Comment transformer une cession d'entreprise de 42,5 M€ en cauchemar fiscal ? C'est l'histoire que racontent les quinze affaires examinées par le comité de l'abus de droit fiscal. Une famille d'entrepreneurs, pensait avoir trouvé la formule parfaite : onze SCI, des usufruits temporaires, un siège social luxembourgeois et l'article 238 bis K du CGI comme pierre angulaire de leur montage. Quinze avis défavorables plus tard, ce château de cartes fiscal s'effondre, laissant place à des redressements conséquents
Rappel du montage mis en place
La famille X, composée du père et de ses deux fils, détenait initialement la société A, leader français de la fabrication de béton.
- En 2010, ils créent la société B, une SAS destinée à détenir des participations immobilières. Après la cession des filiales de la société A pour 42,5 millions d'euros, cette dernière acquiert l'intégralité du capital de la société B et transfère son siège au Luxembourg.
- Entre 2011 et 2013, les consorts X créent onze SCI selon le même schéma : ils détiennent initialement 98% ou 99% des parts, puis cèdent immédiatement l'usufruit temporaire de leurs parts à la société B pour des durées de 15 à 29 ans. L'usufruit est évalué à 45% ou 69% de la valeur en pleine propriété selon le barème fiscal.
- Chaque SCI procède ensuite à une augmentation de capital considérable pour financer l'acquisition d'immeubles professionnels. Cependant, seule la société B, en tant qu'usufruitière, libère sa quote-part de l'augmentation de capital, tandis que les nus-propriétaires s'abstiennent délibérément de libérer leur souscription.
Les reproches de l'administration fiscale
L'administration a identifié ce montage comme un dispositif purement artificiel visant à contourner l'imposition normale des revenus fonciers.
En application de l'article 238 bis K du CGI, les résultats des SCI étaient déterminés selon les règles des bénéfices industriels et commerciaux et imposés à l'impôt sur les sociétés au nom de la société B usufruitière.
Parallèlement, la société B déduisait les charges d'intérêts de ses emprunts pour acquérir les usufruits et amortissait ces derniers, créant ainsi un déficit structurel qui effaçait toute imposition.
Les consorts X échappaient donc à l'imposition des revenus fonciers qu'ils auraient normalement supportés. L'administration a mis en œuvre la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales pour écarter ces actes comme inopposables et a appliqué des majorations de 40% pour la société B et de 80% pour les particuliers.
Position du comité de l'abus de droit fiscal
Le comité a pleinement validé l'analyse de l'administration en soulignant deux éléments :
- Il a constaté que le refus délibéré des nus-propriétaires de libérer leur souscription aux augmentations de capital empêchait les SCI d'atteindre leur objectif de financement, les contraignant à recourir à des financements externes qui aggravaient leurs charges.
- Ce procédé transférait artificiellement sur la société usufruitière la charge de financement qui incombait normalement aux nus-propriétaires, créant un déficit structurel.
Le comité a estimé que ces opérations constituaient un montage artificiel dépourvu de tout motif économique, mis en place dans le seul but d'éviter l'imposition des revenus fonciers. Il a considéré que ce dispositif recherchait une application littérale de l'article 238 bis K à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur. En conséquence, le comité a approuvé la mise en œuvre de la procédure d'abus de droit ainsi que l'application des majorations, reconnaissant que les intéressés devaient être regardés comme les principaux initiateurs et bénéficiaires de ce montage abusif.