Lors de l’examen du rapport d’information, par la commission des finances de l’Assemblée Nationale, sur la mise en œuvre des conclusions de la mission d’information sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, les députés sont revenus sur le censure par le conseil Constitutionnel de l’article 100 du PLF2014 qui élargissait le champ de l’abus de droit fiscal de l’article L64 du LPF.
Rappel :
Mettant en application les préconisations du rapport MUET-WOERTH les députés avaient lors de l’examen du PLF2014 adopté une définition extensive de l’abus de droit fiscal.
En pratique, l’article 100 du PLF2014 prévoyait qu’au premier alinéa de l’article L. 64 du LPF, les mots : « n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui » étaient remplacés par les mots : « ont pour motif principal » .
Cette nouvelle définition de l’abus de droit fiscal devait s’appliquer aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2016, pour les seuls actes mentionnés au premier alinéa de l’article L. 64 du LPF passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2014. Cette nouvelle définition de l’abus de droit fiscal avait été adoptée par les députés contre l’avis du gouvernement qui s’en été remis à la sagesse de l’assemblée.
« On passera d’une question de droit précise – le but fiscal est-il ou non exclusif ? – à une question de fait – le but fiscal est-il ou non principal ? L’appréciation deviendra pure appréciation de fait, donc discutable », avait souligné Bernard Cazeneuve le ministre du Budget.
Saisis de la constitutionnalité de l’article 100 du PLF2014, les sages avaient souligné « qu’une telle modification de la définition de l’acte constitutif d’un abus de droit a pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale » .
Compte tenu des conséquences fiscales (Amendes, pénalités, intérêts de retard) attachées à la procédure de l’abus de droit fiscal le Conseil Constitutionnel avait déclaré l’article 100 contraire à la Constitution.
Comme le souligne le présent rapport « il ressort du commentaire publié par le Conseil constitutionnel simultanément à sa décision que les possibilités d’évolution de la définition de l’abus de droit apparaissent limitées .».
Le Conseil semble en effet interpréter les décisions rendues en la matière par les différentes juridictions compétentes (Conseil d’État, Cour de Justice de l’Union européenne) en considérant que seul le critère de but exclusivement fiscal serait pertinent
Or, «selon les informations recueillies par le Rapporteur, certains pays anglo-saxons comme l’Australie, le Canada ou le Royaume-Uni font explicitement référence à la notion de « motif principal » (« one of the main purposes » en anglais) dans le cadre de leur dispositif anti-abus (General Anti-Abuse Rule ou GAAR, en anglais). L’OCDE réfléchit actuellement à l’intégration d’une telle clause anti-abus dans son modèle de convention fiscale, avec présomption d’abus , ce qui ferait peser le fardeau de la preuve sur les entreprises. Une telle clause permettrait ainsi de dénier l’application d’une convention fiscale si l’un des motifs de la transaction en jeu est principalement d’ordre fiscal».
Commentant cette censure à l’aune de la politique de lutte contre l’optimisation fiscale agressive, certains députés se sont montrés particulièrement critique à l’égard de la décision des sages.
« Il faut quand même rappeler que le Conseil constitutionnel a empiété sur nos compétences , et ce pour des raisons qui ne sont pas juridiques mais politiques (…) Qui doit élaborer la loi fiscale dans ce pays ? Est-ce le Parlement ou le Conseil constitutionnel ? (…) Le Conseil constitutionnel a eu tort de dire que ce n’était pas notre rôle. Je crois au contraire que notre rôle collectif est de recouvrer notre souveraineté fiscale » a précisé Karine Berger.
La député des Hautes-Alpes propose même de retravailler sur les dispositifs qui ont été censurés notamment dans le cadre d’un futur collectif budgétaire, «un débat devra alors s’engager dans nos formations politiques respectives sur le rôle du Conseil constitutionnel.»
M. Henri Emmanuelli a quant à lui mis en garde «contre le risque que le Conseil constitutionnel ne s’empare du pouvoir législatif, et donc du pouvoir tout court» . Craignant que «le Conseil constitutionnel ne soit tenté d’accaparer un pouvoir qui relève du suffrage universel» , le député propose de «récidiver et hausser le ton» . «Il n’est pas admissible que ce soit lui qui décide du bon niveau d’imposition. Il n’a pas reçu mandat pour cela» a ajouté le parlementaire.
M. Henri Emmanuelli propose même de poursuivre les efforts lors de la discussion du prochain projet de loi de finances : «on ne peut pas laisser le dernier mot au Conseil constitutionnel, y compris sur la définition de l’abus de droit. Je suis volontaire pour déposer des amendements sur tous ces sujets».
Plus mesuré, Christophe Caresche souligne que les décisions du Conseil constitutionne «s’imposent» mais, selon lui il faut «veiller à ce que nos initiatives n’engendrent pas des jurisprudences du Conseil constitutionnel qui empêchent toute évolution législative». « En refusant de tenir compte de certaines décisions du Conseil constitutionnel, le Parlement se met lui-même dans l’impossibilité d’avancer sur un certain nombre de sujets . En effet, il est très difficile de rouvrir une porte qui a ainsi été fermée . Je demande donc s’il existe juridiquement des possibilités pour reprendre ce dossier et avancer » a ajouté M. Caresche.
Charles de Courson a pour sa part indiqué que « contester la décision du Conseil constitutionnel, c’est commettre une erreur sur le sens de cette décision relative à l’abus de droit » .
Les membres de la Commission ont ainsi invité leurs collègues à déposer de nouveau cet amendement. « En effet, le critère de l’exclusivité ne permet pas aujourd’hui de qualifier correctement la notion d’abus de droit. Le terme « exclusivement » est un mot creux, et la représentation nationale se ridiculise lorsqu’elle affirme un principe qui ne trouve pas d’application effective » a souligné Pascal Cherki.