Cette décision apporte des précisions importantes concernant l'application de l'article 203 de la directive TVA dans le contexte spécifique de la facturation simplifiée et des erreurs de taux. L'arrêt prolonge et affine la jurisprudence « P GmbH » du 8 décembre 2022 en précisant les modalités pratiques d'application du principe selon lequel la TVA facturée à tort n'est due que s'il existe un risque de perte de recettes fiscales.
Pour mémoire, l'article 203 de la directive 2006/112/CE dispose que
La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture
Cette disposition, rend redevable de la TVA toute personne qui la mentionne sur une facture, même en l'absence d'opération imposable réelle. Autrement dit, toute personne qui porte la TVA sur une facture en devient débitrice afin de prévenir les pertes de recettes liées à un éventuel droit à déduction du client.
L'article 238 de la même directive autorise les États membres à prévoir une facturation simplifiée pour certaines opérations, notamment lorsque les montants sont compris entre 100 et 400 € ou lorsque les pratiques commerciales du secteur rendent difficile le respect de toutes les obligations de facturation.
La jurisprudence établie par l'arrêt du 8 décembre 2022 aposé le principe que l'article 203 n'a vocation à s'appliquer que lorsqu'il existe un risque de perte de recettes fiscales, c'est-à-dire lorsque le destinataire de la facture est susceptible d'exercer un droit à déduction de la TVA indûment facturée.
Rappel des faits :
L'affaire concerne P GmbH, société autrichienne exploitant une aire de jeux intérieure qui avait appliqué en 2019 un taux de TVA de 20% sur les droits d'entrée alors que le taux applicable était de 13%. Le problème résidait dans l'application des principes établis par la jurisprudence antérieure à une situation de facturation de masse où l'identification des destinataires s'avérait impossible. P GmbH avait émis 22 557 factures selon les règles de facturation simplifiée, sans identifier individuellement ses clients, ce qui rendait complexe la détermination du risque de perte de recettes fiscales.
L'administration fiscale autrichienne avait initialement refusé la rectification demandée par P GmbH, invoquant l'impossibilité de modifier les factures et le risque d'enrichissement sans cause de la société.
Suite à l'arrêt du 8 décembre 2022, le tribunal national avait procédé à une estimation, considérant qu'il existait un risque de perte de recettes fiscales pour 0,5% du chiffre d'affaires, soit 112 factures sur 22 557.
L'administration fiscale a contesté cette approche, soutenant qu'elle s'écartait de la jurisprudence européenne et qu'aucune estimation n'était possible. L’administration a refusé toute restitution, se prévalant d’un risque potentiel dès lors qu’une fraction, même minime, de la clientèle pouvait être assujettie et déduire la taxe.
La juridiction autrichienne de renvoi a posé trois questions à la CJUE, cherchant à clarifier l'application de l'article 203 dans ce contexte spécifique.
- L'application de l'article 203 dépend-elle de la nature du destinataire de la facture ?
- Qui sont les "consommateurs finals ne bénéficiant pas d'un droit à déduction de la TVA payée en amont" ?
- Une estimation est-elle possible pour déterminer la part des factures concernées ?
Concernant la première question relative à l'appréciation facture par facture
La Cour a réaffirmé que l'obligation de payer la TVA facturée à tort ne s'applique pas lorsque le destinataire de la facture est une personne non assujettie, car il n'existe pas de risque de perte de recettes fiscales. La Cour précise que cette règle s'applique à chaque facture de manière individuelle, indépendamment du fait que l'assujetti ait pu émettre d'autres factures de même nature à des assujettis. Autrement dit, l’article 203 ne se déclenche que s’il existe un risque concret de déduction. L’existence d’autres prestations similaires fournies à des assujettis ne suffit pas : l’analyse doit se faire facture par facture.
S'agissant de la définition des "consommateurs finals"
La Cour a adopté une interprétation restrictive en précisant qu'il s'agit uniquement des personnes non assujetties. Cette précision exclut les assujettis qui utilisent les prestations à des fins privées. La Cour justifie cette interprétation stricte par la nécessité de prévenir le risque de perte de recettes fiscales. Un assujetti qui utiliserait le service à titre privé reste, par nature, susceptible d’invoquer la déduction et fait donc ressurgir le risque.
S'agissant des modalités d'estimation
La Cour a confirmé que la directive TVA ne s'oppose pas au recours à l'estimation pour déterminer la part des factures émises à des assujettis, sous réserve du respect des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité. Pour la Cour, l'estimation doit prendre en compte l'ensemble des circonstances pertinentes, telles que la nature du service, les modalités de prestation et de facturation, ainsi que toute information statistique disponible. Les données utilisées doivent être exactes, fiables et à jour, et l'estimation ne peut donner naissance qu'à une présomption réfragable. La Cour a également insisté sur le respect des droits de la défense, exigeant que l'assujetti soit mis en mesure de contester l'estimation et d'expliciter les circonstances justifiant sa contestation.
1. L’article 203 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1695 du Conseil, du 6 novembre 2018, doit être interprété en ce sens que :
un assujetti ayant fourni une prestation et mentionné sur sa facture un montant de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) calculé à un taux erroné n’est pas redevable de la partie de la TVA qui a été facturée à tort à une personne non assujettie, même si cet assujetti a également fourni des prestations de même nature à d’autres assujettis.
2. La directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2018/1695, doit être interprétée en ce sens que :
il convient de qualifier de « consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] payée en amont », au sens de l’arrêt du 8 décembre 2022, Finanzamt Österreich (TVA facturée par erreur à des consommateurs finals) (C-378/21, EU:C:2022:968), uniquement des personnes non assujetties. Ainsi, des assujettis qui, dans une situation donnée, n’ont pas le droit de déduire la TVA en amont ne relèvent pas de cette notion.
3.La directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2018/1695, doit être interprétée en ce sens que :
elle ne s’oppose pas à ce que, en cas de facturation simplifiée en application de l’article 238 de la directive 2006/112, telle que modifiée, une administration fiscale ou une juridiction nationale puisse recourir à une estimation afin de déterminer la part des factures pour lesquelles un assujetti ayant facturé la taxe sur la valeur ajoutée à tort est redevable de cette taxe en application de l’article 203 de la directive 2006/112, telle que modifiée, à condition que soit pris en compte, aux fins d’une telle estimation, l’ensemble des circonstances pertinentes et que l’assujetti ait la possibilité, dans le respect des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité ainsi que des droits de la défense, de remettre en cause les résultats obtenus par cette méthode.
Les opérateurs de B2C (parkings, loisirs, transport urbain...) disposent désormais d’un cadre clair :
s’ils corrigent rapidement les taux erronés et peuvent démontrer que leur clientèle est quasi exclusivement non assujettie, la rectification du supplément de TVA doit être admise ; à défaut, ils devront accepter une quote-part estimative représentant les ventes à des clients professionnels potentiels.