Clarification sur la répartition du passif successoral pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit en présence d'un démembrement de propriété. Le juge affirme que les règles de répartition du passif successoral en droit civil (article 612 du Code civil) ne déterminent pas nécessairement la répartition de ce passif pour le calcul de l'assiette des droits de mutation. Le droit fiscal (autonome) possède ses propres règles de détermination de la valeur des parts successorales.
Deux corpus de règles s'entremêlent dans cette affaire :
En matière civile :
- L'article 870 du Code civil dispose que « les cohéritiers contribuent entre eux au paiement des dettes et charges de la succession, chacun dans la proportion de ce qu'il y prend ».
- L'article 612 du même code, spécifique au démembrement, précise que « l'usufruitier est tenu, pendant sa jouissance, de toutes les charges annuelles [...], telles que les contributions et autres qui dans l'usage sont censées charges des fruits » mais que « à l'égard des charges qui peuvent être imposées sur la propriété [...], l'usufruitier n'est tenu que des intérêts ».
En matière fiscale :
- L'article 777 du CGI prévoit que les droits de mutation à titre gratuit sont fixés « pour la part nette revenant à chaque ayant droit » selon un barème progressif.
- L'article 669 du CGI fixe les modalités de détermination de la valeur respective de la nue-propriété et de l'usufruit « pour la liquidation des droits d'enregistrement » selon un barème qui repose sur l'âge de l'usufruitier.
La question au cœur de l'espèce était de déterminer comment ces deux corpus devaient s'articuler pour calculer la « part nette » de chaque héritier, en particulier lorsque la succession comporte un passif et fait l'objet d'un démembrement.
Rappel des faits :
M. FX est décédé le 4 septembre 2014, laissant pour lui succéder son épouse, Mme T, et son fils unique, M. CX. Mme T a opté pour l'usufruit de la totalité des biens dépendant de la succession. Une déclaration de succession a été déposée, imputant la totalité du passif de la succession sur la part de M.X, nu-propriétaire.
L'administration fiscale a contesté cette répartition et a notifié à M. X une proposition de rectification, considérant que le passif successoral aurait dû être réparti entre les deux héritiers (l'usufruitier et le nu-propriétaire) selon les proportions prévues par l'article 669 du CGI. Cette rectification a entraîné un rappel de droits d'enregistrement.
M. X a contesté cette rectification en assignant l'administration fiscale en décharge des droits réclamés.
Les juridictions du fond lui ont donné raison, la cour d'appel de Dijon ayant, par arrêt du 5 septembre 2023, confirmé que les dettes de la succession devaient être intégralement déduites de la part du nu-propriétaire conformément à l'article 612 du Code civil.
L'administration fiscale s'est pourvue en cassation contre cette décision.
L'administration fiscale soutenait deux moyens :
- Les DMTG étant déterminés sur la part nette revenant à chaque ayant-droit, chacun est personnellement tenu des dettes et charges de la succession pour sa part successorale. La cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en admettant que les dettes soient déduites de la seule part du nu-propriétaire.
- L'article 612 du Code civil concerne uniquement la contribution à la dette au stade du règlement de la succession, mais ne modifie ni la dévolution successorale ni le calcul de l'assiette des droits de mutation. La cour d'appel a donc violé cette disposition par fausse application en considérant qu'elle produisait des effets fiscaux.
De son côté, M.X défendait la position selon laquelle l'article 612 du Code civil imposait que le passif successoral soit intégralement déduit de sa part en tant que nu-propriétaire pour déterminer l'assiette de ses droits de mutation. En effet, selon cette disposition, l'usufruitier n'est tenu que des charges annuelles et des intérêts des dettes, le capital de ces dernières incombant au nu-propriétaire.
La Cour de cassation vient de casser l'arrêt d'appel sans renvoi et, statuant au fond, rejette la demande de décharge de M.X
Au visa des articles 612 et 870 du Code civil et des articles 669 et 777 du CGI, la Haute juridiction énonce un principe général :
en l'absence de partage pur et simple et lorsque l'actif de la succession, grevée d'une dette, a fait l'objet d'un démembrement des droits de propriété, la part nette revenant à l'usufruitier et au nu-propriétaire doit être fixée en répartissant cette dette selon les proportions prévues par l'article 669 du code général des impôts, lequel institue une règle fiscale spéciale de détermination de la valeur des parts successorales de l'usufruitier et du nu-propriétaire, en vue de leur imposition aux droits de mutation à titre gratuit.
La Cour censure ainsi l'application par la cour d'appel de l'article 612 du Code civil pour déterminer l'assiette fiscale des droits de mutation.
Elle considère que cet article, qui régit les obligations respectives de l'usufruitier et du nu-propriétaire dans leurs rapports de droit civil, ne peut pas être transposé tel quel en matière fiscale, où l'article 669 du CGI constitue une règle spéciale qui s'impose pour la détermination de la valeur imposable de chaque part.