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Droits d’enregistrements

Engagement de construire substitué à un engagement de revendre : pas de restitution des droits de mutation versés initialement

Pour le juge de l'impôt, la substitution d'engagements, bien qu'autorisée par la loi, ne modifie pas rétroactivement les conditions fiscales de l'acquisition initiale : les droits acquittés lors d'une acquisition sous un régime de faveur le demeurent même en cas de changement ultérieur d'engagement. Il rappelle également le principe selon lequel les régimes dérogatoires doivent être interprétés restrictivement et  leurs conditions d'application ne peuvent être étendues au-delà de ce que prévoit expressément la loi. La doctrine BOFIP, bien qu'elle puisse préciser les modalités d'application des textes, ne saurait créer de nouveaux droits à restitution non prévus par le législateur.

 

Notre droit fiscal prévoit plusieurs régimes de faveur pour les acquisitions immobilières réalisées par les professionnels assujettis à la TVA. L'article 1115 du CGI institue le régime des "marchands de biens", permettant aux acquéreurs de bénéficier de droits réduits ( au taux de 0,715 %)  sous réserve d'un engagement de revendre dans un délai de cinq ans. Parallèlement, l'article 1594-0 G du même code prévoit une exonération similaire pour les acquéreurs s'engageant à construire dans un délai de quatre ans. Ces deux régimes poursuivent des objectifs économiques distincts mais convergents : faciliter la rotation des biens immobiliers et encourager la construction neuve.

 

Le législateur a également prévu des mécanismes de substitution entre ces engagements, expressément codifiés à l'article 1594-0 G qui dispose que...

...l'acquéreur d'un bien qui a pris l'engagement de revendre prévu à l'article 1115 peut y substituer, avant son échéance, un engagement de construire.

 

Cette substitution "vaut accomplissement de l'engagement de revendre" mais n'emporte aucune conséquence sur les droits initialement acquittés.

 

Rappel des faits :

La société G a acquis plusieurs lots immobiliers le 25 janvier 2019 en se plaçant sous le régime de l'article 1115 du CGI, acquittant ainsi des droits de mutation à taux réduit moyennant un engagement de revendre dans les cinq ans. Le 7 décembre 2021, soit près de trois ans plus tard, elle a substitué par acte complémentaire un engagement de construire à son engagement initial de revendre.

 

Fort de cette substitution, elle a sollicité de l'administration fiscale la restitution des droits de mutation acquittés lors de l'acquisition initiale, soit 87064 €. L'administration ayant rejeté cette demande le 13 octobre 2023, la société a saisi le tribunal judiciaire de Paris.

  • Elle fonde sa demande sur une interprétation de la doctrine administrative, spécifiquement le paragraphe 270 du BOI-ENR-DMTOI-10-40

Il demeure admis que l'engagement puisse être pris dans un acte complémentaire présenté au service des impôts du lieu de situation de l'immeuble en charge de l'enregistrement. En pareil cas, la restitution des droits de mutation perçus initialement peut être effectuée sur demande formulée dans les limites du délai de réclamation prévu à l'article R*. 196-1 du livre des procédures fiscales.

Elle soutient l'existence de deux régimes alternatifs d'engagement de construire, l'un légal et l'autre doctrinal, et considére que la restitution des droits est possible lorsqu'un régime de faveur est substitué par un autre régime de faveur. Elle met en avant le fait qu'elle a respecté son engagement de construire dans les délais impartis et qu'elle n'avait donc aucun intérêt à opérer cette substitution si ce n'est pour obtenir la restitution des droits.

 

  • De son côté l'administration estime que la société commet une erreur d'interprétation de la doctrine fiscale. Elle rappelle que la substitution d'un acte initial contenant déjà un engagement de revendre n'entraîne aucune restitution des droits acquittés, contrairement à la substitution d'un acte initial ne contenant aucun engagement, situation dans laquelle une restitution peut être accordée par mesure de tempérament.

 

Le Tribunal Judiciaire de Paris a suivi le raisonnement de l'administration et a débouté la société G

 

Il a d'abord rappelé que "aucune restitution des droits acquittés n'est prévue par les textes dans cette situation", soulignant ainsi le caractère d'exception stricte des régimes dérogatoires. Le tribunal a constaté que si la loi (Art. 1594-0 G du CGI) organise bien la faculté de substitution, elle n'en tire qu'une seule conséquence : elle vaut accomplissement de l'engagement de revendre. Le législateur n'a prévu aucune disposition permettant, dans ce cas de figure précis, la restitution des droits initialement perçus.

 

Le tribunal a ensuite écarté l'argument doctrinal de la société. Il estime que cette dernière commet une erreur d'interprétation. La doctrine administrative ne peut ajouter à la loi un cas de restitution qu'elle ne prévoit pas. Le tempérament doctrinal invoqué ne s'applique qu'à une situation où l'acte initial ne comportait aucun régime de faveur, ce qui n'était manifestement pas le cas ici

 

Enfin, le tribunal a relevé un vice de forme supplémentaire : la société n'avait pas respecté les conditions prévues à l'article 266 bis de l'annexe III du CGI, qui impose de souscrire une déclaration précisant l'objet et la consistance des travaux prévus par l'engagement de construire, ainsi que le montant des droits dont l'exonération est subordonnée à leur exécution.

 

TL;DR

  • Une doctrine administrative, aussi favorable soit-elle, a pour objet d'éclairer l'application de la norme légale, non de créer un droit qui n'y figure pas. Tenter d'étendre le champ d'application d'un tempérament doctrinal à une situation non expressément visée est une démarche hasardeuse
  • Cette décision consacre la finalité purement "défensive" de la substitution. L'avantage conféré par la loi à l'opérateur qui change de projet n'est pas de lui offrir un arbitrage fiscal rétroactif pour obtenir le régime le plus avantageux, mais de lui éviter les conséquences financières d'une défaillance. Les droits acquittés au titre du premier engagement sont définitivement acquis à l'administration fiscale.

 

 

 

 

Publié le mercredi 10 septembre 2025 par La rédaction

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