Le juge de l'impôt nous rappelle que les plus-values professionnelles exonérées d'impôt sur le revenu au titre du départ à la retraite du cédant demeurent soumises aux prélèvements sociaux, même lorsqu'elles ont préalablement bénéficié d'un report d'imposition en application de l'article 151 octies du CGI.
Pour mémoire l'article 151 octies du CGI permet, lors de l'apport d'une entreprise individuelle à une société, de placer en report d'imposition la plus-value constatée sur les immobilisations non amortissables. Le fait générateur de l'imposition est ainsi différé jusqu'à la cession ultérieure des droits sociaux reçus en échange.
D'autre part, l'article 151 septies A du CGI, dans son IV bis, prévoit une exonération d'impôt sur le revenu des plus-values (y compris celles en report) lors de la cession de titres par un dirigeant qui cesse ses fonctions et fait valoir ses droits à la retraite.
La doctrine BOFIP BOI-BIC-PVMV-40-20-20-40, n°120 précise en effet :
En cas de cession à titre onéreux d’une entreprise individuelle ou des droits ou des parts d’une société dans laquelle l’associé cédant exerce son activité professionnelle, les plus-values placées antérieurement en report d’imposition deviennent, en principe, immédiatement exigibles.
Toutefois, certaines plus-values professionnelles en report d’imposition peuvent être exonérées sur le fondement du I bis de l’article 151 septies A du CGI. Il s’agit des plus-values suivantes :
- plus-values d’apport d’immobilisations non amortissables d’une entreprise individuelle ou d’une branche complète d’activité à une société par un exploitant individuel (BNC, BIC, BA) dans les conditions prévues à l’article 151 octies du CGI ;
Enfin, l'article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale (CSS) définit l'assiette de la contribution sur les revenus du patrimoine. Si cet article exclut de son champ les revenus d'activité (relevant de l'article L. 136-3), son I-3° précise néanmoins que sont expressément soumises à cette contribution
Les plus-values à long terme exonérées en application de l’article 151 septies A du CGI.
Rappel des faits :
M. et Mme A ont procédé le 8 mai 2007 à l'apport d'un fonds de commerce de traitement de surfaces qui leur appartenait à la SARL MB Peintures. En rémunération de cet apport, ils ont reçu 19 670 actions nouvelles de la société au prix unitaire de 15,245 €. Conformément aux dispositions de l'article 151 octies du CGI, ils ont exercé l'option pour le report de l'imposition de la plus-value professionnelle constatée à l'occasion de l'apport des éléments non amortissables.
Le 29 décembre 2016, près de dix ans après l'apport initial, les époux A ont cédé l'intégralité des parts sociales de la SARL MB Peintures qu'ils détenaient pour un prix de 5 200 000 €.M. A, qui exerçait les fonctions de président de la société, a démissionné le même jour et a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2017.
Dans un courrier joint à leur déclaration de revenus de l'année 2016, les époux A ont mentionné qu'une plus-value en report d'imposition au sens de l'article 151 octies du CGI était attachée aux actions cédées pour un montant de 265 250 €. Ils ont sollicité et obtenu l'exonération de plus-value professionnelle lors du départ à la retraite prévue à l'article 151 septies A-IV bis du CGI du CGI.
L'administration fiscale a procédé à un contrôle sur pièces de la situation fiscale des contribuables et leur a adressé une proposition de rectification le 18 juillet 2018 les informant de son intention de soumettre la plus-value en report d'imposition aux prélèvements sociaux.
M. et Mme A... ont présenté une réclamation préalable le 11 février 2020 en sollicitant l'exonération de prélèvements sociaux sur la plus-value en report d'imposition. Cette réclamation ayant été rejetée les époux A ont saisi le TA de Besançon qui a rejeté leur demande.
Les époux A ont fait appel de ce jugement devant la Cour administrative d'appel de Nancy
- ils soutiennent que la plus-value professionnelle à long terme appartient à la catégorie des BIC et relève des revenus d'activité au sens de l'article L. 136-3 du CSS. Ils en déduisent qu'elle était en conséquence exclue de la contribution sur les revenus du patrimoine en vertu de de l'article L. 136-6-f) du même code.
- Ils font également valoir que le report en matière de contribution sur les revenus du patrimoine est sans objet faute de base d'imposition reportée en cette matière. Selon eux, le mécanisme de report d'imposition prévu à l'article 151 octies ne concerne que l'impôt sur le revenu et non les prélèvements sociaux, de sorte que l'exonération d'impôt sur le revenu prononcée en application de l'article 151 septies A doit s'accompagner logiquement d'une exonération de prélèvements sociaux, ceux-ci n'ayant jamais fait l'objet d'un report.
La Cour administrative d'appel de Nancy vient de rejeter la demande des contribuables.
- La Cour écarte l'argumentation fondée sur la nature professionnelle du gain en rappelant la solution, déjà établie, selon laquelle le régime du report d'imposition de l'article 151 octies n'a pas pour effet de différer le paiement d'une imposition, mais de décaler le fait générateur de l'imposition à l'année où le report prend fin. C'est donc à la date de la cession (2016) qu'il faut apprécier le régime applicable.
- S'agissant de l'article L. 136-6 du CSS, le juge rappelle que, si le f) de cet article exclut bien les revenus d'activité, le 3° du même I vise spécifiquement et expressément les plus-values exonérées sur le fondement de l'article 151 septies A du CGI pour les inclure dans l'assiette des prélèvements sur les revenus du patrimoine.
La Cour en conclut que cette disposition spécifique (le 3°) constitue un fondement autonome d'imposition qui déroge à la règle générale d'exclusion des revenus professionnels (le f).
En d'autres termes, peu importe la nature originelle du revenu ; dès lors qu'il bénéficie de l'exonération spécifique pour départ à la retraite (151 septies A), il bascule ipso jure dans l'assiette des prélèvements sociaux sur le patrimoine.