Décision nous rappelant les conditions d'application des abattements fiscaux prévus par l'article 150-0 D ter du CGI lors de la cession de titres par un dirigeant faisant valoir ses droits à la retraite. L'enjeu de cette affaire résidait dans l'interprétation des critères de qualification de PME au sens communautaire, condition sine qua non pour bénéficier de ce régime de faveur et notamment des modalités de calcul des effectifs dans le secteur spécifique du travail temporaire.
Pour mémoire l'article 150-0 D ter du CGI prévoit un régime de faveur pour les dirigeants de PME procédant à la cession de leurs titres lors de leur départ en retraite. Il s'agit d'un abattement fixe de 500 000 € dont le régime est subordonnée au respect de plusieurs conditions :
- la cession doit porter sur l'intégralité des actions, parts ou droits détenus par le dirigeant dont les titres ou droits sont cédés (ou sur plus de 50 % des droits de vote) ;
- le dirigeant cédant doit avoir exercé au sein de la société qu'il cède l'une des fonctions suivantes :
- gérant ;
- associé en nom d'une société de personnes ;
- président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d'une société par actions.
- le dirigeant cédant doit avoir détenu (directement ou indirectement), de manière continue pendant les 5 années précédant la cession, au moins 25 % des droits de vote (ou des droits dans les bénéfices sociaux) de la société dont les titres ou droits sont cédés ;
- le dirigeant cédant doit avoir cessé toute fonction dans la société et faire valoir ses droits à la retraite dans les 2 années suivant ou précédant la cession ;
- en cas de cession à une entreprise, le dirigeant cédant ne doit pas détenir (directement ou indirectement) de droits de vote (ou de droits dans les bénéfices sociaux) dans l'entreprise qui acquiert la société ;
- la société doit être une PME au sens communautaire : entreprise employant moins de 250 salariés, réalisant soit un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 M€, soit un total de bilan inférieur à 43 M€ ;
- la société doit exercer une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière ;
- les titres ou droits cédés par le dirigeant doivent avoir été détenus depuis au moins un an à la date de la cession.
L'article 70 de la LF pour 2025 a prorogé le dispositif, borné au 31 décembre 2024, jusqu’au 31 décembre 2031.
Rappel des faits :
M. C, dirigeant et actionnaire de la société BPS, a cédé à son fils 51 % de ses titres en 2014 pour un prix de 3 569 865 €. Il a alors sollicité le bénéfice des abattements pour un montant total de 428 497 €, estimant que la société BPS remplissait les critères d'une PME. L'administration fiscale avait refusé l'application des abattements de l'article 150-0 D ter au motif que la SAS BPS ne respectait pas la condition d'effectif de 250 salariés. Pour parvenir à cette conclusion, elle avait pris en compte non seulement les salariés de BPS mais également ceux de ses huit filiales, aboutissant à des effectifs consolidés de 446, 514 et 500 salariés respectivement en 2012, 2013 et 2014, soit des montants largement supérieurs au seuil légal.
Le tribunal administratif de Pau ayant rejeté la demande du contribuable, M. C a fait appel.
- Il soutient d'abord que seule la société BPS, dont les titres étaient cédés, devait répondre aux critères PME, excluant ainsi la prise en compte des filiales ;
- Il estime que les critères de PME communautaire, définis par référence aux entreprises liées et partenaires, sont étrangers au régime fiscal français initialement appliqué ;
- Il conteste les modalités de calcul des effectifs, invoquant les spécificités du travail temporaire et les dispositions de l'article L. 1251-54 du Code du travail.
La Cour administrative d'appel de Bordeaux vient de confirmer la position de l'administration
Elle a rappelé que la volonté du législateur était de réserver le régime de faveur aux sociétés répondant à la définition des PME selon les règlements européens. Par conséquent, elle a estimé que c'était à bon droit que l'administration avait agrégé les effectifs de la société mère et de ses huit filiales liées pour déterminer si le seuil de 250 salariés était respecté.
La cour a ensuite précisé les modalités d'application de la définition communautaire des PME, en distinguant les données à prendre en compte selon l'existence ou non de comptes consolidés. Elle a souligné que l'absence de comptes consolidés, liée au mode de détention ou à la forme juridique, ne permet pas à elle seule de bénéficier du régime de faveur.
Concernant l'appréciation des entreprises liées
Pour la Cour, une filiale détenue à plus de 50 % est une « entreprise liée » dont les données doivent être consolidées : refuser cette agrégation viderait l’article 150-0 D ter de sa finalité, réservée aux petites structures.
Partant, la cour a confirmé que BPS détenait entre 95,20% et 100% du capital de ses filiales, caractérisant sans ambiguïté des entreprises liées au sens de la réglementation communautaire. Cette qualification justifiait la consolidation des effectifs pour l'appréciation du seuil de 250 salariés.
Concernant l'analyse des spécificités du travail temporaire
La cour a rappelé les dispositions de l'article L. 1251-54 du Code du travail qui prévoient la prise en compte des salariés temporaires ayant été liés à l'entreprise par des contrats de mission pendant au moins trois mois au cours de la dernière année civile. Elle a considéré que ces salariés temporaires avaient la qualité de salariés de l'entreprise de travail temporaire au sens de la réglementation communautaire.
La condition d’effectif était donc manquante. Les abattements n'étant pas applicables le redressement a été confirmé.
TL;DR
Cette décision entérine l’interprétation la plus stricte de l’article 150-0 D ter : pour apprécier les seuils PME, l’administration doit raisonner à l’échelle du groupe, même en l’absence de comptes consolidés, dès lors qu’il existe des liens capitalistiques dépassant les 50 %.
D’un point de vue pratique, il éclaire le secteur du travail temporaire, dont le modèle gonfle mécaniquement les effectifs : les salariés intérimaires, y compris ceux mis à disposition, sont bien des « salariés » au sens des règlements européens et doivent être comptés.