Le juge de l'impôt a décidé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la taxe sur les services numériques (TSN), dite "taxe GAFA".
Pour mémoire, l’article 1er de la loi n° 2019-759 du 24 juillet 2019 portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés a instauré une taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique.
La taxe est calculée en appliquant un taux de 3 % au montant des sommes encaissées en contrepartie des services numériques taxables rattachables à la France.
Le 8 avril 2021 l’administration (après consultation publique) a publié ses commentaires définitifs concernant cette taxe.
Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir (REP), la SASU Amazon Online Franceune a attaqué plusieurs des paragraphes desdits commentaires, qui ont été censurés par le le Conseil d’Etat dans une décision en date du 31 mars 2022.
L'article 30 de la Loi de Finances pour 2023 a tiré les conséquences de la décision du Conseil d’État du 31 mars 2022, qui a abrogé plusieurs interprétations apportées par la doctrine fiscale relatives au champ de la TSN.
- Il a précisé que ne doivent être exclus du champ des services taxables que les services de mise à disposition d’une interface numérique pour lesquels les interactions entre utilisateurs ne présentent qu’un caractère accessoire au regard des services qu’ils proposent.
- L'article 30 a également prévu que l'exclusion de certains services taxables soit sans préjudice de l’assujettissement de ces contenus à la taxe lorsqu’ils constituent par eux-mêmes une interface numérique relevant du champ de la TSN.
- Enfin, l’exclusion des services fournis entre entreprises appartenant à un même groupe ne portera plus que sur les services exclusivement rendus aux entreprises du même groupe.
Ces évolutions s’appliquent à la taxe dont le fait générateur intervient à partir du 31 décembre 2022.
Rappel des faits :
La société DCF, dans le cadre d'une demande de restitution de la taxe sur les services numériques acquittée au titre de l'année 2019, a soulevé une QPC par deux mémoires enregistrés les 15 novembre 2024 et 21 février 2025 devant le TA de Montreuil. Le président de la première chambre du TA, considérant que les conditions légales étaient réunies, a transmis cette question au Conseil d'État.
La QPC porte spécifiquement sur les articles 299, 299 bis et 299 quater du CGI, dans leur rédaction issue de la loi du 24 juillet 2019, ainsi que le dernier alinéa du III de l'article 1er de cette même loi. Ces dispositions encadrent le régime de la taxe sur les services numériques, son assiette, ses seuils d'application et ses règles de territorialité.
La société DCF a articulé son argumentation autour de plusieurs griefs, tous centrés sur une atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale (Art. 13 de la DDHC de 1789) et d'égalité devant les charges publiques (Art.13 de la DDHC).
En substance, les principaux arguments soulevés par la société sont les suivants :
- Rupture d'égalité entre redevables selon qu'ils sont assujettis ou non à l'impôt sur les sociétés en France : La TSN créerait une discrimination injustifiée.
- Exclusions contraires au principe d'égalité : Certaines exclusions de la taxe seraient arbitraires.
- Différence de traitement entre services numériques et non numériques : Une société proposant un même service verrait un traitement fiscal différent selon que le support est numérique ou non, sans justification rationnelle.
- Effet des seuils sur les groupes consolidés et présomption irréfragable de fraude : L'appréciation des seuils d'entrée dans le dispositif au niveau du groupe consolidé introduirait une différence de traitement et une présomption de fraude jugée irréfragable et inconstitutionnelle.
- Irrationalité des règles de territorialité et du coefficient de présence nationale : Le mécanisme de rattachement à la France des services taxables (le "coefficient de présence nationale") serait ni objectif, ni rationnel, notamment dans sa méthode d'évaluation pour l'année 2019.
- Différence de traitement selon la structure du groupe : Le calcul du coefficient de présence nationale conduirait à une inégalité entre des services similaires exploités par une seule entreprise ou par plusieurs entités au sein d'un même groupe.
- Effet de seuil excessif : La TSN créerait une rupture d'égalité devant les charges publiques en raison d'un effet de seuil jugé disproportionné.
- Difficultés de contrôle des opérateurs étrangers : Le cadre actuel entraînerait une rupture d'égalité entre opérateurs économiques établis ou non en France, du fait des défis rencontrés par l'administration pour contrôler les entités étrangères.
Le Conseil d'État a décidé de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Dans un contexte international complexe, marqué notamment par les tensions commerciales avec les États-Unis (la taxe GAFA est dans le viseur de Trump) la décision du Conseil constitutionnel sera déterminante pour l'avenir de cette taxe, mise en place en l'absence de consensus international sur la fiscalité du numérique et souvent perçue comme un instrument unilatéral.
Si le Conseil constitutionnel devait juger les dispositions susvisées inconstitutionnelles, cela pourrait entraîner une remise en cause du dispositif et, potentiellement, des restitutions d'impôts pour les entreprises redevables. On imagine que l'issue de ce recours sera très attendue par les acteurs du secteur numérique et leurs conseils...
Affaire à suivre...