Le juge de l'impôt nous rappelle, pour les contribuables qui invoquent la force majeure pour justifier l'inexécution de leurs engagements fiscaux (Engagement de revendre de l'article 1115 du CGI), que la preuve est loin dêtre aisée. Une argumentation générale fondée sur des difficultés financières globales ne suffit pas sans démonstration précise du lien causal avec l'impossibilité spécifique d'exécution.
Pour mémoire, les achats d'immeubles effectués par les marchands de biens sont, au terme de l'article 1115 du CGI exonérés d'une partie des droits et taxes de mutation notamment sous réserve que ceux-ci prennent dans l'acte d'acquisition l'engagement de revendre dans un délai de cinq ans. Toutefois, aux termes du dernier alinéa de l'article 1115 du CGI, ce délai est ramené à deux ans pour les ventes à la découpe.
Dès lors, si les conditions prévues par l'article 1115 du CGI sont respectées, et notamment le respect du délai de revente de deux ou cinq ans, selon les cas, les droits d'enregistrement supportés par le marchand de biens lors de l'acquisition sont dus au taux effectif de 0,715 % (En lieu et place du taux de 5,81% ).
La déchéance de ce régime de faveur est encourue du seul fait que le bien acquis n'a pas été revendu dans le délai légal de 5 ans (ou de 2 ans) éventuellement prorogé. Ainsi, conformément à l'article 1840 G ter du CGI, lorsqu'à l'échéance du délai de cinq ans, l'engagement de revendre n'est pas respecté, l'acquéreur est redevable des droits dont il a été dispensé, liquidés d'après les tarifs en vigueur au jour de l'acquisition du bien en cause, ainsi que du complément de frais d'assiette, de recouvrement, de dégrèvement et de non valeur qui en résultent, auxquels s'ajoute l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du CGI.
le mois qui suit la rupture de l'engagement.
Cette mécanique de déchéance automatique reflète la rigueur du législateur fiscal dans l'application des régimes de faveur. La jurisprudence a traditionnellement adopté une approche stricte de ces engagements, considérant que leur portée doit être appréciée sans avoir à rechercher l'intention des parties, conformément aux principes généraux d'interprétation des textes fiscaux dérogatoires.
Toutefois, la doctrine administrative, reprise dans les commentaires BOI-ENR-DMTOI-10-50, a admis qu'il pourrait y avoir lieu de prendre en compte la force majeure invoquée par un acquéreur qui serait en mesure d'établir qu'à raison d'une circonstance présentant les caractères d'extériorité et d'imprévisibilité, il a été dans l'impossibilité insurmontable de vendre pendant toute la durée de son obligation.
Ainsi, la portée de l'engagement doit être appréciée sans avoir à rechercher l'intention des parties. Toutefois, il y aurait lieu de prendre en compte la force majeure invoquée par un acquéreur qui serait en mesure d'établir qu'à raison d'une circonstance présentant les caractères d'extériorité et d'imprévisibilité, il a été dans l'impossibilité insurmontable de vendre pendant toute la durée de son obligation
Rappel des faits:
La SNC X, est filiale du groupe PP (Holding), structure comptant une trentaine de sociétés immobilières et dont le patrimoine est composé d'environ 900 lots de copropriété répartis sur une centaine de biens immobiliers.
Le 15 mai 2012, la SNC X a acquis les lots n° 1 et 10 d'un ensemble immobilier au prix de 6,7M€. Cette acquisition, réalisée dans le cadre du régime spécial des achats en vue de la revente prévu à l'article 1115 du CGI, a bénéficié d'une exonération substantielle, les droits de mutation étant réduits à 47 904 € au lieu des montants normalement exigibles.
La société a donc pris l'engagement de revendre ces biens dans un délai de cinq ans, soit avant le 15 mai 2017. L'opération a partiellement abouti puisque la société a procédé à la subdivision du lot n° 1 en deux lots (n° 18 et 19) et a effectivement vendu le lot n° 18. Cependant, à l'échéance du délai de cinq ans, le 15 mai 2017, elle demeurait propriétaire du lot n° 19 issu de cette subdivision ainsi que du lot n° 10 initial, plaçant l'opération en situation d'échec partiel au regard des obligations fiscales souscrites.
L'administration a engagé une procédure de rectification par proposition du 25 octobre 2018 que la société a contesté, invoquant un cas de force majeure ayant rendu la vente des derniers lots impossible dans le délai imparti.
L'administration ayant maintenu sa position par réponse du 5 mars 2019, la holding PP a saisi le juge judiciaire. Le tribunal judiciaire de Paris ayant donné raison à l'administration par jugement du 8 juillet 2022, la holding PP a fait appel.
