Sur le plan fiscal, l'article 746 du CGI soumet les partages de biens meubles et immeubles entre copropriétaires, cohéritiers et coassociés à un droit d'enregistrement de 2,5%. Si l'administration fiscale tente régulièrement d'en élargir le champ d'application, elle vient de nouveau d'échouer s'agissant de la clause de préciput. En effet, en rejetant le pourvoi de l'administration, la Haute Juridiction a jugé que le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant ne constituait pas une opération de partage et ne pouvait dès lors, être soumis à ce droit.
Rappelons que le 23 septembre dernier, la Cour d'Appel de Rennes a déjà rendu une décision tirant les conséquences de l'avis rendu le 21 mai 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation. En confirmant que le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant échappe à la taxation au droit de partage prévue à l'article 746 du CGI, cette décision s'inscrit dans le sillage direct de la plus haute juridiction judiciaire.
Classiquement, le litige opposait deux conceptions :
- D'un côté, le droit fiscal, via l'article 746 du CGI, qui impose les "partages de biens meubles et immeubles entre copropriétaires, cohéritiers et coassociés, à quelque titre que ce soit".
- De l'autre, le droit civil, via l'article 1515 du Code civil, qui définit la clause de préciput comme la faculté pour le conjoint survivant de "prélever sur la communauté, avant tout partage", certains biens.
Pour l'administration fiscale, la clause de préciput, en permettant à un indivisaire (le conjoint survivant) de s'attribuer un bien qui appartenait à la communauté (devenue indivision post-communautaire), mettait fin à l'indivision sur ce bien et constituait donc un acte de partage taxable. C'est sur ce fondement qu'elle avait notifié une proposition de rectification à une veuve ayant exercé son droit de préciput.
La contribuable, après rejet de sa réclamation, a contesté cette analyse, obtenant gain de cause en appel. L'administration s'est donc pourvue en cassation, soutenant que le prélèvement préciputaire était "une véritable opération de partage mettant fin à une indivision".
La Cour de cassation, après avoir sollicité l'avis de la première chambre civile vient de rejeter le pourvoi de l'administration.
- Elle commence par définir ce qu'est un partage au sens fiscal : c'est l'opération qui...
...contribue directement à la division de la masse indivise [...] et à sa répartition entre les indivisaires à proportion de leurs droits respectifs
Elle oppose ensuite, point par point, cette définition à la nature juridique du préciput :
- Un prélèvement avant tout partage : La Cour s'appuie d'abord sur la lettre même de l'article 1515 du Code civil. Le préciput s'exerce "avant tout partage". Il ne peut donc pas être lui-même un partage. Il s'agit d'un prélèvement préalable qui vient réduire la masse à partager.
- Une opération sans contrepartie : Le partage implique une répartition proportionnelle aux droits de chacun, ou une soulte si la répartition est inégale. Le préciput, à l'inverse, s'effectue "sans contrepartie" et les biens prélevés "ne s'imputent pas sur la part de l'époux bénéficiaire". Il s'agit d'un avantage matrimonial, et non d'une attribution en paiement des droits de l'époux.
- Une faculté unilatérale : Le partage est un acte collectif (ou judiciaire) qui requiert l'accord de tous les co-indivisaires. Le préciput, quant à lui, "relève d'une faculté unilatérale et discrétionnaire" du seul conjoint survivant.
La Cour en tire la conséquence logique :
le prélèvement préciputaire [...] ne constitue pas une opération de partage
Elle écarte l'argument de l'administration en précisant que si le préciput a, comme le partage, un effet rétroactif, cela ne suffit pas à les assimiler.
Cet arrêt, par sa publication au Bulletin et l'avis sollicité de la première chambre civile, revêt une importance doctrinale et pratique majeure.
Sur le plan doctrinal, il clarifie définitivement la nature juridique du préciput au regard du droit fiscal. Il n'est pas un acte de partage, mais un avantage matrimonial, un "droit de prélèvement" qui s'exerce en amont du partage. C'est une victoire de la qualification civiliste sur la tentation de l'administration d'appliquer une qualification fiscale extensive.
Sur le plan pratique, la solution est une excellente nouvelle pour les Fiscalistes
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Les praticiens peuvent désormais sécuriser les liquidations de communauté incluant une clause de préciput, sans provisionner le risque d'un redressement sur le fondement de l'article 746 du CGI.
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L'arrêt renforce l'attrait de la clause de préciput comme outil de transmission et de protection du conjoint survivant. Elle permet de lui attribuer un bien spécifique (souvent la résidence principale) sans coût fiscal de partage, tout en laissant le reste de la masse indivise être partagé ultérieurement (ou rester en indivision) entre le conjoint et les héritiers.