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Contrôle et contentieux

Acte anormal de gestion et modalités d'évaluation de l'avantage consenti : la pondération selon l'utilité réelle

Cette décision traite d'une problématique classique en droit fiscal des entreprises : la qualification d'acte anormal de gestion lorsqu'une société (Lotisseur) renonce à facturer des prestations au bénéfice du dirigeant. Elle présente également un intérêt particulier en ce sens qu'elle précise les modalités d'évaluation de l'avantage consenti, en introduisant une pondération fondée sur l'utilité réelle.

 

En vertu des articles 38 et 209 du CGI, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés comprend celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale.

Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Cette définition, consacrée par une jurisprudence constante, vise à sanctionner les opérations qui, bien que revêtant une apparence commerciale, poursuivent en réalité des objectifs étrangers à l'entreprise, notamment l'octroi d'avantages indus à des tiers. La charge de la preuve de l'acte anormal de gestion incombe en principe à l'administration fiscale, qui doit établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal. Cependant, lorsque l'acte anormal est établi, il appartient à l'entreprise de justifier de l'existence d'une contrepartie à son choix de gestion, tant dans son principe que dans son montant.

 

Par ailleurs, l'article 111 du CGI considère comme revenus distribués les rémunérations et avantages occultes. Cette disposition permet de taxer chez le bénéficiaire les avantages indûment accordés par une société, complétant ainsi le dispositif de lutte contre les actes anormaux de gestion. En cas de refus des propositions de rectification par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci a effectivement disposé des sommes regardées comme distribuées. 

 

Rappel des faits :

La SCI D soumise à l'impôt sur les sociétés, a pour objet l'acquisition de terrains en vue de les revendre en lots après viabilisation. Par arrêté du 1er août 2014, le maire d'une commune lui a accordé un permis d'aménager un terrain communal pour le diviser en sept parcelles à bâtir.

L'opération s'est déroulée en deux temps. Par acte du 25 mars 2015, la SCI D avait fait l'acquisition auprès de la commune des parcelles nécessaires à la création de cinq terrains à bâtir. Le même jour, Monsieur B., gérant de la société, s'est rendu acquéreur auprès de la commune de deux terrains à bâtir situés à l'entrée du lotissement.

Entre mars 2016 et janvier 2017, la SCI D avait fait réaliser les travaux de viabilisation du lotissement pour un montant total de 63 530,15€. Ces travaux comprenaient le raccordement collectif au réseau d'électricité, les raccordements aux réseaux, la pose d'une canalisation en fonte et les travaux de voirie.

Le cœur du litige résidait dans le fait que ces travaux avaient nécessairement profité aux deux parcelles de Monsieur B., leur permettant d'être raccordées aux réseaux et d'accéder à la voirie collective, sans qu'aucune facturation ne soit intervenue entre la société et son gérant.

L'administration fiscale, dans le cadre d'une vérification de comptabilité a relevé cette absence de facturation. Par proposition de rectification du 14 novembre 2018, elle a notifié son intention de réintégrer dans le bénéfice de la SCI D le produit dont elle s'était privée. Parallèlement, les époux B. ont fait l'objet d'un ESFP. Par proposition de rectification du 26 juin 2019, l'administration les a regardés comme bénéficiaires de l'avantage occulte résultant de l'absence de facturation des travaux.

Les impositions supplémentaires assorties de la pénalité pour manquement délibéré ont été mises en recouvrement en 2020. L'administration a toutefois dégrevé la pénalité concernant les époux B. par décision du 17 mai 2021.

Le tribunal administratif de Nancy, par jugements des 26 janvier et 21 septembre 2023, a partiellement fait droit aux demandes des contribuables, réduisant le montant des impositions de 48 403 € à 18 152 €.

 

La SCI D afait appel de la décision.

 

La Cour vient de partiellement faire droit aux demandeurs

 

Concernant la qualification d'acte anormal de gestion

La Cour a confirmé la qualification d'acte anormal de gestion retenue par l'administration et validée par les premiers juges. Elle a relevé que l'administration avait apporté la preuve qui lui incombait en démontrant que la SCI D avait renoncé à percevoir une recette dans des conditions constitutives d'un acte anormal de gestion.

Les travaux de viabilisation réalisés par la SCI D ont nécessairement profité aux deux parcelles de Monsieur B., leur permettant d'être raccordées aux réseaux et d'accéder à la voirie collective.