La société demanderesse se prévaut
- de la perte, fin 2011, du financement qu'un établissement bancaire du groupe BPCE s'était engagé à consentir pour un montant considérable de 35 M€. Cette rupture de financement constituait selon le groupe l'événement déclencheur d'une série de difficultés qui devaient compromettre irrémédiablement sa capacité opérationnelle.
- de l'échec en 2014 d'une tentative de cession du groupe à la société FN, opération qui avait précisément pour objectif de pallier la perte du financement bancaire initial. Cette tentative de restructuration capitalistique, présentée comme une mesure correctrice nécessaire, avait échoué malgré plusieurs mois de négociations, aggravant la situation financière du groupe.
- d'une escroquerie dont le groupe avait été victime en 2014 lors de la recherche d'un nouveau financement auprès de la société K Asset Capital, entraînant une perte d'1M€. Cette escroquerie était présentée comme un événement imprévisible et extérieur ayant encore dégradé la situation financière déjà fragile du groupe.
- de manœuvres frauduleuses commises fin 2014 et courant 2015 par le groupe C investisseur qui devait intégrer le groupe PPP. Ces difficultés relationnelles, n'ayant trouvé de résolution qu'en novembre 2015 par un accord de conciliation, avaient selon le groupe paralysé ses capacités d'action pendant une période cruciale.
Ainsi la holding PP soutenait que cette accumulation exceptionnelle d'événements défavorables l'avait conduit au bord de la faillite, la contraignant à réduire drastiquement ses effectifs. Cette réduction d'effectifs était présentée comme ayant créé une impossibilité matérielle de procéder aux reventes, un seul asset manager ayant en charge la revente de plus de 800 lots à compter de 2015.
La Cour d'appel de Paris vient de rejeter la demande de la Holding PP confirmant la décision des juges du fond
- La Cour a d'abord remis en question la réalité et les circonstances de la perte du financement bancaire présentée comme la source initiale des difficultés. La juridiction a relevé qu'il n'était justifié ni des conditions dans lesquelles l'accord portant sur un prêt de 35 millions d'euros aurait été donné par l'établissement bancaire, ni des conditions dans lesquelles ce dernier y aurait renoncé.
- S'agissant de l'échec de la cession à la société FN, la Cour a considéré que la renonciation d'un potentiel acquéreur, même après plusieurs mois de négociations, ne constituait pas un événement imprévisible dans la vie des affaires.
- S'agissant de l'escroquerie alléguée avec la société K Asset Capital la juridiction a considéré que ce détournement n'était pas imprévisible au regard des circonstances entourant la conclusion du contrat de prêt, le groupe ne justifiant pas des diligences effectuées pour s'assurer de la fiabilité du bénéficiaire avant de procéder au versement.
- Enfin, concernant les difficultés avec le groupe C, la Cour a adopté une position similaire, considérant que les mésententes entre investisseurs, ayant conduit à constater que leurs intérêts "n'étaient pas alignés", ne constituaient pas un événement imprévisible dans le cadre de relations commerciales complexes.
Au-delà de l'analyse du caractère imprévisible des événements, la Cour d'appel s'est attachée à examiner la réalité de l'impossibilité d'exécution alléguée par le groupe PP.
Ainsi, la Cour a d'abord contesté la réalité de la situation financière catastrophique décrite par le groupe. Elle a relevé que la seule production des déclarations de résultat 2058-C pour les exercices 2013 à 2016 n'établissait pas que le groupe PP aurait été "au bord de la faillite" comme il le prétendait.
La Cour a ensuite remis en question la réalité des contraintes opérationnelles décrites par le groupe. Elle a considéré que celui-ci n'établissait pas que les difficultés financières alléguées auraient été d'une ampleur telle qu'elles auraient contraint le groupe à réduire ses effectifs au point de ne plus être en mesure de procéder aux reventes des lots soumis à engagement.
Plus spécifiquement, la Cour a souligné que le groupe ne démontrait pas l'impossibilité de procéder à la revente des deux lots spécifiques dont la société SNC était propriétaire au 15 mai 2017.
La Cour d'appel a également pris en considération l'évolution du droit civil de la force majeure résultant de l'ordonnance du 10 février 2016, qui a modifié l'article 1218 du Code civil. Selon les nouveaux critères de l'article 1218, l'événement de force majeure doit présenter un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et être insurmontable, c'est-à-dire qu'il ne peut être évité par des mesures appropriées.
La Cour a appliqué ces critères rénovés en soulignant que le groupe ne démontrait pas que les événements invoqués n'auraient pas pu être évités par des mesures appropriées, notamment par l'affectation du personnel nécessaire à la réalisation des ventes.