Pour le Conseil d’Etat dans le cadre d’une opération d’apport-cession, le nantissement de sommes en vue de couvrir une garantie de passif, consentie au profit de la société cessionnaire des parts qui lui avaient été apportées, et qui, ayant pour seul objet de couvrir une éventuelle obligation future de restitution d’une partie du prix de cession, était insusceptible de caractériser un réinvestissement.
Pour mémoire, le mécanisme du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du CGI dans sa rédaction à l’époque des faits dans le cadre d’une opération d’apport-cession répondait à l’objectif économique poursuivi par le législateur lorsque le produit de la cession faisait l’objet, pour une part significative et à bref délai, d’un réinvestissement à caractère économique par cette société. En revanche, en l’absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération devait, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduisait, en différant l’imposition de la plus-value, à minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.
Rappel des faits :
Le 22 juillet 2009, M. A et son fils ont apporté à la société PE P dont M A était l’unique associé, les parts qu’ils détenaient dans la société PC. En rémunération de ces apports, ils ont reçu, chacun, des parts de la société PE. Les plus-values réalisées à l’occasion de ces apports ont bénéficié du régime de sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du CGI, dans leur rédaction alors applicable.
Le 28 juillet 2009, la société PE a cédé à la société S les titres de la société PC que lui avait apportés M.A.
Estimant que l’intervention de cette cession à très bref délai révélait que l’opération avait eu pour seul objet d’interposer une opération d’apport permettant à M. A de céder ses titres de la société PC sans que la plus-value en résultant soit soumise à l’impôt, l’administration fiscale a mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du LPF pour remettre en cause le bénéfice du sursis d’imposition.
Par un jugement en date du 10 juillet 2018, le TA de Lyon a rejeté la demande de M. A tendant à la décharge de ces impositions.
Par un arrêt n° 18LY03481 du 9 juillet 2020, la CAA de Lyon a annulé ce jugement et prononcé la décharge des impositions en litige.
Le ministre de l’économie, des finances et de la relance s’est pourvu en cassation contre l’arrêt du 9 juillet 2020.
Le Conseil d’Etat vient de donner raison au Ministre.
Au cas particulier, 90% du produit de la cession , par la société PE, des parts de la société PC que lui avait apportées M. A a été placé sur des comptes à terme .
La société PE avait :
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en premier lieu, procédé au nantissement à hauteur de 100 000 € d’un compte à terme en vue de couvrir une garantie de passif dont était assortie la cession des titres de la société PC à la société S,
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en deuxième lieu, procédé au nantissement à hauteur de 145 000 € de comptes à terme en vue de garantir un emprunt bancaire * souscrit par elle afin de financer des projets d’investissement à caractère économique* et,
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en troisième lieu, consacré une somme de 129 442 € à l’autofinancement de ses projets d’investissement dans des activités de production électrique .
La juridiction d’appel a jugé que l’utilisation ainsi faite par la société PE du produit disponible de la cession des titres de la société PC qu’elle avait reçus en apport de M. A devait être regardée comme caractérisant un réinvestissement à caractère économique et estimé que, portant sur une fraction qu’elle a évaluée à 37% de ce produit, ce réinvestissement suffisait à écarter la qualification d’abus de droit.
Pour la haute juridiction administrative:
Si la cour a pu, sans erreur de droit, juger que le nantissement, dans des conditions les rendant indisponibles à tout autre usage, de sommes placées sur un compte à terme en vue de garantir des emprunts bancaires souscrits pour la réalisation d’investissements dans une activité économique devait être regardé comme un réinvestissement à caractère économique, elle a en revanche méconnu la règle rappelée au point 4 en estimant qu’il en allait de même du nantissement de sommes en vue de couvrir une garantie de passif, consentie au profit de la société cessionnaire des parts qui lui avaient été apportées, et qui, ayant pour seul objet de couvrir une éventuelle obligation future de restitution d’une partie du prix de cession, était insusceptible de caractériser un réinvestissement .