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Contrôle et contentieux

Pénalités fiscales : le juge encadre strictement la substitution de base légale

Le juge de l'impôt nous rappelle les strictes conditions d'application de la substitution de base légale en matière de pénalités fiscales.

 

Notre droit fiscal national prévoit différentes catégories de pénalités applicables en cas de manquement aux obligations déclaratives ou de paiement. Parmi elles, l'amende pour manquement délibéré (Art. 1729 du CGI) sanctionne les inexactitudes ou omissions volontaires ayant pour objet d'éluder l'impôt, et se caractérise par un taux de majoration plus élevé (40 %). À l'inverse, l'amende de 10 % pour inexactitudes ou omissions non délibérées (Art. 1758 A du CGI) est applicable aux erreurs matérielles ou involontaires qui minorent l'impôt dû.

 

En contentieux fiscal, l'administration dispose de la faculté de modifier le fondement juridique d'une pénalité, c'est la substitution de base légale. Cependant, cette possibilité est encadrée par des conditions strictes :

  • d'une part, elle ne doit priver le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi ;
  • d'autre part, l'administration doit invoquer, au soutien de la demande de substitution, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée.

C'est justement au sujet de cette seconde condition que l'arrêt de la CAA de Nancy apporte des précisions.


 

Rappel des faits :

L'affaire concerne M. B, dirigeant d'une société allemande, qui a cédé ses droits sociaux en 2012, réalisant une plus-value importante. Il a appliqué un abattement de 100 % prévu à l'article 150-0 D ter du CGI en cas de cession de titres de PME par des dirigeants partant à la retraite. L'administration fiscale a remis en cause cet abattement, considérant que M. A ne remplissait pas les conditions d'éligibilité : ni la condition de détention d'au moins 25 % des droits pendant cinq ans, ni la condition de départ à la retraite effectif dans les 24 mois entourant la cession. En conséquence, un supplément d'impôt sur le revenu a été assigné, assorti initialement d'une majoration pour manquement délibéré (40 %).

Après un rejet de sa réclamation, M. A a saisi le TA de Strasbourg, qui a prononcé la décharge de la pénalité pour manquement délibéré, mais a rejeté le surplus de ses demandes. Le ministre a alors fait appel, sollicitant le rétablissement de la pénalité de 40 % ou, subsidiairement, la substitution par la pénalité de 10 % prévue par l'article 1758 A du CGI.

La CAA de Nancy, dans un premier arrêt du 15 octobre 2020, a partiellement fait droit à l'appel du ministre en substituant la pénalité de 10 % à celle de 40 %. Cependant, cette décision a été cassée par le Conseil d'État le 25 mai 2022, qui a renvoyé l'affaire devant la même cour.

5. D'autre part, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour déterminer si M. Baron B..., en plaçant la plus-value réalisée lors de la cession des titres de la société GEM Elektromontagen Graber GmbH qu'il dirigeait, dans le champ du régime d'abattement de l'article 150-0 D ter du code général des impôt, avait fait une inexacte application de la loi fiscale dans sa déclaration de revenus, conduisant à une minoration de son impôt de nature à justifier l'application en conséquence de la pénalité de 10 % instituée par l'article 1758 A du code général des impôts, la cour a jugé que devaient être considérées comme " personnes interposées ", au sens du b) du 2° du I de l'article 150-0 D ter du code général des impôts, uniquement les sociétés ou groupements exerçant une activité civile soumis au régime d'imposition des sociétés de personnes visées à l'article 8 du code général des impôts. En statuant ainsi alors qu'il ne ressort pas des termes de la loi, qui est claire, qu'il y ait lieu de faire une distinction entre les droits détenus par l'intermédiaire d'une société de personnes et ceux détenus par l'intermédiaire d'une société de capitaux, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. Baron B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant que la cour a mis à sa charge la pénalité de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts.

 

C'est dans ce cadre de renvoi après cassation que la Cour de Nancy a de nouveau été saisie, le ministre sollicitant cette fois-ci directement la substitution de la pénalité de 10 % à celle initialement appliquée.


 

Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que l'élément matériel, seul requis pour l'application de la majoration de 10 % de l'article 1758 A du CGI, est constitué par la rectification elle-même. Il estime que cette rectification repose non seulement sur le non-respect de la condition de détention indirecte (argument initial pour la pénalité de 40 %), mais aussi, et surtout dans le dernier état de ses écritures, sur le non-respect de la condition de départ effectif à la retraite dans les 24 mois autour de la cession. Il demande à la Cour de procéder à cette substitution de base légale, en faisant valoir que l'entrée en jouissance effective des droits à la retraite de M. B n'était pas intervenue dans le délai requis.

 

La Cour vient de rejeter la demande du ministre.

 

La CAA de Nancy, après avoir constaté qu'elle n'était plus saisie des conclusions relatives à la pénalité pour manquement délibéré suite au pourvoi partiel en cassation, s'est concentrée sur la demande de substitution de la pénalité de 10 % (Art. 1758 A CGI).

 

Elle a rappelé la double condition de la substitution de base légale :

  • respect des garanties de procédure
  • et invocation de faits ayant motivé la pénalité initiale.

Or, en l'espèce, la Cour a relevé que l'administration avait initialement motivé la pénalité pour manquement délibéré (40 %) uniquement sur le non-respect de la condition de détention des titres cédés.

 

  • La Cour a constaté que la proposition de rectification du 8 juin 2015 n'avait nullement fait référence, pour le prononcé de la pénalité, au fait que M. B ne remplissait pas la condition liée au départ effectif à la retraite.
  • Elle a même souligné qu'à la date de la déclaration de M. B. (le 29 août 2013), ce dernier pouvait encore faire valoir ses droits à la retraite jusqu'en mars 2014, ce qui rendait l'argument de l'administration sur la pénalité de 10 % particulièrement faible au regard de la motivation initiale.

 

En conséquence, la Cour a jugé que la demande de substitution de pénalités présentée par le ministre ne pouvait être accueillie, faute pour l'administration d'avoir invoqué, au soutien de la pénalité de 10 %, un fait (le non-respect de la condition de retraite) qui avait été retenu comme motif de la pénalité initialement appliquée.

 

Publié le mardi 24 juin 2025 par La rédaction

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