Le juge de l'impôt se prononce sur les contours de la notion de "contrat comparable" à la location-gérance dans le contexte de l'exonération de plus-value professionnelle prévue à l'article 238 quindecies du CGI.
L'article 238 quindecies du CGI prévoit un régime d'exonération (total ou partiel) des plus-values professionnelles réalisées lors de la transmission d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité. Dans sa rédaction applicable avant la Loi de Finances pour 2022, le dispositif permettait une exonération totale lorsque la valeur des éléments transmis était inférieure ou égale à 300 000 €. L'article 19 de la Loi de Finances pour 2022 a substantiellement relevé ces plafonds (Exonération totale : jusqu'à 500 000 € et exonération partielle : jusqu'à 1 000 000 €). Pour bénéficier de cette exonération, plusieurs conditions cumulatives doivent être satisfaites :
- L'activité doit avoir été exercée pendant au moins cinq ans (II-1° de l'article 238 quindecies)
- La personne à l'origine de la transmission doit être une entreprise dont les résultats sont soumis à l'impôt sur le revenu ou un contribuable qui exerce son activité professionnelle dans le cadre d'une société de personnes (II-2° du même article)
- En cas de transmission à titre onéreux, le cédant ne doit pas exercer la direction effective de l'entreprise cessionnaire ni détenir plus de 50% des droits de vote ou des bénéfices sociaux de cette entreprise (II-3°)
Dispositions spécifiques aux contrats de location-gérance
Le VII de l'article 238 quindecies, dans sa rédaction antérieure à la LF2022, prévoyait des dispositions spécifiques pour la transmission d'une activité faisant l'objet d'un contrat de location-gérance. Cette transmission devait notamment satisfaire deux conditions :
-
- L'activité devait avoir été exercée depuis au moins cinq ans au moment de la mise en location
- La transmission devait être réalisée au profit du locataire
Régime issu de la Loi de Finances pour 2022
S'agissant de la transmission d'un fonds ou d'une activité donnée en location-gérance, l'article 238 quindecies-VII, dans sa rédaction issue de l'article 19 de la Loi de Finances pour 2022, dispose que le régime d'exonération est subordonné au respect simultané des deux conditions suivantes :
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- L'activité est exercée depuis au moins cinq ans au moment de la mise en location-gérance
- La transmission est réalisée au profit du locataire ou, dans le respect du contrat, de toute autre personne, sous réserve que cette transmission porte sur l'intégralité des éléments concourant à l'exploitation de l'activité qui a fait l'objet du contrat de location-gérance ou d'un contrat comparable.
L'enjeu de la qualification du "contrat comparable" est donc majeur, car elle détermine si le cédant, qui ne jouissait plus de l'exploitation directe de son fonds, peut néanmoins prétendre à l'exonération.
Rappel des faits :
M. B, un avocat a cédé, en 2016, sa clientèle à la SELARL Cabinet B Avocats. Or, depuis le 1er janvier 2010, M. B avait mis gratuitement son fonds civil de cabinet d'avocat à la disposition de cette même SELARL par le biais d'un contrat de commodat, tacitement reconduit chaque année. Lors de la cession, M. B a déclaré une plus-value à long terme qu'il a placée sous le bénéfice de l'exonération de l'article 238 quindecies du CGI.
L'administration fiscale, à la suite d'une vérification de comptabilité, a remis en cause cette exonération. Elle a soutenu, d'une part, que M. B n'exerçait plus une activité d'entreprise individuelle à titre professionnel à la date de la cession, ayant cessé de participer personnellement, directement et continuellement à la gestion de l'entreprise en raison du commodat. D'autre part, et c'est le point central de l'arrêt, l'administration considérait qu'un contrat de commodat ne pouvait être qualifié de contrat comparable à une location-gérance au sens du VII de l'article 238 quindecies du CGI.
Le tribunal administratif de Lyon, dans son jugement du 22 novembre 2022, a donné raison à l'administration, rejetant la demande de décharge de M. et Mme B.
Notre article commentant cette décision : La cession d’une clientèle civile faisant l’objet d’un commodat à l'épreuve de l'exonération de l'article 238 quindecies du CGI
M. et Mme B, en appel, contestent le jugement du tribunal administratif. Ils estiment que M. B remplissait bien toutes les conditions de l'article 238 quindecies du CGI, y compris la condition d'exercice professionnel, en dépit du commodat. Ils insistent sur le fait qu'aucune disposition n'impose qu'au jour de la transmission, le propriétaire du fonds en ait effectivement repris la gérance après un contrat de location-gérance ou un contrat comparable.
La Cour vient de faire droit à la demande des époux B en annulant le jugement du tribunal administratif de Lyon du 22 novembre 2022.
C'est justement sur la qualification du contrat de commodat que la Cour a divergé de l'administration et du tribunal administratif. Elle a relevé que M. B continuait à être soumis à la CFE et que son entreprise individuelle n'avait pas disparu malgré l'absence de revenus et de charges déclarés.
La Cour a mis en exergue la finalité du commodat et de la location-gérance : permettre à un tiers l'exercice de l'activité professionnelle sans transfert de propriété des éléments du fonds, lequel revient au prêteur ou au loueur à la fin du contrat. Si le commodat est gratuit, à la différence de la location-gérance qui est onéreuse, cette différence n'altère pas leur finalité commune : ni l'un ni l'autre ne sauraient être considérés comme une cessation d'activité génératrice de plus-value.
En conséquence, la Cour a jugé que le contrat de prêt à usage (commodat) du fonds libéral devait être regardé comme un contrat comparable à celui de location-gérance au sens du VII de l'article 238 quindecies du CGI. Partant de ce constat, la Cour a estimé que M. et Mme B… étaient fondés à se prévaloir de l'exonération des plus-values.