Dans cette nouvelle décision rendue au sujet d'actions souscrites par une société mère lors de la recapitalisation de sa filiale avant de la céder intégralement le même jour, le juge confirme que ces titres constituent bien des titres de participation, malgré leur détention extrêmement brève.
La distinction entre titres de participation et valeurs mobilières de placement revêt une importance considérable en matière fiscale. En effet, le régime des moins-values résultant de la cession de ces deux catégories de titres diffère substantiellement : alors que les moins-values à court terme constatées lors de la cession de valeurs mobilières de placement sont intégralement déductibles du résultat imposable, les moins-values résultant de la cession de titres de participation récemment acquis en contrepartie d'un apport sont soumises à un régime restrictif.
En droit fiscal français, cette distinction repose fondamentalement sur des critères comptables, conformément à l'article 38 quater de l'annexe III au CGI, qui dispose que
les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt
Selon l'article R. 123-184 du Code de commerce,
constituent des participations les droits dans le capital d'autres personnes morales, matérialisés ou non par des titres, qui, en créant un lien durable avec celles-ci, sont destinés à contribuer à l'activité de la société détentrice. Sont présumés être des participations les titres représentant une fraction du capital supérieure à 10 %
Sur le plan fiscal, l'article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI prévoit une limitation spécifique de déductibilité pour "la moins-value résultant de la cession, moins de deux ans après leur émission, de titres de participation acquis en contrepartie d'un apport réalisé et dont la valeur réelle à la date de leur émission est inférieure à leur valeur d'inscription en comptabilité". Cette moins-value n'est pas déductible dans la limite de la différence entre la valeur d'inscription comptable des titres et leur valeur réelle à la date d'émission.
Rappel des faits :
La SASU AT détenait la totalité des actions de sa filiale, la SAS F, spécialisée dans la fonderie de pièces mécaniques. Ces titres étaient inscrits à l'actif immobilisé de son bilan dans un compte de titres de participation. Face aux difficultés économiques rencontrées par sa filiale, la société mère a recherché un repreneur pour céder cette entreprise. Un protocole d'intention a été conclu le 26 mars 2016 avec une société cessionnaire, prévoyant la cession de l'intégralité des titres de la SAS F, sous condition d'un apport de trésorerie préalable prenant notamment la forme d'une augmentation de capital de 6,2 M€
Le 23 juin 2016, la société mère a souscrit à cette augmentation de capital et l'a intégralement libérée. Le même jour, elle a cédé l'intégralité des actions formant le capital de sa filiale à la société cessionnaire. Les titres issus de l'augmentation de capital ayant été inscrits comptablement comme titres de participation, la société a réintégré la moins-value consécutive à leur cession dans son bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés 2016, conformément au régime de l'article 39 quaterdecies-2 bis du CGI.
Estimant avoir commis une erreur comptable, la société a saisi l'administration fiscale d'une réclamation pour obtenir une réduction de sa cotisation d'IS 2016, en demandant l'application du régime des moins-values de cession de valeurs mobilières de placement, plus favorable car permettant la déduction intégrale de la moins-value.
Suite au rejet de cette réclamation le 15 mai 2020, elle a porté le litige devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui a rejeté sa demande le 1er décembre 2022. La SASU a fait appel de la décision.
La SASU AT soutient que c'est par erreur qu'elle avait comptabilisé les actions nouvellement créées de sa filiale comme des titres de participation. Selon elle, ces titres, destinés à être aussitôt cédés, ne devaient pas être détenus durablement et ne pouvaient donc lui assurer le contrôle des actifs de sa filiale.
Pour la SASU ces actions constituaient en réalité des valeurs mobilières de placement, dont la cession devait suivre le régime des plus ou moins-values à court terme et permettre la déduction intégrale des moins-values de son résultat imposable, en application de l'article 39 quaterdecies-3 du CGI.
La société invoquait également le principe selon lequel la nature de titre de participation des valeurs mobilières doit s'apprécier à la date de leur acquisition au vu de l'intention de les conserver durablement, et qu'aucune règle comptable ne fait obstacle à ce que les titres d'une même société puissent relever de régimes différents selon leur date d'acquisition.
La Cour Administrative d'Appel de Nancy vient de rejeter la requête de la société.
Dans son analyse, la Cour rappelle d'abord que
sur le plan comptable, les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle.
Elle précise ensuite que :
doivent être regardés comme revêtant ce caractère les titres qu'une société mère souscrit dans le cadre de la recapitalisation de sa filiale, suivie, à court terme, de la cession à un tiers de l'intégralité des titres formant le capital de cette filiale, dès lors que cette opération conduit la société détentrice des titres à exercer un contrôle direct des actifs et des passifs de la société dont les actions ont été cédées.
La Cour :
- constate que les titres créés dans le cadre de l'augmentation de capital ont permis la cession de la filiale, sa recapitalisation en ayant été l'une des conditions
- relève que, d'après les actes des 26 mars et 23 juin 2016, la société requérante a entrepris de céder sa filiale en raison des difficultés économiques de cette dernière et parce que son activité ne correspondait plus à celle du groupe.
Pour la Cour, il en résulte que
ces actions n'ont pas été créées dans un but patrimonial ou spéculatif par la société GHM et ne constituent pas pour elle des titres de placement.
Elle affirme au contraire que
la possibilité de céder l'intégralité du capital de sa filiale fait partie de l'exercice direct par une société mère du contrôle des actifs et des passifs de cette filiale.
En conséquence, la Cour estime que la brièveté de la détention des titres issus de l'augmentation de capital ("un instant de raison") n'a pas pour effet de leur ôter leur caractère de titres de participation,
dès lors qu'ils ont précisément servi à la société mère pour exercer son contrôle sur sa filiale à l'occasion de la cession de l'ensemble des actions de cette dernière qu'elle détenait
TL;DR
- La CAA de Nancy confirme que des titres souscrits lors d'une recapitalisation avant cession conservent leur qualification de titres de participation, même avec une intention initiale de cession immédiate.
- Cette position s'aligne avec les décisions antérieures du Conseil d'État :
- notamment celle de "Crédit Agricole" (Arrêt du 8 novembre 2019, n°422377) qui avait abordé la comptabilisation mixte des titres d'une même filiale. La haute juridiction avait précisé que dans les limites autorisées par la réglementation comptable applicable aux entreprises du secteur bancaire, la qualification comptable donnée aux titres issus d’une acquisition antérieure ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que les titres de la même société émettrice acquis ultérieurement par un établissement de crédit puissent recevoir une qualification comptable différente, en fonction de l’intention de l’acquéreur à la date de leur achat ou souscription.
- mais également celle de la jurisprudence "Agapes" (Arrêt du 11 juin 2024, n°470721) sur la qualification des titres. L'arrêt avait retenu une approche comptable, en considérant que les titres souscrits par la société mère dans le cadre d'une recapitalisation de filiales suivie de leur dissolution à brève échéance revêtent le caractère de titres de participation