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Taxes diverses

Constitutionnalité du mécanisme de lissage de la taxe foncière en cas de changement d'affectation des locaux

Le Conseil constitutionnel répond à une QPC portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1518 A sexies du CGI, dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2019 et apporte un éclairage sur le principe d'égalité devant les charges publiques appliqué aux mécanismes de lissage fiscal, notamment lorsque ces derniers peuvent s'appliquer à des situations où la base d'imposition est amenée à diminuer.

 

L’article 156 de la LF pour 2019 a  instauré un dispositif de lissage sur six ans codifié à l'article 1518 A sexies du CGI, lorsque la valeur locative d’un local industriel ou professionnel évolue de plus de 30 % consécutivement :

  •  soit à un changement de méthode de détermination de la valeur locative d'un bâtiment ou terrain industriel en application de l’article 1499-00 A du CGI ou de l’article 1500 du CGI ;
  •  soit à un changement d’affectation au sens de l’article 1406 du CGI.

L'article 1518 A sexies du CGI prévoit ainsi un mécanisme de lissage destiné à atténuer les variations importantes de valeur locative pouvant résulter d'un changement de méthode d'évaluation ou d'un changement d'affectation d'un bâtiment ou terrain industriel. Ce lissage s'applique lorsque la variation de valeur locative excède 30% de la valeur antérieure, et consiste en une réduction dégressive de cette variation sur six années, à hauteur de 85% la première année, puis 70%, 55%, 40%, 25% et enfin 10% la sixième année.

 

Ce mécanisme s'inscrit dans le régime de détermination des valeurs locatives qui servent de base à l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Selon l'article 1494 du CGI, ces valeurs sont déterminées conformément aux différentes méthodes d'évaluation définies par les articles 1495 à 1508 du même code.

 

La particularité de l'article 1518 A sexies est qu'il s'applique tant aux variations à la hausse qu'à la baisse de la valeur locative. Ainsi, paradoxalement, un contribuable qui verrait la valeur locative de son bien diminuer significativement à la suite d'un changement d'affectation (par exemple, la transformation d'un local industriel en local professionnel) ne bénéficierait pas immédiatement de la totalité de cette baisse, mais seulement progressivement sur six ans.

L’article 29 de la LF pour 2021 a modernisé les modalités de détermination de la valeur locative des établissements industriels évalués en application de l’article 1499 du CGI, en diminuant les taux d’intérêt appliqués au prix de revient des biens inscrits au bilan du propriétaire ou de l’exploitant. Ainsi, les installations foncières et constructions se verront appliquer un taux de 6 % et les sols et terrains un taux de 4 %. En conséquence, l'article 29 de la loi de finances pour 2021 prévoit un nouveau calcul du lissage prévu à l'article 1518 A sexies du CGI pour les locaux ayant bénéficié de la réduction des taux d’intérêt prévus à l’article 1499 du CGI.

 

Rappel des faits :

La société T a saisi le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité visant le second alinéa du paragraphe I de l'article 1518 A sexies du CGI, qui étend le mécanisme de lissage aux variations de valeur locative résultant d'un changement d'affectation pour des locaux industriels nouvellement affectés à un usage professionnel ou réciproquement.

Cette question a été transmise au Conseil constitutionnel par décision du Conseil d'État n° 497683 du 18 février 2025, estimant que le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaissaient le principe d'égalité devant les charges publiques présentait un caractère sérieux.

 

La société T soutenait que le mécanisme de lissage, lorsqu'il s'applique à une variation à la baisse de la valeur locative consécutive à la cessation d'une activité industrielle dans un local, aboutit à imposer le contribuable sur la base de critères qui ne seraient pas objectifs et rationnels, et en considération d'une assiette fictive, décorrélée de ses facultés contributives.

 

En d'autres termes, elle contestait le fait d'être imposée pendant plusieurs années sur une base partiellement déterminée par l'ancienne affectation industrielle du local, alors même que cette affectation avait cessé et que la valeur locative réelle du bien avait significativement diminué.

 

Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées ne méconnaissaient pas le principe d'égalité devant les charges publiques et étaient donc conformes à la Constitution.

 

Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil s'est d'abord référé aux principes constitutionnels applicables. Selon l'article 13 de la DDHC de 1789, la contribution commune "doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives, en fondant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose, sans entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

 

Le Conseil a ensuite examiné l'objectif poursuivi par le législateur. Il ressort des travaux préparatoires de la loi de finances pour 2019 que le mécanisme de lissage visait, dans un objectif de rendement budgétaire, à atténuer la perte immédiate de ressources pour les collectivités territoriales résultant d'une baisse significative de la valeur locative.

 

Le Conseil constitutionnel a rappelé qu'il n'avait pas un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement et qu'il ne lui appartenait pas de rechercher si les objectifs du législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.

 

Le Conseil a alors considéré que les modalités de lissage retenues par le législateur étaient proportionnées :

  • Le mécanisme ne s'applique que lorsque la variation de valeur locative excède 30% de la valeur antérieure
  • La réduction s'applique de manière dégressive sur six ans
  • Le lissage cesse de s'appliquer en cas de changement d'exploitant ou de modification du bâtiment ou terrain

Par ailleurs, le Conseil a noté que l'imposition reste assise sur la valeur locative du local concerné, y compris pendant la période de lissage. Ainsi, les dispositions contestées n'ont pas pour effet d'assujettir le contribuable à une imposition dont l'assiette inclurait une capacité contributive dont il ne disposerait pas.

 

Publié le vendredi 9 mai 2025 par La rédaction

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