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Requalification fiscale en BNC des revenus d'artistes étrangers perçus par l'intermédiaire d'une société civile de droit allemand

Décision qui illustre la complexité de la qualification fiscale des revenus artistiques dans un contexte transfrontalier et l'importance de l'analyse de la structure sociétaire sous-jacente.

 

 

Notre droit fiscal soumet les non-résidents à l'impôt sur le revenu uniquement sur leurs revenus de source française, selon les dispositions de l'article 164 A du CGI. L'article 164 B du code précité définit notamment comme revenus de source française :

les sommes, y compris les salaires, payées correspondant à des prestations artistiques ou sportives fournies ou utilisées en France

Cette règle vise à appréhender fiscalement les revenus des artistes et sportifs étrangers se produisant en France.

 

La détermination de la catégorie fiscale applicable aux revenus artistiques dépend des modalités d'exercice de l'activité. L'article 92 du CGI définit les BNC comme provenant

des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus

 

Cette définition extensive permet d'appréhender diverses formes d'activités artistiques exercées de manière indépendante.

 

 

Rappel des faits :

L'affaire trouve son origine dans des concerts donnés en France par le célèbre groupe de rock allemand Scorpions en 2015. La société civile de droit allemand Scorpions, structure juridique par laquelle le groupe exerce son activité et qui centralise l'ensemble des frais et recettes générés, a perçu de la société de production française plus de 2M€ de recettes.

M. B., guitariste du groupe et associé de la société civile allemande, résident fiscal allemand, a déclaré au titre de l'année 2015 des revenus de source française de 786 649 € dans la catégorie des TS. Il a également déclaré la retenue à la source prélevée sur le fondement de l'article 182 A bis du CGI.

Le 19 décembre 2017, soit près de deux ans après l'année d'imposition, M. B. a souscrit une déclaration rectificative sollicitant la prise en compte de frais professionnels réels à hauteur de 165 653 €.

Cette demande de déduction de frais professionnels réels s'inscrit dans une logique de optimisation fiscale légitime, les frais professionnels déductibles pouvant considérablement réduire l'assiette imposable, particulièrement dans le secteur artistique où les frais peuvent être substantiels.

 

Le tribunal administratif de Montreuil, saisi d'une demande de réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu pour l'année 2015, a rejeté la demande de M. B. par jugement du 22 février 2022. Le tribunal a retenu la qualification deTS initialement déclarée par le contribuable, refusant par conséquent la déduction des frais professionnels réels demandée. La cour administrative d'appel de Paris, par arrêt du 22 novembre 2023, a confirmé la position du TA en rejetant l'appel formé par M. B. La cour a maintenu la qualification en TS et a refusé, sur le fondement de l'article 83 du CGI applicable à cette catégorie de revenus, la déduction des frais professionnels réels revendiquée.

 

M. B. s'est pourvu en cassation. Il conteste la qualification fiscale retenue par l'administration et les juridictions du fond estimant relever des BNC ( Ce qui lui permettrait de déduire ses frais professionnels réels selon un régime plus favorable).

 

Le Conseil d'État vient de censurer l'arrêt de la cour d'appel pour erreur de droit

 

  • Le Conseil d'État a d'abord posé d'abord un principe méthodologique fondamental pour l'analyse des structures sociétaires étrangères. Il incombe au juge de l'impôt d'identifier d'abord

au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable

  • Puis la haute juridiction a constaté que la société civile de droit allemand ("Gesellschaft bürgerlichen Rechts") Scorpions était assimilable à une société civile de droit français régie par l'article 8 du CGI. 
  • Enfin, le Conseil d'État a procèdé à la requalification des revenus en cause.

En vertu de l'article 238 bis K-II du CGI, il a estimé que la part de bénéfice revenant aux associés membres du groupe devait être déterminée selon les règles applicables aux revenus relevant de la catégorie des BNC, compte tenu de la nature artistique de l'activité exercée par la société.

L'article 238 bis K-II du CGI, dans son paragraphe II, dispose que dans tous les cas autres que ceux expressément visés au paragraphe I, "la part de bénéfice sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l'activité et du montant des recettes de la société ou du groupement".

 

Cette requalification découle de l'application du principe de translucidité fiscale des sociétés civiles combiné à la nature de l'activité exercée. L'activité artistique exercée par la société civile relève naturellement de la catégorie des BNC au sens de l'article 92 du code général des impôts.

 

La censure est nette : en appliquant l'article 83 (régime des salaires) au lieu du régime BNC, la cour d'appel a commis une "erreur de droit" en refusant la déduction des frais professionnels réels.

 

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les sommes en litige perçues par M. B..., dont il est constant qu'elles correspondent à la quote-part lui revenant du bénéfice réalisé en France par la société allemande, étaient imposables à l'impôt sur le revenu selon les règles applicables aux revenus relevant de la catégorie des bénéfices non commerciaux. Par suite, la cour a commis une erreur de droit en refusant, sur le fondement des dispositions de l'article 83 de ce code, applicable aux revenus relevant de la catégorie de traitements et salaires, la déduction des frais professionnels réels revendiquée par le contribuable.

 

Publié le mardi 3 juin 2025 par La rédaction

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