Cette décision constitue une nouvelle illustration de la méthode suivie par le juge de l'impôt pour distinguer la gestion patrimoniale classique d'une SCI de l'activité de marchand de biens, en précisant les critères d'appréciation de l'intention spéculative qui conditionne la requalification fiscale.
Le régime fiscal des SCI repose sur le principe de la translucidité fiscale, sauf lorsque ces dernières se livrent à des opérations de nature commerciale. L'article 206-2 du CGI soumet à l'impôt sur les sociétés les sociétés civiles qui « se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ». L'article 35 du même code qualifie notamment de bénéfices industriels et commerciaux ceux réalisés par les personnes qui « procèdent à la cession d'un terrain divisé en lots destinés à être construits lorsque le terrain a été acquis à cet effet ».
La jurisprudence a de longue date établi que la qualification de marchand de biens repose sur la réunion de deux conditions cumulatives : le caractère habituel des opérations et l'intention spéculative. Cette dernière, qui est la plus débattue, doit être présente au moment de l'acquisition du bien et non à celui de sa cession.
Si ces conditions sont remplies, la SCI devient passible de l'impôt sur les sociétés et de la TVA. En cascade, ses bénéfices sont, sauf preuve contraire, réputés distribués à ses associés en application de l'article 109 du CGI et taxés comme tels, en vertu de la théorie jurisprudentielle du "maître de l'affaire".
Rappel des faits :
La SCI D, constituée le 16 mai 2016 avec pour objet l'acquisition et la gestion de biens immobiliers, a acquis le 17 août 2016 un ensemble immobilier d'une surface de 6 143 m² pour 675 000€. L'opération présentait déjà certaines particularités : la promesse de vente avait été initialement consentie à une autre SCI puis transférée aux associés de la société requérante avant d'être finalement cédée à cette dernière. Plus significatif encore, un permis d'aménager délivré en février 2016 avait été simultanément transféré à la SCI acquéreuse.
La société avait ensuite procédé au lotissement et à la viabilisation de six lots, dont cinq destinés à l'habitation. Entre octobre 2017 et septembre 2018, soit dans un délai inférieur à deux ans après l'acquisition, elle avait revendu sept lots pour un montant cumulé de 1 020 700 €, soit un prix supérieur au coût d'acquisition de l'ensemble immobilier. Parallèlement, elle avait rénové la maison d'habitation pour la diviser en sept appartements mis en location à compter de 2020.
Suite à une vérification de comptabilité, l'administration arequalifié ces opérations en activité de marchand de biens et soumis la société à l'impôt sur les sociétés et à la TVA. Elle a également imposé les associés, MM. et Mme D, au titre des revenus distribués.
La SCI D conteste cette requalification en soutenant que son acquisition n'avait pour but que la réhabilitation de la maison d'habitation et sa division en appartements locatifs, conformément à son objet social de gestion patrimoniale. Elle invoque notamment le fait d'avoir acquitté les droits d'enregistrement au taux de droit commun, sans souscrire d'engagement de revendre caractéristique du régime des marchands de biens. Elle prétend que les reventes de terrains n'étaient qu'accessoires et nécessaires au financement de l'opération locative principale.
Le tribunal administratif a donné entièrement raison à l'administration fiscale
S'agissant du caractère habituel
il a relevé que les sept ventes réalisées sur une période de moins d'un an, après un délai bref entre l'acquisition et la première vente, établissaient suffisamment cette condition.
S'agissant de l'intention spéculative
- Le tribunal a notamment souligné que la demande de transfert du permis de lotir préalablement à l'acquisition révélait l'intention de revendre les terrains viabilisés dès la date d'acquisition ;
- Il a également relevé que les reventes avaient porté sur plus de la moitié du terrain d'assise et généré un prix supérieur au coût d'acquisition, permettant de réaliser une plus-value significative ;
- Le tribunal a écarté l'argument selon lequel ces reventes étaient nécessaires au financement de l'opération locative, considérant que cette nécessité n'était pas établie ;
- Il a également noté, sans en faire un élément déterminant mais comme circonstance corroborante, que l'associé majoritaire avait lui-même la qualité de marchand de biens.
TL;DR
L'intention spéculative qui doit être recherchée dès l'acquisition et non a posteriori résulte d'un faisceau d'indices convergents : transfert préalable d'autorisation d'urbanisme, rapidité des reventes, importance des plus-values réalisées, proportion du terrain revendu par rapport à l'acquisition initiale.