Décision relative au point de départ du délai de réclamation contentieuse pour un contribuable qui n'est pas directement la cible d'un redressement fiscal, mais dont la propre situation est indirectement affectée par les rectifications opérées chez un tiers. Elle confirme l'application de l'article R. 196-1-c du LPF et illustre comment un « événement qui motive la réclamation » peut, dans un contexte de vente immobilière, rouvrir un délai de réclamation pour l'acquéreur, même après l'écoulement du délai de droit commun.
L'article R*196-1 du LPF organise de manière stricte les délais de réclamation contentieuse. Le principe général impose une présentation au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant soit la mise en recouvrement, soit le versement de l'impôt, soit "la réalisation de l'événement qui motive la réclamation".
Cette dernière hypothèse constitue une exception au délai de droit commun, permettant de rouvrir les délais lorsque survient un fait nouveau ayant une incidence sur l'imposition. La jurisprudence administrative a progressivement précisé que seuls peuvent être qualifiés d'événements déclencheurs les faits ayant une incidence directe sur le principe même de l'imposition, son régime ou son mode de calcul.
La doctrine BOFIP précise à cet égard :
Par "événement" susceptible d'être retenu comme servant de point de départ au délai de réclamation, il convient d'entendre tout fait ou circonstance ayant pour effet ou conséquence :
- soit de mettre en cause le principe même de l'imposition contestée ;
- soit de modifier rétroactivement l'assiette ou le calcul de cette imposition ;
- soit d'ouvrir droit, par sa nature même, au dégrèvement ou à la restitution de tout ou partie d'une imposition qui, fondée dans son principe, était régulièrement établie et calculée.
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Seuls les faits ou circonstances se rapportant directement à la situation propre du contribuable, auteur de la réclamation, ou aux éléments de base ou de calcul de l'imposition contestée peuvent constituer un "événement" au sens de l'article R*. 196-1 du LPF et de l'article R*. 196-2 du LPF.
Rappel des faits :
La SCI SK a acquis en août 2018 un bien immobilier auprès de la SCI SUD, supportant les droits d'enregistrement au taux plein en l'absence d'assujettissement à la TVA de la cession.
Près de trois ans plus tard, dans le cadre d'un contrôle fiscal ultérieur chez le vendeur, la SCI DU SUD, l'administration a considéré que la vente aurait dû être assujettie à la TVA. Elle a donc procédé à un redressement de TVA à l'encontre de la SCI DU SUD en 2021, notifié par une proposition de rectification. Une mise en recouvrement est intervenue en septembre 2022.
Face à cette situation, la SCI SK, en sa qualité d'acquéreur, a réagi. Elle a soutenu que si la vente avait été soumise à la TVA de plein droit, l'acquisition de l'immeuble aurait dû bénéficier d'un régime fiscal plus favorable en matière de droits d'enregistrement, avec l'application du taux réduit de 0,71498% au lieu du taux plein qu'elle avait initialement acquitté. En conséquence, la SCI SK a introduit une réclamation contentieuse en octobre 2022 pour obtenir la restitution du trop-perçu de droits soit un montant de plus de 76 000 €.
La DRFIP a rejeté cette réclamation, la considérant irrecevable pour forclusion. Elle a estimé que la demande aurait dû être déposée avant le 31 décembre 2020, soit la deuxième année suivant celle de l'acquisition, conformément à l'article R. 196-1 a) et b) du LPF. La DRFIP a insisté sur le fait que la proposition de rectification et la mise en recouvrement adressées à la SCI SUD, un tiers, ne constituaient pas un événement susceptible de rouvrir un nouveau délai pour la SCI SK.
La SCI SK a saisi le juge judiciaire.
Le juge de la mise en état était saisi d'une fin de non-recevoir soulevée par l'administration fiscale, ce qui le rendait seul compétent pour statuer sur cette question avant l'examen du fond de l'affaire.
La décision se concentre donc sur un point important: l'applicabilité de l'article R. 196-1-c du LPF, qui permet à un contribuable de présenter une réclamation jusqu'au 31 décembre de la deuxième année suivant la réalisation de l'« événement qui motive la réclamation ».
Le juge vient de débouter l'administration fiscale.
Pour lui, la proposition de rectification adressée à la SCI SUD et la mise en recouvrement qui s'en est suivie constituent bien un événement qui a une incidence directe sur le calcul des DMTO et de la TPF supportés par la SCI SK. Bien que le redressement de TVA ait visé une autre partie à l'acte, à savoir le vendeur, il a directement et objectivement modifié le régime fiscal applicable à la vente immobilière dans son ensemble. Dès lors, le fait d'avoir été imposé au taux plein des droits d'enregistrement n'était pas contestable par la SCI SK avant que l'administration fiscale ne remette elle-même en cause le régime fiscal de la vente.
La décision souligne qu'il n'est pas nécessaire que la rectification soit définitive ou que le redressement ait été adressé directement au réclamant. Ce qui importe, c'est que l'événement en question, à savoir la requalification de la vente par l'administration fiscale, ait une influence directe sur le mode de calcul de l'imposition de l'acquéreur. C'est l'administration elle-même qui, par ses actes de redressement, a créé la situation juridique permettant à l'acquéreur de remettre en cause les droits qu'il avait initialement payés.
Cette décision semble ainsi valider implicitement qu'un contribuable puisse se prévaloir d'un événement affectant un tiers lorsque cet événement a une incidence directe sur sa propre situation fiscale.
Si on ne peut que se réjouir d'une décision qui privilégie l'équité fiscale (en évitant qu'un contribuable soit pénalisé par l'inexactitude initiale d'un tiers), on peut toutefois se demander si l'élargissement de la notion d'événement déclencheur ne créé pas de l'insécurité juridique en ouvrant la voie à des réclamations tardives fondées sur des liens de causalité...qui pourraient être minces voire discutables