Nouvelles précisions sur l'application de la retenue à la source aux prestations de services rendues par des filiales étrangères, particulièrement dans le contexte des relations commerciales intra-groupe. L'arrêt illustre la rigueur avec laquelle le juge de l'impôt analyse l'autonomie des prestations de services par rapport aux opérations commerciales principales et précise les conditions d'application des conventions fiscales internationales.
En application de l'article 182 B du CGI, les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'elles sont payées par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente. Le taux applicable aux sommes et produits visés à l'article 182 B du CGI (En dehors des sportifs) correspond au taux normal de l'impôt sur les sociétés prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219-I du CGI.
Ce dispositif vise à soumettre à l'impôt français les revenus de source française perçus par des non-résidents.
Le texte prévoit deux critères alternatifs : soit les prestations sont matériellement fournies en France, soit elles sont effectivement utilisées en France pour les besoins de l'activité du débiteur, même si elles sont matériellement exécutées à l'étranger.
Un accord fiscal en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu a été signé le 21 octobre 2010 à Paris entre la France et la Région administrative spéciale de Hong-Kong de la République populaire de Chine. Cet accord est entré en vigueur le 1er décembre 2011.
Rappel des faits :
La SARL RM, une société française d'achat-vente et de distribution, s'approvisionnait en marchandises produites en Asie auprès de sa filiale, RMA, établie à Hong Kong. En 2017, l'administration fiscale a soumis à la retenue à la source les commissions versées par la SARL à sa filiale pour des prestations de "order management and quality control" Ces prestations incluaient le conseil, le suivi de production, la gestion du stockage, et le contrôle qualité avant expédition.
L'administration fiscale a considéré ces services comme autonomes et utilisés en France, justifiant l'application d'une retenue à la source au taux de 33,3%.
Le Tribunal administratif de Grenoble ayant rejeté la demande de décharge de la retenue à la source par un jugement du 1er février 2024, la société a fait appel.
La société...
- ...estime que les prestations de contrôle qualité n'étaient pas détachables de l'opération d'achat de marchandises et constituaient une seule opération économique échappant à la retenue à la source. Cette approche économique visait à démontrer l'indissociabilité des services accessoires par rapport à la vente principale.
- ...invoque également le principe selon lequel les prestations, même si distinctes, n'étaient pas utilisées en France puisqu'elles étaient incorporées au coût des marchandises avant leur importation.
- ...se prévaut subsidiairement de la convention fiscale franco-hongkongaise pour faire échec à l'application de la retenue à la source.
L'administration fiscale de son côté maintient que les prestations constituaient des services autonomes rémunérés séparément et effectivement utilisés en France pour les besoins de l'activité commerciale de la société française. Elle souligne que ces services permettaient à la SARL RM de commercialiser directement les produits sans procéder elle-même aux vérifications nécessaires, démontrant ainsi leur utilisation effective en France.
La CAA de Lyon a rejeté l'appel de la SARL RM, confirmant ainsi le jugement du tribunal administratif.
Concernant l'assujettissement à la retenue à la source
Sur le fond, elle rappelle la mécanique de l’article 182 B du CGI : sont imposables les sommes versées par un débiteur exerçant en France à un prestataire étranger sans installation permanente, dès lors que la prestation est soit matériellement accomplie en France, soit, exécutée à l’étranger, effectivement utilisée pour l’activité du débiteur en France.
Au cas particulier, les prestations de la filiale (sélection de fournisseurs, suivi qualité, contrôle de conformité aux normes françaises) sont, certes, réalisées à Hong‑Kong ou en Chine, mais elles conditionnent la mise sur le marché français de produits prêts‑à‑vendre. Pour la Cour ces prestations garantissaient à la société française la réception de produits commercialisables selon les exigences du marché français, lui évitant de procéder elle-même à ces vérifications. À ce titre, elles sont « effectivement utilisées » en France : la société française en retire un avantage direct dans son cycle commercial domestique.
La cour a rejeté l'argument de l'indissociabilité en s'appuyant sur plusieurs éléments :
- Elle a souligné que la société reconnaissait elle-même que les prestations de contrôle avaient pour objet de vérifier la conformité aux normes françaises selon un cahier des charges précis.
- Le mode de facturation, comportant soit des factures séparées soit des lignes distinctes, révélait l'intention de rémunérer séparément ces prestations.
- même si ces opérations pouvaient constituer une opération unique au sens du droit de l'Union européenne pour la TVA, cette qualification était sans incidence sur l'application de l'article 182 B du CGI.
Pour la Cour, l’intention contractuelle et la réalité comptable convergent : il s’agit bien de prestations autonomes.
Concernant l'application de l'accord fiscal franco-hongkongais
L'article 4 (Résident) de l'accord franco-hongkongais dispose :
Au sens du présent Accord, l’expression « résident d’une Partie contractante » désigne toute personne qui, en vertu de la législation en vigueur de cette Partie, est assujettie à l’impôt dans cette Partie, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue et s’applique aussi à cette Partie ainsi qu’à toutes ses collectivités territoriales et aux personnes morales de droit public de cette Partie ou de ses collectivités territoriales. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cette Partie que pour les revenus de sources situées dans cette Partie.
2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux Parties contractantes, sa situation est réglée de la manière suivante :
a) Cette personne est considérée comme un résident seulement de la Partie où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent ; si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux Parties, elle est considérée comme un résident seulement de la Partie avec laquelle ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ;
b) Si la Partie où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminée, ou si elle ne dispose d’un foyer d’habitation permanent dans aucune des Parties, elle est considérée comme un résident seulement de la Partie où elle séjourne de façon habituelle ; c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux Parties ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucune d’elles, elle est considérée comme un résident seulement de la Partie contractante dont elle est un ressortissant (dans le cas de la France) ou dans laquelle elle a un droit de séjour (dans le cas de la Région administrative spéciale de Hong Kong) ;
d) Si cette personne est un ressortissant français et a également un droit de séjour dans la Région administrative spéciale de Hong Kong , ou si elle n’est pas un ressortissant français et ne possède pas de droit de séjour dans la Région administrative spéciale de Hong Kong, les autorités compétentes des Parties contractantes tranchent la question d’un commun accord.
3. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne autre qu’une personne physique est un résident des deux Parties contractantes, elle est considérée comme un résident seulement de la Partie où son siège de direction effective est situé.
La cour a rappelé que selon l'article 4 de la convention, la qualité de résident suppose un assujettissement à l'impôt en raison du domicile, de la résidence ou de critères analogues. Elle a précisé qu'une personne exonérée d'impôt à raison de son statut ou de son activité ne peut être regardée comme assujettie au sens conventionnel.
En l'espèce, la cour a constaté qu'il ne résultait pas de l'instruction que la filiale soit assujettie à l'impôt à Hong Kong pour les revenus de sources non situées dans ce territoire. Cette condition étant déterminante pour la qualification de résident conventionnel, son absence faisait obstacle à l'application de la convention fiscale et validait l'application de la retenue à la source de droit interne.
TL;DR
- La facturation séparée, l'existence d'un cahier des charges spécifique et la finalité distincte des services constituent autant d'indices d'autonomie qui font échec aux arguments d'indissociabilité.;
- la convention fiscale n’offre de protection qu’au prestataire qualifié de résident, ce qui n’est pas le cas d’une structure hongkongaise exonérée pour ses revenus étrangers ;
- la retenue s’applique même si la société française ne procède qu’à une seule facture comportant deux lignes, l’opération unique au regard de la TVA est sans incidence ici.