Le juge de l'impôt nous précise les modalités d'application du régime de sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du CGI lorsque des titres acquis par exercice d'options d'actions font l'objet d'un apport ultérieur, suivi d'une réduction de capital de la société bénéficiaire.
Ce contentieux se situe à la croisée deplusieurs régimes fiscaux : celui des options d'actions (Art. 80 bis et 163 bis C du CGI abrogé en 2012), celui du sursis d'imposition pour les apports de titres (Art. 150-0 B du CGI) et celui de la qualification des distributions (Art. 120-3° du CGI).
Le régime des options d'actions permet, sous certaines conditions, de reporter l'imposition du gain de levée d'option jusqu'à la cession des titres. L'article 163 bis C du CGI prévoit que l'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée et le prix d'exercice n'est imposé qu'au moment de la cession, selon le régime des plus-values mobilières.
Parallèlement, l'article 150-0 B du CGI institue un régime de sursis automatique d'imposition pour les plus-values réalisées dans le cadre d'apports de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Ce mécanisme vise à faciliter les opérations de restructuration d'entreprises en assurant leur neutralité fiscale.
Enfin, l'article 120-3° du CGI distingue les remboursements d'apports, non imposables, des distributions, imposables comme revenus mobiliers. Une répartition n'est réputée constituer un remboursement d'apport que si tous les bénéfices et réserves ont été auparavant répartis.
Rappel des faits :
Entre 1994 et 2003, un dirigeant d'entreprise a souscrit pour 131 M€ d'options d'achat d'actions de sociétés qu'il dirigeait. La levée de ces options a généré un gain de près de 250 M€, dont l'imposition a été différée en application de l'article 163 bis C du CGI.
Entre 2005 et 2007, le contribuable a apporté ces actions à une société holding dont il détenait la quasi-totalité des parts. L'apport, évalué à plus de 368 M€, a bénéficié du régime de sursis d'imposition de l'article 150-0 B du CGI. En 2010, la société holding a procédé à une réduction de capital non motivée par des pertes, par diminution de la valeur nominale de ses parts, distribuant ainsi environ 50 M€ au contribuable.
L'administration fiscale a considéré que cette distribution constituait une répartition imposable au titre de l'article 120-3° du CGI, et non un remboursement d'apport. Elle a donc imposé le contribuable sur la somme de près de 50 M€ reçue en 2010, pour un montant total de redressements de plus de 30 M€, incluant les rappels sur l'ISF.
Le contribuable a contesté cette analyse, soutenant que les sommes reçues constituaient un remboursement d'apport non imposable, la société n'ayant pas de bénéfices ou réserves autres que la réserve légale à distribuer.
Les juges du fond ont donné raison au contribuable. Le tribunal administratif de Paris, par jugement du 2 décembre 2020, a prononcé la décharge totale des impositions litigieuses. La cour administrative d'appel de Paris a confirmé cette décision par arrêt du 15 décembre 2023, considérant que les conditions du remboursement d'apport étaient réunies.
Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique s'est pourvu en cassation contre cet arrêt.
Le Conseil d'État vient de casser l'arrêt de la cour d'appel de Paris
Il rappelle d'abord que l'objectif de l'article 150-0 B du CGI est d'assurer la neutralité fiscale des opérations de restructuration en les regardant comme des "opérations intercalaires".
La haute juridiction en déduit que
Lorsque les titres d'une société sont apportés par un contribuable soumis à l'impôt sur le revenu qui reçoit, en échange, des titres de la société bénéficiaire de l'apport
ces titres
doivent être réputés entrés dans le patrimoine de l'apporteur aux conditions dans lesquelles étaient entrés les titres dont il a fait apport.
Cette fiction juridico-fiscale a des conséquences directes sur la qualification des distributions ultérieures. Selon le Conseil d'État, lors d'une réduction de capital de la société bénéficiaire de l'apport...
...les sommes mises en conséquence à la disposition d'un associé qui a acquis ces parts en rémunération de l'apport de titres d'une autre société ne peuvent constituer des remboursements d'apports
qu'à hauteur du prix effectivement versé par cet associé pour acquérir les titres apportés.
Plus précisément, lorsque tous les bénéfices et réserves ont été préalablement distribués, les sommes ne bénéficient de la franchise d'impôt qu'à concurrence du rapport entre le prix d'acquisition des titres apportés et la valeur comptable de l'apport.
Le Conseil d'État reproche à la cour d'appel de s'être bornée à constater l'absence de bénéfices et réserves dans la société et à vérifier que le montant des distributions n'excédait pas la valeur d'entrée des titres dans le patrimoine du contribuable. Cette approche méconnaît le principe de neutralité des apports et la nécessité de tenir compte du prix d'acquisition initial des titres apportés.
En l'espèce, le contribuable avait acquis les titres apportés pour environ 131 M€(prix d'exercice des options), alors que l'apport avait été comptabilisé pour plus de 368 M€. La différence correspond au gain de levée d'option non encore imposé.
Dès lors, seule une fraction des distributions pouvait être qualifiée de remboursement d'apport non imposable.
La cassation de l'arrêt de la cour d'appel et le renvoi de l'affaire permettront aux juges du fond d'appliquer les nouveaux principes énoncés par le Conseil d'État, offrant ainsi une illustration concrète de leur mise en œuvre.
TL;DR
- Le Conseil d'État a rappelé que l'objectif de l'article 150-0 B du CGI est de faciliter les restructurations d'entreprises en assurant la neutralité fiscale des opérations d'échange de titres, qui sont considérées comme des opérations intercalaires. Il en découle que les titres reçus en échange d'un apport sous le régime de sursis d'imposition doivent être réputés être entrés dans le patrimoine de l'apporteur aux conditions d'entrée des titres apportés.
- S'agissant de la qualification des sommes versées lors d'une réduction de capital non motivée par des pertes, le Conseil d'Etat a précisé que ces sommes ne peuvent être considérées comme des remboursements d'apports non constitutifs de revenus distribués, au sens de l'article 120-3° du CGI, que dans la limite du prix versé par l'associé pour acquérir les titres apportés. De plus, même si tous les bénéfices ou réserves ont été auparavant distribués, ces sommes ne sont réparties en franchise d'impôt qu'à concurrence du rapport entre le prix d'acquisition des titres apportés et la valeur à laquelle l'apport a été enregistré dans les comptes de la société bénéficiaire.
- En se bornant à vérifier l'absence de bénéfices ou réserves distribuables et le fait que le montant de la répartition n'excédait pas la valeur à laquelle les titres étaient entrés dans le patrimoine du contribuable, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Elle n'a pas appliqué le ratio spécifique exigé par le Conseil d'État pour déterminer la part du remboursement d'apport exonérée.