Cette décision réaffirme la stricte interprétation des conditions de déductibilité des abandons de créances. En effet, pour qu’un abandon de créance soit considéré comme à caractère commercial, il doit être clairement motivé par des intérêts commerciaux et démontrer une véritable nécessité de gestion financière pour la pérennité de l’entreprise bénéficiaire.
L'article 39 du CGI dispose que le « bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges » et liste, de manière ni limitative, ni exhaustive, les charges déductibles et non déductibles. Aussi les aides accordées par une entreprise à une autre (le plus souvent une société mère vis-à-vis de sa filiale) sous la forme d'abandons de créances ou de subventions sont-elles normalement déductibles de son bénéfice.
Pour être déductible, l'abandon de créance doit relever d'un acte de gestion normal pour l'entreprise.
La preuve du caractère normal de l'aide est apportée lorsqu'il est établi que celle-ci a été consentie dans l'intérêt de l'exploitation et trouve son fondement dans l'existence d'une contrepartie réelle et suffisante (BOI-BIC-BASE-50-10, §80).
Les abandons de créance à caractère commercial sont toujours considérés comme des charges déductibles.
En effet, sous réserve qu'il soit satisfait aux conditions générales de déduction, il résulte de la jurisprudence du Conseil d'État (Arrêt du Conseil d'Etat du du 27 novembre 1981, req. n° 16814] que les pertes consécutives à des abandons de créances revêtant un caractère commercial sont à comprendre intégralement dans les charges déductibles du résultat imposable de l'entreprise qui les a consentis.
En revanche, et en application de l'article 39-13 du CGI pour les exercices clos depuis le 4 juillet 2012, les pertes consécutives à des abandons de créances à caractère financier, et plus généralement, toutes les aides autres qu'à caractère commercial, sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt de l'entreprise qui les consent (Art. 39, 13 al.1 du CGI).
Rappel des faits :
La SAS L holding mixte, détient majoritairement le capital de la SAS EL, concessionnaire Renault Trucks. Entre 2015 et 2017, la SAS Lenormant a consenti plusieurs abandons de créances à ses filiales et sociétés affiliées, notamment :
- SAS A : Abandon de créance de 308 306,28 €
- Société PPL : Abandon de créance de 89 498,42 €
- Sociétés Thionville VI, Metz VI, MCS : Abandons de créances respectifs de 226 729 €, 454 692 €, 52 538 € et 103 052 €.
- SAS HL : Abandon de créance de 468 491,48 €.
Ces abandons de créances ont été enregistrés en charges exceptionnelles au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2015.
La SAS Lenormant et la SAS EL ont fait l’objet de vérifications de comptabilité pour les périodes concernées. Suite à ces vérifications, l’administration fiscale a remis en cause la déduction de ces abandons, considérant qu'ils n'avaient pas de caractère commercial et que leur déductibilité devait être limitée selon les règles de l'article 39-13 du CGI.
La SAS L a formé une réclamation, rejetée par l’administration. Elle a saisi le Tribunal administratif d’Amiens pour obtenir la décharge des cotisations supplémentaires et la qualification commerciale des abandons de créances.
Elle soutient, en effet, que les abandons de créances étaient motivés par la préservation de son activité et de sa réputation auprès de Renault Trucks, partenaires commerciaux et banques, caractérisant ainsi un acte de gestion commerciale normale.
Le Tribunal administratif d’Amiens a rejeté la requête de la SAS L, confirmant la position de l’administration fiscale sur la non-déductibilité de certains abandons de créances. Le juge a estimé que la société n’a pas apporté la preuve nécessaire pour qualifier ces abandons de créances comme étant à caractère commercial.
Le juge de l'impôt a d'abord rappelé les critères permettant de qualifier un abandon de créance de "commercial" : il doit être consenti dans l'intérêt propre de l'entreprise qui l'accorde et être assorti de contreparties réelles. L'administration doit prouver l'acte anormal de gestion, mais cette preuve est réputée apportée si l'entreprise ne justifie pas de contreparties.
En l'espèce, le Tribunal a estimé :
- que la société ne démontrait pas l'existence d'intérêts commerciaux significatifs avec les sociétés bénéficiaires, les relations d'affaires étant marginales.
- que la cession des participations peu après les abandons contredisait également l'argument de la préservation d'intérêts commerciaux.
Sur la déductibilité des abandons financiers, le Tribunal a apporté deux précisions :
- La situation nette à prendre en compte est celle de chaque société bénéficiaire individuellement, et non celle du groupe consolidé
- Le régime de l'intégration fiscale n'autorise pas de dérogation aux règles de droit commun concernant les abandons de créances