Le juge de l'impôt précise les modalités d'appréciation du caractère de société à prépondérance immobilière (SPI) dans le cadre de la qualification fiscale des provisions pour dépréciation de titres de participation.
En principe, en application de l'article 39-1-5° du CGI, la provision pour dépréciation de titres de participation suit le régime des moins-values à long terme. En conséquence, elle n'est pas déductible du résultat imposable au taux de droit commun, mais s'impute sur les plus-values à long terme.
Toutefois, le législateur a prévu une exception pour les titres de sociétés à prépondérance immobilière (SPI) non cotées. L'article 219-I-a sexies-0 bis du CGI exclut explicitement les cessions de titres de SPI du régime du long terme. Par symétrie, les provisions pour dépréciation afférentes à ces mêmes titres échappent également à ce régime. Elles sont donc traitées comme une charge ordinaire et deviennent déductibles du résultat imposable au taux de droit commun.
Tout l'enjeu réside dans la qualification de SPI : une société est considérée comme telle lorsque son actif est, à la date de la cession ou à la clôture de l'exercice précédent, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles ou des titres d'autres SPI. Le texte insiste sur la notion de valeur réelle, critère économique qui prime sur la simple transcription comptable. C'est précisément l'application de ce critère qui était au cœur du litige.
Rappel des faits :
Au cas particulier la société C membre d'un groupe fiscalement intégré dont la société LGS était la société mère a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a remis en cause le caractère déductible de plusieurs provisions constituées par la société C au titre de ses exercices clos de 2011 à 2014.
Le litige porte spécifiquement sur une provision pour dépréciation des titres de la société GDI constituée par la société C au titre de l'exercice clos en 2013. Pour justifier la réintégration de cette provision dans les bénéfices imposables au taux de droit commun, l'administration fiscale s'est fondée sur le fait que la société GDI ne présentait pas le caractère d'une SPI. En conséquence, selon l'administration, la provision en cause relevait du régime du long terme et ne pouvait être déduite immédiatement.
La qualification de la société GDI nécessitait d'examiner la composition de son actif. Plus particulièrement, se posait la question de la prise en compte des titres que GDI détenait dans la société H, cette dernière étant elle-même alléguée comme présentant le caractère d'une SPI.
L'administration fiscale, puis le TA de Paris et enfin la CAA de Paris, dans son arrêt du 27 février 2024, ont rejeté cette analyse. Ils ont considéré que la valeur comptable des titres de la société H devait être retenue pour apprécier la prépondérance immobilière de la société GDI, écartant ainsi l'argumentation de la société LGS. C'est contre cet arrêt que la société a formé un pourvoi en cassation, admis sur ce seul grief.
- Pour mémoire, l'administration fiscale défend la position selon laquelle la société GDI ne constitue pas une SPI. Pour parvenir à cette conclusion, elle retient la valeur comptable des titres de la société H détenus par GDI. En procédant ainsi elle considère que l'actif de GDI n'est pas constitué à plus de 50 % d'éléments immobiliers ou de titres de SPI, et donc que la provision litigieuse relève du régime du long terme, non immédiatement déductible.
Le Conseil d'État vient de censurer le raisonnement de la cour administrative d'appel de Paris
La Haute juridiction considère que la cour a commis une erreur de droit en se fondant sur la valeur comptable des titres de la société H alors même que le contribuable lui présentait une argumentation visant à démontrer que leur valeur réelle était différente et supérieure.
Au considérant n°3, le juge énonce que si l'administration est fondée à retenir la valeur comptable des titres pour apprécier le ratio de prépondérance immobilière, ce n'est qu'à une seule condition :
en l'absence de toute argumentation du contribuable tendant à démontrer que la valeur réelle des éléments d'actif de la société s'écarte de leur valeur comptable
Autrement dit, la valeur comptable ne constitue qu'une simple présomption qui n'est pas irréfragable. Elle peut être renversée par le contribuable qui apporte une argumentation tendant à démontrer un écart entre valeur réelle et valeur comptable.
Dès lors que le contribuable conteste cette valeur et apporte des éléments, même sommaires, pour justifier d'une valeur réelle différente, le juge du fond a l'obligation d'examiner cette argumentation. Il ne peut s'en tenir à la valeur inscrite au bilan. En ignorant le débat sur la valeur réelle des titres de H, la cour a méconnu le texte de l'article 219 du CGI, qui fait de la valeur réelle le seul critère légal.
Le Conseil d'État a donc annulé l'arrêt de la CAA de Paris en tant qu'il s'est prononcé sur la remise en cause de la déduction de la provision pour dépréciation des titres de la société GDI, et a renvoyé l'affaire à la même Cour pour qu'elle statue à nouveau sur ce point en tenant compte de l'argumentation du contribuable relative à l'écart entre valeur réelle et valeur comptable.
TL;DR
S'agissant de l'appréciation du caractère de SPI dans le cadre de la qualification fiscale des provisions pour dépréciation de titres de participation :
- Le Conseil d'État consacre une présomption en faveur de la valeur comptable : l'administration peut légitimement s'appuyer sur les données comptables sans devoir systématiquement procéder à des réévaluations complexes.
- Toutefois, cette présomption est réfragable. Le contribuable conserve la possibilité de démontrer que la valeur réelle des actifs s'écarte de leur valeur comptable. Lorsqu'il développe une argumentation en ce sens, le juge a l'obligation de l'examiner et ne peut se contenter de valider mécaniquement la valeur comptable retenue par l'administration.
Cette solution respecte la lettre de la loi qui vise la "valeur réelle" des actifs. La valeur comptable ne constitue qu'un moyen de preuve subsidiaire, certes recevable comme base de départ, mais qui doit céder devant la démonstration probante d'une valeur réelle différente.