Le droit national tire de plus en plus ses origines dans le droit communautaire. La plupart des lois nationales assurent une transposition des directives dans l’ordre juridique national. Une question doit dès lors se poser : Le juge communautaire peut-il interpréter la disposition de droit national d’origine communautaire mais qui reçoit une application purement nationale ?
L’arrêt rendu par la CJCE le 15 janvier 2002 (aff. C-43/00) y apporte une réponse positive.
Concrètement, la juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’importance qu’il y avait lieu d’attacher au fait que l’opération critiquée par l’Administration fiscale était réalisée en vue de réduire la valeur nette de l’apport dans le cadre d’une procédure d’apport d’actifs, avec pour objectif de favoriser un processus d’alternance de générations dans la gestion de l’activité sociale. L’opération concernait deux sociétés danoises.
La réglementation de cet État transcrit purement et simplement la directive 90/434 qui a été adoptée, rappelons-le, en vue d’éliminer les entraves d’ordre fiscal pénalisant les fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etats différents.
De ses considérants, il ressort en particulier que «le régime fiscal commun instauré par la directive vise à éviter une imposition à l’occasion d’une fusion, d’une scission, d’un apport d’actifs ou d’un échange d’actions, tout en sauvegardant les intérêts financiers de l’État de la société apporteuse ou acquise». La Cour a confirmé sa jurisprudence Leur-Bloem , arrêt du 17 juillet 1997,C-28/95 : Or, il est constant que le litige au principal porte sur une disposition de droit national qui s’applique dans un contexte purement national.
Cependant, la juridiction de renvoi a indiqué que le législateur danois avait décidé, lors de la transposition en droit national des dispositions de la directive, d’appliquer le même traitement aux situations purement internes et à celles régies par la directive, en sorte qu’il avait aligné sur le droit communautaire les normes régissant des situations purement internes.
La juridiction de renvoi ajoute que l’interprétation des notions «d' apports d’actifs» et de «branche d’activité» , prises dans leur contexte communautaire est nécessaire à la solution du litige qui lui est soumis, que ces notions figurent dans la directive, qu’elles ont été reprises dans la loi nationale la transposant et que leur application a été étendue aux solutions purement internes.
Selon la jurisprudence de la Cour, lorsque, comme en l’espèce au principal, une législation nationale se conforme par les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues en droit communautaire pour, notamment éviter l’apparition de discrimination à l’encontre des ressortissants nationaux ou d’éventuelles distorsions de concurrence. Il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer…
Il résulte des considérations qui précèdent que la Cour est compétente pour interpréter les dispositions de la directive même si elles ne régissent pas directement les situations en cause au principal.
Les solutions posées par la Cour sont au service d’une bonne administration de la justice. Ceci étant, cette prérogative que s’est accordée la Cour risque de déboucher sur certaines difficultés.
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Des divergences ou plus particulièrement des revirements de jurisprudence sont concevables au niveau de la CJCE.
En effet, l’interprétation purement abstraite dégagée sera par définition une interprétation " faible " ou " aléatoire " et risque d’être abandonnée ultérieurement si la juridiction de renvoi éclaire la Cour d’une manière différente sur le contexte d’application de la notion. La Cour pourra ainsi parfaitement revenir sur sa décision antérieure ou s’en démarquer.
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En outre, il risque d’exister une divergence de jurisprudence entre les juridictions nationales et la Cour de Justice des Communautés européennes.
On voit mal, en effet, ce qui peut pousser une juridiction nationale saisie d’un problème de droit interne à solliciter l’aide de la CJCE pour interpréter une norme, certes connue du droit communautaire mais d’application purement nationale.
Bon nombre de juridictions nationales sont réticentes dans le cadre de l’application stricte de la logique de l’article 177 (dans son ancienne rédaction).
Ces réticences risquent de se muer en hostilité ou en ignorance totale lorsqu’il s’agira d’une question liée à un litige de pur droit interne.
Il est de plus impossible d’obliger les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours à saisir la Cour au titre de l’article 177 alinéa 3 .
Les juridictions nationales peuvent à l’évidence se retrancher derrière l’article 164 du traité qui précise la mission assignée à la Cour : assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du Traité. Enfin, la dualité des ordres juridiques (droit communautaire est droit national) peut être remise en question par les solutions retenues.
Les dangers peuvent apparaître lors de l’édiction de la norme (qui dans cette hypothèse présente une expression unique en droit communautaire et en droit national) et lors de son application.
Lors de l’édiction de la norme, la prise en considération des limites à apporter à l’application du droit communautaire à des situations purement internes relève du législateur. Or, ce dernier peut, à l’évidence, pécher par laxisme ou par incohérence.
Ceci ne saurait être véritablement surprenant compte-tenu de l’inflation législative et des conditions de travail parlementaire. Ainsi, il est parfaitement possible que le législateur ait dénaturé une notion de droit communautaire lors du vote du texte qui régit une situation purement interne.
Pour caricaturer, il y aura donc une incorporation par infraction de la norme communautaire dans le droit national….