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Impôt sur les sociétés

Pouvoir décisionnel et établissement stable : la localisation du centre de décision comme critère déterminant de la territorialité fiscale

Nouvel éclairage relatif aux critères permettant de caractériser l'existence d'un établissement stable en France et les conditions d'application du régime de l'activité occulte. Cette jurisprudence qui s'inscrit dans la continuité des efforts de lutte contre l'évasion fiscale, nous rappelle que seule une réelle substance économique à l'étranger peut justifier une localisation fiscale hors de France. 

 

En vertu de l’article 209-I du CGI, les bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, ainsi que ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions, sont passibles de l’impôt sur les sociétés. Cette disposition doit être lue à la lumière des conventions fiscales internationales, en l'espèce l'accord franco-hongkongais du 21 octobre 2010 destiné à éviter les doubles impositions.

 

La notion d'établissement stable, bien que non définie par le droit interne français, constitue le critère déterminant pour l'assujettissement à l'impôt des sociétés étrangères. La jurisprudence administrative retient traditionnellement une approche  fondée sur la recherche d'une installation fixe d'affaires permettant l'exercice effectif de l'activité.

 

S'agissant du régime de l'activité occulte, l'article L. 169 du LPF étend le délai de reprise de l'administration à dix ans lorsque le contribuable n'a pas déposé ses déclarations fiscales dans les délais légaux et n'a pas fait connaître son activité aux organismes compétents. Cette disposition vise à lutter contre la dissimulation d'activités et renforce considérablement le pouvoir de contrôle de l'administration.

Pour mémoire, l'article 61 de la LF pour 2025 a étendu le délai de reprise fiscale à 10 ans pour les cas de fausse domiciliation fiscale à l'étranger. En effet, la loi a ajouté un nouveau cas d'extension du délai de reprise à dix ans : celui des personnes physiques se prévalant d'une fausse domiciliation fiscale à l'étranger. Cette modification est justifiée par la complexité des investigations nécessaires à l'administration fiscale pour établir la réalité de la domiciliation fiscale. De même l'article 59 de cette même loi a étendu ce délai de reprise spécial aux situations de non-respect des obligations déclaratives concernant les actifs numériques (article 1649 bis C du CGI).

Rappel des faits :

La société E Limited, immatriculée à Hong Kong, exerçait une activité de commercialisation de sacs réutilisables et d'achat-revente à l'exportation. L'administration fiscale française, à la suite d'opérations de visite et de saisie autorisées par le juge des libertés et de la détention, a découvert l'existence de liens étroits entre cette société hongkongaise et des entités françaises.

L'instruction a révélé une structure complexe où E Limited était contrôlée, via la société luxembourgeoise V Holding SA, par la société française DJD Holding, elle-même détenue par M. AC, domicilié à Paris. La société requérante avait pour principal client la SAS V, société française dont le siège social était situé à Paris.

Les éléments saisis ont mis en évidence que l'activité réelle de E Limited s'exerçait depuis la France : personnel domicilié en France travaillant dans les locaux de V, numéros de téléphone correspondant aux lignes fixes françaises de V, facturation et comptabilité réalisées en France, courriers réexpédiés depuis Hong Kong vers la France.

Après avoir été assujettie à l'impôt sur les sociétés, aux cotisations minimales de TP pour les années 2008 à 2014 et aux cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises pour les années 2010 à 2014, la société E Limited a demandé au TA de Paris la décharge de ces impositions. Le tribunal ayant rejeté sa demande par jugement du 20 décembre 2023, la société a fait appel devant la Cour administrative d'appel de Paris.

 

E limited soutient principalement deux moyens :

  • D'une part, elle affirme exercer son activité à Hong Kong et ne pas disposer d'établissement stable en France.
  • D'autre part, elle conteste la qualification d'activité occulte retenue par le tribunal de première instance, estimant que cette qualification était erronée.

La Cour administrative d'appel de Paris vient de confirmer intégralement l'analyse du tribunal 

 

Concernant l'existence d'un établissement stable

 

La Cour a relevé :

  • que les personnes travaillant pour E Limited étaient domiciliées en France et exerçaient leur emploi dans les locaux de la société V ;
  • que la facturation et la comptabilité, rédigées en français, étaient effectuées en France ;
  • l'existence d'un pouvoir décisionnel situé en France matérialisé par
    • la gestion des comptes bancaires,
    • la fixation et négociation des prix,
    • la détermination des marges
    • et la négociation des contrats depuis le territoire français.

La Cour a écarté l'argument de la société selon lequel sa direction était assurée depuis le Canada puis Hong Kong et la Chine, estimant que les éléments produits ne permettaient d'établir qu'une présence ponctuelle sans démontrer une domiciliation effective des dirigeants hors de France.

 

Concernant la qualification d'activité occulte

 

La Cour a constaté que la société n'avait déposé aucune déclaration fiscale en France durant la période vérifiée et n'avait pas fait connaître son activité aux organismes français compétents. Elle rejette l'argument selon lequel la société n'avait pas à déclarer son activité en France dès lors qu'elle était constituée à Hong Kong, relevant que la société n'établissait ni sa régularité fiscale à Hong Kong ni l'accomplissement des formalités sur ce territoire.

 

L'existence d'un établissement stable s'apprécie au regard de critères factuels précis :

  • localisation du personnel,
  • lieu d'exercice du pouvoir de décision,
  • implantation des fonctions opérationnelles essentielles.

Mais oui...la simple immatriculation à l'étranger ne suffit pas à échapper à l'impôt français si la substance économique de l'activité se situe en France.

 

S'agissant de l'activité occulte, la décision nous rappelle que cette qualification ne se limite pas aux activités illicites mais s'étend aux situations où le contribuable s'abstient de respecter ses obligations déclaratives. 

Publié le vendredi 6 juin 2025 par La rédaction

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