéfice imposable, un crédit d’impôt ou une réduction d’impôt entraîne l’application d’une amende égale à 25 % des sommes indument déclarées ou à la réduction d’impôts indûment obtenue]
, d’autant que les contrôles réalisés par l’administration sont peu nombreux. Cette situation peut conduire les conseils fiscaux à dissuader les associations à recourir à cette procédure.
Par ailleurs, l’examen de dossiers par la Cour lui a permis de constater que l’administration fiscale peut être conduite, dans certains cas, à apprécier le message véhiculé par l’association concomitamment à l’activité qu’elle déploie. Tel est le cas notamment s’agissant des associations dites « à contenu idéologique » qui concerne trois catégories d’organismes : les organismes véhiculant un message politique, les organismes militants ou revendicatifs et les organismes religieux ou sectaires.
S’il n’est pas anormal que l’administration se dote d’une doctrine pour guider l’action de ses services dans l’appréciation de ces associations à contenu idéologique, la note interne qui la fixe, dont la Cour a eu connaissance lors de son enquête, apparaît très imparfaite. Elle repose en effet sur des bases juridiques fragiles, laissant une large part à l’appréciation, parfois subjective, de l’administration et la Cour a pu constater que son application est hétérogène sur le territoire. De plus, une note de cette nature, qui établit la doctrine de l’administration et précise les modalités d’application de la règle fiscale, devrait être publiée au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP), tout comme le sont les fiches thématiques sectorielles relatives aux critères et procédures de la fiscalité des associations que l’administration fiscale met à jour régulièrement afin d’assurer la pleine information du public.
Enfin, cette note sur les associations à contenu idéologique, tout comme les articles 200-1-b et 238 bis-1-a du code général des impôts sur lesquels elle se fonde, ne garantissent pas suffisamment que les avantages fiscaux accordés aux associations et à leurs mécènes ne bénéficient pas à des organismes ne respectant pas les principes républicains. Le projet de loi en cours de préparation destiné à renforcer la laïcité et consolider les principes républicains pourrait permettre de donner un fondement juridique plus assuré à l’examen, par l’administration fiscale, de la situation des associations à contenu idéologique.
3. UN CONTRÔLE INSUFFISANT DES DONS DÉFISCALISÉS FAITS AUX ASSOCIATIONS
Alors que la délivrance de reçus fiscaux sans agrément préalable est une singularité française, comme l’a rappelé la Cour dans son rapport de 2018 sur le soutien public au mécénat d’entreprise.
[Cour des comptes, Le soutien public au mécénat d’entreprise, novembre 201]
, les contrôles réalisés par l’administration fiscale demeurent peu nombreux et peu approfondis.
Depuis le 1er janvier 2017, l’article L14 A du livre des procédures fiscales.
[Article L14 A]
autorise l’administration à engager un contrôle spécifique sur les associations émettant des reçus fiscaux pour des dons ouvrant droit à un avantage fiscal pour le donateur. Mais la portée du contrôle des reçus émis reste limitée. En effet, l’administration fiscale ne peut vérifier que la concordance entre le montant des dons récoltés et celui des reçus fiscaux émis. Cette procédure ne permet pas ainsi de contrôler les conditions de l’éligibilité́ au régime du mécénat (gestion intéressée, cercle restreint de personnes ou absence de caractère lucratif), ni si l’activité prépondérante de l’association relève de celles susceptibles d’ouvrir droit au régime du mécénat. Une évolution du cadre juridique en ce domaine, envisagée il y a plusieurs années, paraît aujourd’hui souhaitable. Le projet de loi précité pourrait en offrir l’occasion.
Peu contrôlés du côté des associations bénéficiaires, les dons ouvrant droit à déduction fiscale ne le sont pas davantage pour les donateurs. La Cour, dans son rapport de 2018, l’avait déjà souligné pour le mécénat d’entreprises. La situation n’est guère différente s’agissant des particuliers. Avant le passage à la déclaration dématérialisée, les ménages devaient indiquer les noms des organismes bénéficiaires de leurs dons dans une annexe à leur déclaration annuelle de revenus. Cette exigence a été abandonnée en 2014.
[Article 17 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013]
, même si les ménages doivent conserver les pièces justificatives en cas de contrôle.
Or pour de nombreux points de sa déclaration, le contribuable est tenu de communiquer des informations précises pour justifier des abattements de revenus imposables ou des réductions, comme les bénéficiaires de pensions alimentaires, les dépenses au titre d’emplois de salariés à domicile ou les organismes bancaires auprès desquels il a emprunté. Il serait justifié qu’il en soit de même pour les associations bénéficiaires des dons ouvrant droit à réduction d’impôts. Une telle disposition, utile en cas de contrôle fiscal, aurait également un effet dissuasif. Le rétablissement de cette obligation déclarative, qui nécessiterait l’adoption d’un texte législatif, devrait garantir le respect de la protection des données personnelles (RGPD).
La Cour formule donc les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1 (DLF) :
Actualiser et assurer une large diffusion des fiches thématiques sectorielles du BOFiP sur les sujets fiscaux relatifs aux associations utilisées dans le cadre de l’examen du bénéfice du mécénat ;
Recommandation n° 2 (DGFiP) :
Augmenter le nombre et la portée des contrôles sur les associations réalisées par l’administration fiscale ;
Recommandation n° 3 (DGFiP, DLF) :
Rétablir l’annexe à la déclaration de revenus détaillant la liste des associations bénéficiaires de dons ainsi que des montants accordés.