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TVA sur les offres composites : les juges valident la ventilation d'une remise commerciale au prorata

Le juge de l'impôt s'est prononcé sur les modalités de ventilation d'une remise commerciale au sein d'une offre composite, ou offre de couplage, comprenant des prestations soumises à des taux de TVA différents. 

 

 

Rappel du contexte:

L'article 256 du CGI soumet à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. L'article 266 du même code précise que la base d'imposition est constituée par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations. L'article 267 du CGI exclut de cette base d'imposition les escomptes de caisse, remises, rabais, ristournes et autres réductions de prix consentis directement aux clients. Ces dispositions nationales transposent les exigences de la directive 2006/112/CE (Directive TVA). La CJUE a précisé, notamment dans son arrêt Orfey Balgaria du 19 décembre 2012, que la base d'imposition à la TVA est constituée par la contrepartie réellement reçue par l'assujetti. Cette contrepartie constitue la valeur subjective, c'est-à-dire réellement reçue, et non une valeur estimée selon des critères objectifs. 

 

Le régime de TVA applicable aux prestations de services de télécommunications et de télévision présente certaines particularité : alors que le taux normal de TVA, fixé par l'article 278 du CGI, s'élève à 20%, l'article 279 du même code prévoit l'application d'un taux réduit de 10% aux abonnements souscrits pour recevoir les services de télévision. Toutefois, l'article 279-b octies al.2  contient une disposition spécifique en vertu de laquelle le taux normal de 20% est applicable lorsque la distribution de services de télévision est comprise dans une offre unique qui comporte pour un prix forfaitaire l'accès à un réseau de communications électroniques. 

Rappel concernant les offres composites :

Dans la pratique notre législation fiscale autorisait la "ventilation", une méthode permettant aux entreprises de décomposer le prix d'une offre unique pour appliquer à chaque composant son taux de TVA propre.Une entreprise pouvait décomposer le prix de son offre et appliquer à chaque composant son propre taux de TVA. Par exemple, sur une facture de 40€, elle pouvait estimer que 25€ correspondaient à l'Internet (TVA à 20%) et 15€ à la télévision (TVA à 10%).

 

En revanche la jurisprudence européenne (Arrêts Pavlína Batová affaire C‑432/15 du 10 novembre 2016 et Stadion Amsterdam affaire C‑463/16 du 18 janvier 2018), se plaçant du point de vue du consommateur, considèrait qu'une telle offre, perçue comme un tout indissociable, constituait une "prestation unique". Selon la CJUE, il est artificiel de la scinder et il convient donc d'appliquer un seul et unique taux de TVA à l'ensemble du prix : le taux le plus élevé parmi tous les éléments de l'offre

Cette divergence créait une insécurité juridique pour les entreprises, qui restaient sous la menace d'un redressement si l'administration fiscale jugeait leur ventilation irréaliste. De plus, elle exposait la France à un risque de contentieux avec la Commission européenne pour non-respect du droit de l'Union. Enfin, et surtout, elle a ouvert la voie à des pratiques d'optimisation fiscale agressive, comme l'ont illustré les opérateurs de télécommunication qui incluaient des services de presse à taux super-réduit (2,1 %) dans leurs forfaits, réduisant ainsi leur charge de TVA sans que cela ne bénéficie réellement au secteur de la presse.

Pour remédier à cette situation, l'article 44 de la LF2021 a inscrit formellement les principes européens dans la loi française aux I et du II de l’article 257 ter du CGI Il a ainsi mis fin à la pratique généralisée de la ventilation en faisant de l'application du taux le plus élevé la règle par défaut pour toute offre composite formant une prestation unique.  

Rappel des faits :

La société Free, filiale du groupe Iliad, commercialisait une offre « Freebox Révolution » à 37,97 € TTC, composée d'un accès internet et téléphonie taxé au taux normal de 20 %, et d'un service de télévision taxé au taux réduit de 10 %. Parallèlement, le Groupe Canal+ proposait son bouquet « Canalsat Panorama » à 24,90 € TTC, également soumis au taux réduit.

Dans le cadre d'un partenariat, Free a lancé une nouvelle offre « Freebox Révolution avec TV by Canal Panorama », regroupant l'ensemble de ces services. Le prix facial de cette offre composite était de 62,87 € TTC (soit 37,97 € + 24,90 €), mais elle était commercialisée au prix final de 39,99 € TTC, grâce à une « remise de couplage » substantielle de 22,88 € TTC.

Pour le calcul de la TVA collectée, la société Free a choisi de ventiler cette remise de 22,88 € au prorata du prix hors taxes de chacune des trois composantes de l'offre (internet/téléphonie, TV Free, et TV by Canal). L'administration fiscale, à l'issue d'une vérification de comptabilité, a contesté cette méthode. Elle soutenait que la remise devait être imputée en totalité et exclusivement sur le prix de la nouvelle composante, à savoir le bouquet « TV by Canal Panorama ». Cette approche avait pour effet de maintenir une base taxable au taux normal de 20 % plus élevée, et donc d'augmenter la TVA due.

 

Le service vérificateur a par conséquent notifié des rappels de TVA à la société Iliad, en sa qualité de société tête du groupe d'intégration fiscale. Saisi du litige, le TA de Montreuil a, par deux jugements distincts, donné raison au contribuable en prononçant la décharge des impositions et la restitution des montants acquittés. Le ministre a fait appel des décisions.

