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Droits de mutation

Clause de préciput et droit de partage : les juges du fond suivent l'avis de la Cour de Cassation et consacrent l'exclusion de la taxation

Une décision vient de tirer les conséquences de l'avis rendu le 21 mai 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation. En confirmant que le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant échappe à la taxation au droit de partage prévue à l'article 746 du CGI, cette décision s'inscrit dans le sillage direct de la plus haute juridiction judiciaire.

 

Rappel du contexte :

Pour mémoire, la clause de préciput trouve son fondement dans les articles 1515 et 1516 du code civil. L'article 1515 dispose qu'il peut être convenu, dans le contrat de mariage, que le survivant des époux sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d'une espèce déterminée de biens. L'article 1516 précise que le préciput n'est point regardé comme une donation, mais comme une convention de mariage.

 

Sur le plan fiscal, l'article 746 du CGI soumet les partages de biens meubles et immeubles entre copropriétaires, cohéritiers et coassociés à un droit d'enregistrement de 2,5%. La controverse portait sur la qualification du prélèvement préciputaire : constitue-t-il une opération de partage justifiant cette taxation ?

 

L'avis rendu le 21 mai 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation éclaire l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes. Pour mémoire, cet avis avait été sollicité par la chambre commerciale dans le cadre d'un pourvoi formé par l'administration fiscale contre un arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 4 juillet 2023 ayant déchargé une contribuable du droit de partage réclamé au titre d'un préciput.

 

La Cour de cassation a été invitée à répondre à la question : 

« Le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant en application de l'article 1515 du code civil constitue-t-il une opération de partage ? »

 

La haute juridiction a d'abord défini l'opération de partage proprement dite comme celle qui, à l'issue du processus permettant de mettre fin à une indivision, contribue directement à la division de la masse indivise, préalablement liquidée, et à sa répartition entre les indivisaires à proportion de leurs droits respectifs. Cette définition pose les critères essentiels du partage : existence d'une masse indivise liquidée, opération de division et de répartition, attribution proportionnelle aux droits de chaque copartageant, et caractère amiable ou judiciaire.

 

La Cour de cassation a ensuite développé une analyse en trois points distinguant radicalement le préciput du partage. Premièrement, bien qu'il s'opère dans la limite de l'actif net préalablement liquidé de la communauté, il intervient, selon les termes de l'article 1515, avant tout partage. Deuxièmement, s'effectuant sans contrepartie, les biens prélevés ne s'imputent pas sur la part de l'époux bénéficiaire. Troisièmement, son exercice relève d'une faculté unilatérale et discrétionnaire.

 

La conclusion de l'avis est sans ambiguïté : Le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant, en application de l'article 1515 du code civil, ne constitue pas une opération de partage.

 

Les circonstances de l'espèce devant la Cour d'appel de Rennes

Les époux T se sont mariés en 1956 et ont introduit une clause de préciput en 2005, modifiée en 2016. Au décès de Monsieur T en avril 2017, Madame T a exercé son droit préciputaire. L'administration fiscale, par proposition de rectification du 21 mai 2021, a soumis ce prélèvement au droit de partage. Le TJ de Rennes ayant prononcé le dégrèvement total par jugement du 17 juin 2024, l'administration a fait appel le 23 juillet 2024.

L'appel de l'administration fiscale a été formé plus d'un an avant la publication de l'avis de la Cour de cassation du 21 mai 2025.

 

L'administration fiscale soutenait que la clause de préciput constitue une modalité de partage d'origine conventionnelle. Elle insistait sur le fait que l'époux survivant prélève en sa qualité de copartageant et invoquait l'effet déclaratif du préciput, analogue à celui du partage.

 

La Cour d'appel de Rennes a adopté une solution qui s'inscrit en cohérence avec l'avis de la Cour de cassation et qui confirme la décision du tribunal judiciaire de Rennes.

 

La Cour a rappelé les termes  de l'article 1515 du code civil selon lequel le prélèvement s'opère "avant tout partage". Elle affirme que le préciput permet au conjoint survivant de prélever des biens communs avant tout partage, biens réputés lui avoir appartenu dès la dissolution de la communauté sans que cette attribution ne s'impute sur ses droits dans un éventuel partage ultérieur.

 

La Cour a qualifié le préciput de :

restriction de la masse à partager. Par l'exercice de sa faculté, le conjoint vient réduire les biens communs, appelés à former la masse indivise. Il n'est donc pas concevable de traiter le préciput comme une attribution dans le partage.

 

Ainsi, les biens prélevés ne font plus partie de la masse successorale à partager et l'exercice du préciput n'a qu'une fonction de prélèvement par le seul conjoint survivant et non d'allotissements entre plusieurs copartageants. 

 

La cour a également souligné que les articles relatifs au préciput sont situés dans la partie du code civil consacrée aux régimes matrimoniaux et non dans celle relative aux successions, témoignant de la logique matrimoniale du mécanisme.

 

Enfin, elle a précisé :

la déclaration de succession est qualifiée par la Cour de cassation de document purement fiscal dénué d'incidence sur le plan civil d'où il s'évince qu'aucun acte établi consécutivement à l'exercice du préciput n'a les attributs d'un acte de partage.

 

 

  • Cette décision illustre l'effet normatif immédiat d'un avis de la Cour de cassation sur l'ensemble des juridictions judiciaires.
  • Bien qu'un avis ne constitue pas formellement un arrêt et ne lie pas juridiquement les juges du fond, il exprime la position de la Cour de cassation sur une question de droit et annonce la solution qu'elle retiendra lors du jugement du pourvoi ayant donné lieu à la demande d'avis.
  • En l'espèce, la Cour d'appel de Rennes a statué quatre mois après la publication de l'avis du 21 mai 2025. Il est évident que la juridiction bretonne avait connaissance de cet avis et qu'il a joué un rôle déterminant dans son raisonnement, même si elle ne le cite pas explicitement.

Publié le vendredi 3 octobre 2025 par La rédaction

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