Nouvelle étape dans l'interprétation de la directive 2011/96/UE concernant le régime fiscal applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents. Cet arrêt étend le champ d'application de la directive «mères-filiales» en consacrant une approche économique de la prévention de la double imposition, au-delà des seuls impôts sur les sociétés expressément mentionnés à l'annexe de la directive.
Le contexte juridique s'articule autour de la directive 2011/96/UE qui vise à éliminer la double imposition des bénéfices distribués par des filiales établies dans un État membre à leurs sociétés mères résidant dans un autre État membre. L'article 4 de cette directive offre aux États membres le choix entre deux systèmes :
- le système d'exonération prévu au 1-a) de cet article 4, par lequel l'État de la société mère s'abstient d'imposer les bénéfices reçus,
- et le système d'imputation prévu au 1-b) du même article, qui autorise l'imposition tout en permettant la déduction de l'impôt acquitté par la filiale. L'article 4-3 précise que les États membres conservent la faculté de prévoir que les charges liées à la participation ne sont pas déductibles, avec un plafond forfaitaire de 5% des bénéfices distribués.
L’Italie a opté, pour l’IRES, pour le dispositif d’exonération de l’article 4-1-a), ne taxant que 5 % des bénéfices remontés. Le législateur italien a parallèlement intégré 50 % de ces mêmes dividendes dans l’assiette de l’IRAP, impôt régional sur la « valeur de la production » affectant banques et intermédiaires financiers (Art. 6-1-a, décret législatif n° 446/1997 modifié)
Au cas particulier, l'affaire concernait Banca Mediolanum SpA, établissement bancaire italien détenant des participations dans plusieurs sociétés filiales résidant dans d'autres États membres de l'UE. Comme rappelé ci-avant, le système fiscal italien appliquait une double imposition de fait : d'une part, l'inclusion de 5% de ces dividendes dans l'assiette de l'IRES (impôt sur le revenu des sociétés) et d'autre part, l'inclusion de 50% de ces mêmes dividendes dans l'assiette de l'IRAP (impôt régional sur les activités productives).
La banque italienne Banca Médiolanum a demandé à l'administration fiscale italienne (Agenzia delle Entrate) la restitution de la quote-part d’IRAP supportée sur les dividendes intra-UE de ses filiales, prétendant à une violation du droit de l’Union.
L'administration fiscale a rejeté la demande, estimant que l'IRAP, ne figurant pas sur la liste des impôts visés par la directive, échappait à son champ d'application.
Les juridictions milanaises, saisies en appel, ont interrogé la CJUE sur la compatibilité d’un tel dispositif avec l’article 4 de la directive.
Le litige soulevait une question fondamentale : la directive «mères-filiales», visant à éliminer la double imposition économique des dividendes, s'applique-t-elle à des impôts autres que l'impôt sur les sociétés classique, comme l'IRAP italien ?
Banca Mediolanum soutenait que l'inclusion cumulée des dividendes dans les deux assiettes fiscales aboutissait à une imposition effective dépassant largement le seuil de 5% autorisé par la directive, créant ainsi une double imposition économique contraire aux objectifs poursuivis par le texte européen.
La Cour vient de répondre à la question donnant raison à la banque italienne Banca Médiolanum
- La Cour a rappelé que le libellé de l'article 4-1-a), est clair : un État membre ayant opté pour le système d'exonération doit s'abstenir d'imposer les bénéfices distribués.
- Ensuite, elle a écarté l'argument de l'administration fiscale italienne en précisant que l'annexe de la directive, qui liste les impôts nationaux, ne définit que le champ d'application ratione personae de la directive, c'est-à-dire les sociétés concernées, et non son champ d'application ratione materiae, c'est-à-dire les types d'impôts visés.
Autrement dit, la directive n'est pas limitée à un impôt particulier, tel que l'IRES, et s'applique à tout impôt qui frappe les dividendes perçus.
- Enfin, la Cour a souligné l'objectif de la directive : éviter une double imposition des bénéfices en termes économiques. Le système d'exonération doit donc s'appliquer à tout impôt qui inclut les dividendes, même partiellement, dans son assiette imposable, quelle que soit sa nature.
Partant, la Cour a estimé qu'en soumettant 50 % des dividendes à l'IRAP, en sus de leur imposition à 5 % à l'IRES, la législation italienne contrevient donc clairement à cet objectif.
L’article 4 de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation nationale par laquelle un État membre qui a choisi le système prévu au paragraphe 1, sous a), de cet article puisse imposer, dans une mesure supérieure à 5 % de leur montant, les dividendes que les intermédiaires financiers résidant dans cet État membre perçoivent, en tant que sociétés mères au sens de cette directive, de leurs filiales résidant dans d’autres États membres, y compris lorsque cette imposition est réalisée au moyen d’un impôt qui n’est pas un impôt sur les revenus des sociétés, mais inclut dans son assiette ces dividendes ou une fraction de ceux-ci.
Cet arrêt de la CJUE concernant la directive «mères-filiales» établit que l'interdiction de la double imposition ne se limite pas à un type d'impôt spécifique (comme l'impôt sur les sociétés) mais s'étend à toute imposition nationale susceptible de frapper les dividendes de manière excessive et contraire à l'esprit de la directive.
L’arrêt ouvre la voie aux réclamations des groupes financiers italiens et constitue un avertissement pour tout prélèvement analogue dans l’UE.