L'absence totale de facturation entre la société et son gérant pour ces prestations, caractérisent ainsi une renonciation à recette sans contrepartie apparente. Cette situation constitue un enrichissement sans cause du gérant au détriment de la société.

Les juges ont écarté les arguments des requérants relatifs aux travaux prétendument réalisés par Monsieur B. lui-même, soulignant l'absence de pièces probantes établissant la réalité de ces travaux. Ils ont précisé que même en admettant leur existence, ces travaux n'étaient que des raccordements provisoires et que les parcelles avaient nécessairement bénéficié des travaux définitifs de viabilisation réalisés par la SCI D

La Cour a également rejeté l'argument relatif au supplément de prix prétendument payé par Monsieur B. lors de l'acquisition des trois derniers terrains, faute d'établissement de cette compensation.

 

Concernant l'évaluation de l'avantage et la pondération

Les juges ont validé le principe d'une pondération des frais de viabilisation en fonction de la distance des parcelles par rapport à l'entrée du lotissement.

La Cour a rappelé qu'il est d'usage de pondérer les frais de viabilisation lorsque la distance par rapport à l'entrée du lotissement est significative, en pratique plus de trente mètres, afin d'éviter une répartition uniforme qui serait inéquitable. Elle a constaté que les parcelles les plus éloignées se trouvaient situées à plus de trente-six mètres de l'entrée.

Sur cette base, les juges ont considéré que les requérants étaient fondés à demander une réduction de moitié du montant de l'avantage pour tenir compte de l'utilité réelle que les parcelles de Monsieur B. avaient retirée des travaux litigieux. Le montant de l'avantage a ainsi été ramené de 18 152 € à 9 076 €.

 

Il est vrai, toutefois, que les requérants demandent que le montant de la renonciation à recettes soit pondéré en fonction de l'utilité réelle que les deux parcelles de M. B... ont retirée des travaux de viabilisation en fonction de leur situation laquelle serait moindre que celle dont les parcelles les plus éloignées de l'entrée du lotissement ont retirée.

Il résulte de l'instruction que les jugements attaqués, alors que l'administration avait initialement estimé que l'avantage occulte devait être évalué sur la base de l'augmentation de valeur vénale que les travaux réalisés auraient conférée aux parcelles de M. B..., ont arrêté la valeur de la renonciation à recettes aux 2/7ème du coût des travaux de viabilisation comptabilisés par la SCI DMG, correspondant à une répartition égalitaire entre les lots.

Il est cependant exact qu'il est d'usage de pondérer les frais de viabilisation en fonction de la distance des parcelles par rapport à l'entrée du lotissement ou du point de raccordement, lorsque cette plus ou moins grande distance est significative, en pratique plus de trente mètres, de sorte qu'il serait inéquitable de répartir les coûts de manière uniforme ou proportionnellement à la superficie des lots.

Il ressort en l'occurrence du plan de situation que les parcelles les plus éloignées de l'entrée du lotissement s'en trouvent situées à plus de trente-six mètres.

Dès lors, dans les circonstances de l'affaire, les requérants sont fondés à demander que le montant de l'avantage consenti par la SCI DMG à son gérant soit réduit de moitié afin de tenir compte de l'utilité réelle que ses parcelles ont retirée des travaux litigieux. Le coût uniforme en fonction du nombre de parcelles (2/7ème) des travaux dont ont bénéficié les terrains de M. B... ayant été arrêté en dernier lieu par les jugements attaqués à la somme, non contestée par l'administration, de 18 152 euros, il y a lieu d'arrêter la valeur de cet avantage à la somme de 9 076 euros. Par suite, l'administration était seulement fondée à réintégrer cette somme dans le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés de la SCI DMG et à imposer M. B... sur le montant de cet avantage dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

 

La Cour a enfin confirmé l'application de la pénalité de 40% pour manquement délibéré, relevant que la SCI D avait sciemment omis de comptabiliser une recette imposable et que Monsieur B. avait omis de déclarer l'avantage accordé dans le but d'éluder l'impôt sur le revenu.

TL;DR

  • La renonciation à facturer des prestations au profit d'un dirigeant constitue, sauf justification contraire, un acte anormal de gestion sanctionnable fiscalement.
  • Reconnaissance du principe de pondération des avantages selon leur utilité réelle. La Cour établit des critères objectifs pour cette pondération, notamment le seuil de trente mètres de distance par rapport au point d'entrée du lotissement. 
 

Publié le lundi 9 juin 2025 par La rédaction

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