Nouvelle décision sur la dialectique de la preuve en matière de contentieux fiscal. Saisie d'un litige portant sur la résidence fiscale d'un contribuable, initialement établie sur la base d'éléments de preuve jugés illégaux, le juge de l'impôt admet que l'administration puisse, en cours d'instance d'appel, produire de nouvelles pièces pour purger le vice originel et fonder le bien-fondé de l'imposition et... ainsi "sauver" un redressement mal engagé.
Le principe, déjà rappelé par le juge de l'impôt et découlant des exigences de l'article 16 de la DDHC est clair : l'administration ne peut fonder une imposition sur des pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales. En l'espèce, le débat initial portait sur l'utilisation de données de connexion (géolocalisation) recueillies par l'AMF auprès d'opérateurs de télécommunications, sur le fondement de dispositions législatives qui ont par la suite été jugées non conformes au droit de l'Union européenne (Arrêt de la CJUE du 20 septembre 2022, C-339/20) et à la Constitution (Arrêt du Conseil. constitutionnel du 21 juillet 2017, n° 2017-646/647 QPC).
La sanction d'une telle irrégularité est en principe la décharge des impositions.
Toutefois, le rôle du juge ne se limite pas à valider ou invalider la procédure menée par l'administration. En vertu de l'effet dévolutif de l'appel, la Cour est saisie de l'ensemble du litige, tant en fait qu'en droit, et il est admis que l'administration puisse produire des éléments nouveaux pour justifier sa position, sous réserve du respect du principe du contradictoire.
Rappel des faits :
Un contribuable, M. B, a fait l'objet d'un examen de sa situation fiscale personnelle à l'issue duquel l'administration a remis en cause sa résidence fiscale déclarée au Maroc pour l'année 2014. Se fondant notamment sur des données de connexion obtenues de l'AMF dans le cadre de son droit de communication, l'administration a estimé que M. B était domicilié en France et l'a taxé d'office sur des plus-values de cession de valeurs mobilières de plus de 28 M€.
En première instance, le TA de Paris a donné raison au contribuable. Les juges ont constaté que les données de connexion, qui constituaient le socle de la démonstration de l'administration, avaient été obtenues par l'AMF en vertu de dispositions jugées contraires à la Constitution et au droit de l'Union. Appliquant le principe de l'illégalité de la preuve, le tribunal a conclu que ces éléments ne pouvaient servir à établir l'imposition et a prononcé la décharge intégrale des droits et pénalités.
Le ministre de l'Économie et des Finances a fait appel de ce jugement.
La Cour vient d'annuler le jugement du TA de Paris
Elle ne conteste pas le principe selon lequel les données de géolocalisation obtenues par l'AMF dans les conditions critiquées par le Conseil constitutionnel et la CJUE ne pouvaient valablement fonder les redressements fiscaux.
Cependant, elle rappelle aussitôt que l'administration a la possibilité de...
...réunir, postérieurement à l'achèvement de la procédure de redressement, ... des renseignements complémentaires corroborant ceux qui ont été déjà portés à la connaissance du contribuable
Or, au cas particulier le ministre a versé aux débats un rapport de l'Office national anti-fraude (ONAF), établi le 8 janvier 2025 par les enquêteurs de l'Office national anti-fraude, communiqué dans le cadre de l'article L. 101 du LPF. Ce rapport, fondé non plus sur les données de connexion litigieuses mais sur des données relatives aux entrées et sorties du territoire marocain obtenues dans le cadre d'une demande d'entraide pénale internationale, ainsi que sur des témoignages de proches et d'employés, corroborait la résidence fiscale française du contribuable.
Pour la Cour, ces nouveaux éléments probants n'avaient pas été obtenus auprès des enquêteurs de l'AMF et ne pouvaient donc être regardés comme entachés des mêmes irrégularités que les données de géolocalisation initialement utilisées.
La Cour en a conclu que c'est à tort, que le tribunal a prononcé la décharge.
Saisie par l'effet dévolutif de l'appel, la Cour a examiné les autres moyens du contribuable :
- Elle a écarté l'argument tiré du défaut de mise en demeure préalable à la taxation d'office, en relevant que le contribuable "changeait fréquemment de lieu de séjour", une des exceptions prévues par l'article L. 67 du LPF.
- Elle a rejetté également les moyens relatifs à la violation des droits de la défense, en rappelant que le formalisme d'une procédure de taxation d'office est allégé.
- Enfin, sur le fond, s'appuyant sur les éléments du rapport de l'ONAF (170 jours de présence en France contre 15 au Maroc), la Cour a confirmé la résidence fiscale de M. B en France, tant au regard du droit interne () que de la convention fiscale franco-marocaine.
TL;DR
Les victoires procédurales fiscales ne sont jamais définitives : même après exclusion de preuves illégales, l'administration peut toujours reconstituer légalement son dossier pour maintenir l'imposition, empêchant les contribuables de mauvaise foi d'échapper à leurs obligations par de simples vices de procédure.