 

  • Il soutient que la méthode de ventilation de Free est artificielle. Selon son analyse économique, la remise de couplage n'avait pour seul objet que de rendre attractif le nouveau service « TV by Canal Panorama ». La différence de prix entre l'ancienne offre (37,97 €) et la nouvelle (39,99 €) étant de 2,02 €, ce montant constituait selon l'administration le prix réel payé par le consommateur pour ce service additionnel. La remise de 22,88 € devait donc être vue comme une réduction du prix du service Canal de 24,90 € à 2,02 €. L'administration qualifiait sa méthode de « plus simple et cohérente ».
  • La société Iliad (qui représente Free), quant à elle, défend une approche  fondée sur la réalité contractuelle et comptable de l'opération. Elle fait valoir que sa méthode de ventilation au prorata refléte  la structure de l'offre telle que présentée aux clients et facturée. Chaque composante participe à la valeur globale de l'offre et il est donc logique que la remise s'applique à l'ensemble.

 

La Cour administrative d'appel de Paris a rejeté les prétentions du ministre et a confirmé les jugements du TA de Montreuil.

 

Elle valide ainsi la méthode de ventilation proportionnelle de la remise de couplage appliquée par Free.

 

  • La Cour s'appuie d'abord sur la jurisprudence européenne Orfey Balgaria de 2012 précitée qui établit que la base d'imposition à la TVA correspond à la contrepartie réellement reçue par l'assujetti, et non à une valeur reconstituée selon des critères objectifs. Ce principe de  ne souffre d'exceptions que dans les cas limitativement énumérés par l'article 80 de la directive TVA pour prévenir la fraude, dispositions dont l'administration ne se prévalait pas.

 

  • La Cour qualifie ensuite l'offre "Freebox Révolution avec TV by Canal Panorama" comme une offre composite composée de prestations distinctes et indépendantes, et non comme une offre unique. Cette qualification permet d'écarter l'application du taux normal global et justifie l'analyse séparée de chaque composante au regard de son propre régime de TVA.

 

  • Enfin, la Cour constate que Free a facturé distinctement les trois composantes de son offre à leurs prix de marché individuels avant d'appliquer la remise globale de manière proportionnelle. Cette facturation détaillée, cohérente avec les brochures commerciales, détermine la contrepartie réellement perçue pour chaque prestation. La Cour en déduit que l'administration ne peut substituer sa propre méthode de reconstitution à cette réalité contractuelle documentée, dès lors qu'elle ne démontre aucun montage artificiel. L'argument du ministre selon lequel sa méthode serait "plus simple et cohérente" est rejeté car la simplification administrative ne saurait prévaloir sur la réalité économique des transactions.

6. Toutefois, il résulte de l’instruction, et notamment des factures versées au dossier, que la SAS Free a distinctement facturé aux abonnés ayant souscrit l’offre « Freebox Révolution avec TV by Canal Panorama », conformément aux brochures tarifaires, les trois composantes de cette offre, pour des montants TTC, correspondant au demeurant aux prix de marché de ces prestations, s’élevant à 35,98 euros, s’agissant de l’accès haut débit à l’internet et du service de téléphonie, 1,99 euros, s’agissant du service de télévision, et 24,90 euros, s’agissant du bouquet de chaînes de télévision multithématiques de la SA Groupe Canal+, avant d’appliquer la remise de couplage d’un montant de 22,88 euros à l’ensemble de ces composantes, à proportion de leurs prix individuels. Dans ces circonstances, eu égard aux documents contractuels et aux factures adressées à ses abonnés, la SAS Free a réellement perçu de chaque abonné à l’offre « Freebox Révolution avec TV by Canal Panorama » les sommes HT de 19,08 euros en contrepartie de l’accès haut débit à l’internet et du service de téléphonie, 1,15 euros en contrepartie du service de télévision et 14,40 euros en contrepartie du bouquet de chaînes de télévision multithématiques de la SA Groupe Canal+. Ces contreparties constituent les valeurs subjectives des prestations de services correspondantes. Le ministre, qui ne conteste ni le montant total facturé au client, ni le montant de la remise de couplage, ni le principe même de son application et, en tout état de cause, qui ne se prévaut pas des dispositions du paragraphe 1 de l’article 80 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, ne saurait utilement, pour remettre en cause la ventilation de cette remise et, par suite, les valeurs subjectives des prestations de services facturées par la SAS Free, ni se prévaloir des méthodes de détermination des prix de prestations distinctes composant une offre commerciale proposée à un prix unique global, ni soutenir que l’imputation de la remise de couplage sur le prix TTC de la seule composante de l’abonnement correspondant à l’accès au bouquet de chaînes de télévision proposé par la SA Groupe Canal+ est une méthode « plus simple et cohérente que de recourir à une ventilation proportionnelle de cette remise ».

 

La Cour consacre ainsi la primauté de la structuration contractuelle et de la facturation effective sur toute reconstitution administrative a posteriori, protégeant ainsi la sécurité juridique des opérateurs économiques.

 

Il sera intéressant de voir si l'administration fiscale va se pourvoir en cassation contre cet arrêt devant le Conseil d'État.

Les montants en jeu, dépassant 57 M€, et l'importance des principes affirmés par la Cour pourraient justifier un tel recours.

Un arrêt du Conseil d'État viendrait alors définitivement clarifier les règles applicables à la ventilation des remises commerciales en matière de TVA et pourrait, le cas échéant, poser une question préjudicielle à la CJUE si des doutes subsistaient quant à l'interprétation du droit de l'Union.

 

 

Publié le lundi 6 octobre 2025 par La rédaction

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