Le juge de l'impôt nous rappelle que le formalisme exigé par les textes en matière d'options ne peut être contourné par une interprétation extensive fondée sur le comportement du contribuable, même lorsque celui-ci révèle sans ambiguïté son intention. Au cas particulier, l'option pour le régime particulier de la TVA sur la marge bénéficiaire prévu à l'article 297 B du CGI (aujourd'hui disparu) ne peut résulter que d'une demande expresse et non du simple comportement déclaratif de l'assujetti revendeur.
Le régime particulier de la TVA sur la marge bénéficiaire constitue une dérogation favorable au droit commun de la TVA pour certaines opérations portant sur des biens d'occasion, des œuvres d'art, des objets de collection ou d'antiquité. Prévu à l'article 297 A du CGI, ce régime permet aux assujettis revendeurs de ne soumettre à la TVA que leur marge bénéficiaire plutôt que le prix de vente total du bien.
L'article 297 B du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 juin 2015 et abrogé depuis le 1er janvier 2025, étendait cette faculté aux livraisons d'œuvres d'art, d'objets de collection ou d'antiquité subséquentes à une importation, une acquisition intracommunautaire ou une livraison soumises au taux réduit de TVA. Cette option était valable à compter du premier jour du mois suivant la demande et jusqu'à la fin de la deuxième année civile suivante, avec possibilité de reconduction tacite.
Pour mémoire, l'article 83 de la LF pour 2024 a adapté lerégime des opérations portant sur les œuvres d’art ainsi que sur les objets de collection et d’antiquité en
- étendant le taux réduit de 5,5 % de la TVA, qui s’applique aujourd’hui uniquement à la première opération réalisée sur le territoire national à la vente par l’auteur et aux acquisitions intracommunautaires et importations ;
- supprimant le régime dérogatoire, désormais interdit par la directive TVA, de calcul forfaitaire de la marge, fixée dans ce cas à 30 % du prix de vente et applicable, sous certaines conditions, à la livraison d’œuvres d’art ;
- supprimant le recours au régime de la marge « sur option » prévu à l’article 297 B du CGI, pour les livraisons réalisées par des assujettis revendeurs sur des biens acquis sur le circuit dit « primaire » des œuvres d’art, d’objets de collection et d’antiquité qui est désormais sans objet
Rappel des faits :
La société A, spécialisée dans le commerce d'œuvres d'art, avait fait l'objet de rappels de TVA pour la période du 1er janvier 2014 au 30 juin 2016. L'administration fiscale lui reprochait de ne pas avoir acquitté la TVA sur le montant total de ses ventes alors qu'elle n'avait pas exercé d'option expresse pour bénéficier du régime de la TVA sur la marge.
La société soutenait que son comportement déclaratif, consistant à ne mentionner dans ses déclarations de chiffre d'affaires que les montants correspondant à sa marge bénéficiaire et non au prix de vente total, caractérisait implicitement l'exercice de l'option prévue à l'article 297 B. Elle argumentait qu'une demande formelle distincte n'était pas nécessaire dès lors que ses déclarations révélaient sans ambiguïté son intention d'appliquer ce régime particulier.
Déboutée successivement par le TA de Toulon puis par la CAA de Marseille, la société A a formé un pourvoi devant le Conseil d'État assorti d'une QPC. Elle invoquait une violation des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la DDHC de 1789.
Selon la société, l'exigence d'une demande expresse d'option créait une différence de traitement injustifiée entre les assujettis revendeurs selon qu'ils avaient ou non respecté cette formalité, alors même que leur comportement déclaratif révélait clairement leur intention d'appliquer le régime de la marge. Elle estimait que cette exigence formelle faisait peser sur les entreprises une sujétion disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
Le Conseil d'État a rejeté l'ensemble des moyens soulevés.
- Sur le fond, la haute juridiction administrative confirme que l'option prévue à l'article 297 B ne peut résulter que d'une demande expresse à l'administration. Elle ne saurait être déduite du seul comportement déclaratif de l'assujetti, même lorsque celui-ci ne mentionne que sa marge bénéficiaire dans ses déclarations de chiffre d'affaires.
Cette interprétation stricte s'appuie sur la lettre même de l'article 297 B qui dispose expressément que
les assujettis revendeurs peuvent demander à appliquer le régime particulier.
Le Conseil d'État en déduit que cette faculté est subordonnée à une démarche positive et explicite de la part du contribuable, excluant toute possibilité d'option implicite.
- Concernant la QPC, le Conseil d'État considère qu'elle ne présente pas un caractère sérieux. Il relève que l'exigence d'une demande expresse s'applique indistinctement à tous les assujettis revendeurs sans en interdire l'accès à aucun d'entre eux. Cette condition constitue selon lui un critère de distinction objectif et rationnel au regard du but poursuivi par la loi, qui est d'offrir une faculté optionnelle aux revendeurs dont les opérations ne relèvent pas de plein droit du régime de la marge. Le Conseil d'État juge que cette exigence ne fait pas peser sur les assujettis une sujétion manifestement disproportionnée.
Bien que l'article 297 B ait été abrogé depuis le 1er janvier 2025, les principes dégagés par cette jurisprudence conservent toute leur actualité pour l'ensemble des options fiscales soumises à des conditions formelles similaires, notamment en matière de TVA où de nombreux régimes particuliers demeurent subordonnés à l'exercice d'options expresses.