Le contentieux relatif à la restitution des retenues à la source (RAS) prélevées sur les dividendes de source française versés à des sociétés non-résidentes déficitaires, né de l'incompatibilité du droit français avec la liberté de circulation des capitaux, continue de générer des questions procédurales. L'enjeu n'est plus tant le droit au remboursement, désormais acquis, que la recevabilité des demandes au regard des délais de prescription. Le juge de l'impôt vient d'apporter des porécisions favorables au contribuable.
Pour mémoire, notre législation fiscale encadre les délais de contestation. L'article R. 196-1-b du LPF dispose que pour les impôts n'ayant pas donné lieu à l'établissement d'un rôle, comme la retenue à la source, les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle du versement de l'impôt. Ainsi, pour une RAS prélevée en 2015, le délai expirait le 31 décembre 2017.
Dans ce contexte, le contentieux des RAS sur dividendes versés à des sociétés non-résidentes déficitaires s'est développé dans un certain vide procédural. Avant que la jurisprudence européenne (Arrêt Sofina) et les clarifications administratives ultérieures n'établissent un droit clair au remboursement, les contribuables devaient sécuriser leurs droits.
Dans un arrêt Sofina rendu le 22 novembre 2018, la CJUE (CJUE, 22 novembre 2018, aff. C-575/17) a infirmé cette interprétation, estimant que le dispositif français conduisait à une différence de traitement entre sociétés déficitaires résidentes et non-résidentes contraire à la liberté de circulation des capitaux. dès lors que le contribuable non-résident déficitaire se voyait privé de la faculté d’obtenir le remboursement d’une retenue prélevée sur des revenus alors qu’il n’avait, dans son État de résidence, pas de capacité contributive effective. Le Conseil d’État en a tiré les conséquences dans une décision rendue le 27 février 2019.
Le Législateur également, via l'article 42 de la LF2020 en prévoyant notamment, la possibilité pour les sociétés étrangères en situation déficitaire d’obtenir la restitution temporaire des sommes retenues ou prélevées à la source. Cette aménagment législatif a fait l'objet de commentaires au BOFIP le 30 juin 2022
Rappel des faits :
La SARL S société de droit luxembourgeois, a perçu des dividendes français en 2015 et 2016, soumis à la RAS. Le 17 décembre 2017, soit juste avant l'expiration du délai pour l'année 2015, elle a adressé une demande de restitution à l'établissement payeur (la banque ayant prélevé la RAS), et ce "à titre conservatoire" dans l'attente d'une décision de la CJUE. Plus tard, le 29 novembre 2019, elle a formalisé une réclamation auprès de la direction des impôts des non-résidents.
L'administration fiscale, saisie en 2019, a rejeté la demande de restitution pour les années 2015 et 2016 au motif de tardiveté, le délai de l'article R. 196-1 b) LPF étant expiré. Elle a toutefois admis le remboursement pour 2017, reconnaissant ainsi le bien-fondé de la demande sur le fond. L'administration soutenait que seule la réclamation adressée à ses services en 2019 était une "réclamation" au sens de l'article L. 190, et que la demande de 2017 adressée à l'établissement payeur était un acte inexistant en droit fiscal contentieux.
Le Tribunal administratif de Montreuil a suivi cette analyse et rejeté la demande de la société.
La SARL S a fait appel de la décision
- Elle soutient que sa demande de 2017 à l'établissement payeur devait être requalifiée en réclamation contentieuse ayant interrompu le délai. Elle invoque l'absence de procédure claire à l'époque et la violation de la libre circulation des capitaux qu'engendrerait un formalisme excessif.
La Cour administrative d'appel de Paris a suivi le raisonnement de la société et annulé le jugement.
- Elle a d'abord constaté qu'à la date de la demande (décembre 2017), il n'existait...
...aucun dispositif légal prévoyant une procédure déclarative particulière
pour les sociétés non-résidentes déficitaires afin d'obtenir cette restitution.
- Puis elle a souligné que l'établissement payeur n'est pas un tiers étranger à l'impôt. Il est...
...conformément à la procédure prévue par l'administration fiscale, chargé de prélever la retenue à la source mais aussi de procéder au remboursement d'un éventuel trop perçu.
- La Cour en a tiré la conséquence logique : en l'absence de procédure dédiée, et compte tenu du rôle pivot de l'établissement payeur dans le mécanisme de la RAS, la demande de restitution adressée à ce dernier...
...devait être regardée comme constituant une réclamation au sens des dispositions précitées de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales
Partant, la demande du 17 décembre 2017, bien que formée "à titre conservatoire", était une réclamation valable et formulée dans les délais pour les années 2015 et 2016. L'administration n'était donc pas fondée à opposer la tardiveté.
En matière de restitution de retenue à la source une demande adressée à l'établissement payeur, et non à l'administration, constitue une réclamation valable interrompant le délai de prescription.