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Responsabilité solidaire TVA et refus de déduction : validation du cumul des sanctions en cas de fraude fiscale

En répondant à une question préjudicielle de la Cour administrative suprême tchèque, la CJUE confirme la possibilité pour les États membres d'appliquer simultanément ces deux mécanismes de lutte contre la fraude (la responsabilité solidaire en matière de TVA et le refus du droit à déduction en cas de fraude fiscale), consolidant ainsi l'arsenal répressif européen.

 

Le système commun de TVA est encadré par la directive 2006/112/CE, qui définit les principes fondamentaux de cet impôt. L'article 193 de la directive TVA pose la règle générale selon laquelle la TVA est due par l'assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable. Cependant, la directive prévoit des dérogations à cette règle. En particulier, l'article 205 de la directive TVA autorise les États membres à prévoir qu'une personne autre que le redevable principal est solidairement tenue d'acquitter la TVA. Cette faculté est laissée à la discrétion des États membres, qui doivent en déterminer les conditions et modalités de mise en œuvre.

 

Parallèlement, le système européen de TVA impose aux autorités nationales de refuser le droit à déduction lorsqu'un assujetti savait ou aurait dû savoir qu'il participait à une fraude fiscale. La jurisprudence de la CJUE est ainsi constante sur le fait que le bénéfice de ce droit doit être refusé lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que le droit est invoqué frauduleusement ou abusivement. Cela inclut les cas où l'assujetti destinataire de la livraison savait ou aurait dû savoir que, par l'acquisition des biens, il participait à, ou à tout le moins facilitait, une opération impliquée dans une fraude à la TVA. L'objectif est de lutter contre la fraude, l'évasion fiscale et les abus, principes reconnus et encouragés par la législation de l'Union.

 

Le droit tchèque, en l'espèce, transpose ces principes, notamment l'article 205 de la directive TVA par son article 109 de la loi sur la TVA, qui prévoit la garantie légale à charge du destinataire d'une prestation imposable lorsque des circonstances indiquent qu'il savait ou aurait dû savoir que la TVA ne serait pas payée ou qu'il y aurait une fraude fiscale. L'article 171 du code de procédure fiscale tchèque précise le caractère subsidiaire de cette garantie légale, permettant d'appeler le garant lorsque le contribuable principal n'a pas acquitté les arriérés.

 

Rappel des faits :

L'affaire trouve son origine dans une série d'opérations commerciales réalisées entre mai et octobre 2013 entre deux sociétés tchèques : FAU, acheteuse de carburant, et V, son fournisseur. À la suite de contrôles fiscaux, l'administration tchèque a découvert l'existence d'une fraude fiscale dans cette chaîne commerciale, conduisant à un contentieux aux multiples facettes.

L'administration fiscale a d'abord procédé, en janvier et février 2015, à des redressements de TVA à l'encontre de Verami, en lui refusant le droit de déduire la TVA sur ses achats de carburant ultérieurement livrés à FAU. V n'ayant pas acquitté cette TVA et ayant été déclarée en faillite en février 2015, l'administration s'est tournée vers FAU pour recouvrer ces sommes.

La situation s'est complexifiée lorsque l'administration a simultanément engagé deux procédures distinctes contre FAU. D'une part, elle a mis en œuvre la responsabilité solidaire de FAU pour le paiement de la TVA non acquittée par Verami, en se fondant sur l'article 109 de la loi tchèque sur la TVA qui transpose l'article 205 de la directive européenne. D'autre part, elle a refusé à FAU le droit de déduire la TVA qu'elle avait payée à Verami, au motif que FAU savait ou aurait dû savoir qu'elle participait à une fraude fiscale.

Cette double mesure a conduit FAU, représentée par son administrateur judiciaire K après sa mise en faillite en décembre 2016, à contester vigoureusement la légalité de cette approche devant les juridictions tchèques. Le litige est remonté jusqu'à la Cour administrative suprême, qui a décidé de surseoir à statuer pour interroger la CJUE sur la conformité de cette pratique au droit européen.

 

L’article 205 de la directive TVA lu en combinaison avec le principe de proportionnalité, s’oppose-t-il à une pratique nationale qui permet de faire valoir que le destinataire d’une prestation imposable est [légalement] tenu d’acquitter la [TVA] due par le fournisseur de cette prestation, bien que le destinataire de cette prestation imposable se soit déjà vu refuser le droit de déduire la taxe au motif qu’il a été impliqué dans une fraude fiscale ? »

 

La CJUE vient de valider le cumul des deux mesures de lutte contre la fraude fiscale.

 

Tout d'abord, la Cour a rappelé le pouvoir discrétionnaire des États membres, en vertu de l'article 205 de la directive TVA, de désigner un débiteur solidaire autre que le redevable principal afin d'assurer une perception efficace de la TVA

 

Puis, la Cour a souligné que l'article 205 de la directive TVA permet de tenir une personne pour solidairement redevable de la TVA lorsque, au moment de l'opération effectuée en sa faveur, elle savait ou aurait dû savoir que la taxe due sur cette opération resterait impayée. Dans le cas de FAU, il était établi qu'elle avait cette connaissance de la fraude.

 

Enfin, la CJUE a affirmé la possibilité d'appliquer de manière concomitante les deux mesures : le refus du droit à déduction et la responsabilité solidaire.

 

La Cour a expliqué que le droit à déduction ne peut être transféré à l'assujetti solidairement tenu d'acquitter la taxe dès lors qu'il n'avait déjà aucun droit à déduction en raison de sa participation à la fraude. Ces deux mesures poursuivent des objectifs distincts et complémentaires : le refus du droit à déduction vise à lutter contre la fraude, tandis que la responsabilité solidaire vise à assurer la perception efficace de la TVA. Exiger de l'administration un choix entre les deux mesures reviendrait à la priver, au moins partiellement, de l'un de ces objectifs, ce qui n'est pas justifiable dans le cas d'opérateurs de mauvaise foi.

 

La Cour a également relevé que le fait que l'action récursoire du garant légal contre le redevable principal (Verami, en l'occurrence, en faillite) ait peu de chances de succès ne saurait empêcher l'application du mécanisme de la responsabilité solidaire. En effet, conditionner la désignation du responsable solidaire à l'évaluation des chances de succès de son action récursoire porterait atteinte à l'efficacité de la perception de la TVA. Enfin, la Cour a rejeté l'argument d'un enrichissement sans cause de l'administration fiscale, car elle se contente d'obtenir le versement des montants de TVA distincts qui lui sont dus par les deux assujettis.

 

     
L’article 205 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1695 du Conseil, du 6 novembre 2018, lu à la lumière du principe de proportionnalité,

     
doit être interprété en ce sens que :

     
il ne s’oppose pas à une pratique nationale qui impose à l’assujetti, destinataire d’une livraison de biens effectuée à titre onéreux, une obligation solidaire d’acquitter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due par le fournisseur de ces biens, alors même que le droit à déduction de la TVA due ou acquittée en amont a été refusé au destinataire de cette livraison de biens au motif qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il participait à une fraude à la TVA.

 

Publié le vendredi 11 juillet 2025 par La rédaction

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